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Bill McKibben : « En sortant de la COP21, le mouvement citoyen devra être encore plus déterminé »
mercredi, 25 novembre 2015 / Laure Noualhat /

Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

L’activiste américain, fondateur de l’ONG 350.org, n’attend pas grand-chose du sommet sur le climat. Celui qui appelle au désinvestissement dans les énergies fossiles croit surtout en l’action de chacun. Entretien.

Il faut parfois se méfier des apparences. Le costume sombre et le bagel au saumon ne font pas l’activiste têtu. En dépit de son air docte, Bill McKibben ne va pas livrer un rébarbatif cours sur l’économie circulaire. De passage à Paris en octobre, l’un des activistes climatiques américains les plus célèbres est venu convaincre les huiles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) d’appuyer sa campagne sur le désinvestissement dans les énergies fossiles. Tour à tour enjoué, déprimé, énervé ou pédagogue, Bill McKibben conserve une caractéristique bien utile : la niaque. Le fondateur de l’ONG 350.org est de ceux qui arpentent tout autant les lieux de pouvoir que les manifs de terrain, allant jusqu’à se faire emprisonner pour avoir manifesté devant la Maison-Blanche contre l’oléoduc Keystone XL, censé acheminer le pétrole des sables bitumineux canadiens jusqu’au golfe du Mexique. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il fait partie des toutes premières personnalités américaines à avoir alerté l’opinion sur le changements climatique.

Question inévitable par les temps qui courent… Qu’attendez-vous du grand rendez-vous climat qui se tient à Paris ce mois-ci ?

Honnêtement, pas grand-chose… Mais ce n’est pas tant le jeu qui compte que le score affiché. Nous connaissons tous plus ou moins les positions des uns et des autres. En revanche, depuis Copenhague (conférence sur le climat de 2009, ndlr), le mouvement citoyen a mis une pression énorme sur cette grosse machine de négociations. Avant, les Etats étaient libres de ne rien accomplir et c’est exactement ce qu’ils ont fait. Aucun des chefs d’Etat présents à Copenhague – Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy… – n’a eu de problème à cause de cette inaction. Personne ne leur en a voulu ! Ce fut un désastre diplomatique et, mis à part quelques ONG, il n’y a eu aucune pression pour qu’ils agissent. Aujourd’hui, c’est différent. La pression existe, elle est immense et provient du monde entier.

De quelle pression parlez-vous exactement ?

Les promesses mises sur la table par les pays nous amènent vers un monde à 3,5°C en moyenne d’augmentation de température. J’imagine que c’est sûrement mieux qu’un monde à +5°C, mais en réalité, ce sera catastrophique pour l’ensemble des organismes vivants de la planète. Quand je parle du score affiché, c’est pour signifier combien nous avons avancé par rapport aux engagements passés mais pour dire aussi à quel point nous sommes encore loin de ce qui serait souhaitable. C’est tout. Le problème, c’est que nous sommes à la fin de la deuxième mi-temps. Je dirais même que nous sommes dans les prolongations, et nous sommes toujours loin du compte. En sortant du grand moment parisien, le mouvement citoyen devra être encore plus déterminé et ne pas se satisfaire des maigres engagements qui y seront pris.

Vous l’avez dit, d’après l’ONU, les propositions faites par les pays nous emmènent bien au-delà de l’objectif des +2°C…

Vous savez, l’idée même qu’avec deux degrés supplémentaires nous resterions dans une zone de confort était valable il y a vingt ans. Plus maintenant. A l’époque, on n’imaginait pas qu’un seul degré de plus allait suffire pour faire fondre l’Arctique ou déstabiliser l’Antarctique. On ne pensait pas qu’il y aurait autant de sécheresses, d’inondations, de phénomènes climatiques intenses. Avec +2°C, ça va être terrible. Alors avec +3°C ou plus, ce sera l’enfer.

Le nom de votre organisation, 350.org, fait référence au nombre de parties de CO2 par million (ppm) qu’il ne faut pas dépasser pour rester dans un monde à peu près stable, sous les +2°C. Ne faut-il pas changer d’appellation ?

C’est vrai, ce serait beaucoup plus facile de s’appeler 450.org. L’objectif serait bien plus atteignable ! Mais la science et la physique ne vont pas changer au motif qu’il nous est compliqué de stabiliser la concentration de CO2 à 350 ppm dans l’atmosphère. Au final, le changement climatique n’est pas une question politique, c’est une question scientifique. Si l’on prend les bonnes décisions aujourd’hui, nous pourrions revenir à ce niveau d’ici à la fin du siècle. Mais entre-temps, il y aura eu beaucoup de dégâts.

De la Coalition climat 21 à Attac en passant par votre ONG, vous attendez tous une sorte d’ouragan citoyen dans les rues…

Espérons-le ! Non pas que cela change l’issue du sommet de Paris car c’est déjà plus ou moins plié, la COP n’étant qu’une phase d’enregistrement de négociations en cours depuis des années. Mais parce que c’est ainsi qu’on continue à avancer.

Vous êtes à ce point confiant dans l’impact de la pression citoyenne sur ce dossier ?

Je ne suis pas un optimiste béat, je vous rassure. Par certains aspects, je suis même un pessimiste profond. J’ai écrit le premier livre sur tout cela en 1989. Son titre était on ne peut plus clair : The End of Nature (traduit par La Nature assassinée, publié en 1994 chez Fixot, ndlr). Je pense que la science est très, très sombre. Tout comme les événements climatiques des dernières semaines, notamment dans le golfe du Mexique (un ouragan très puissant et des inondations à la fin du mois d’octobre, ndlr). Mais je me souviens aussi du temps où il n’y avait aucune mobilisation autour des questions climatiques, ce qui n’est plus du tout le cas. Deux choses me redonnent un peu d’espoir : la réalité de cette mobilisation et les victoires énormes que l’on commence à remporter. Il y a quelques semaines, le géant anglo-néerlandais Royal Dutch Shell a renoncé à l’exploitation d’un gisement de sables bitumineux au Canada, ce qui va entraîner une perte de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) dans ses comptes. Prétendument parce que les oléoducs n’auraient pas la capacité d’acheminer les 80 000 barils extraits par jour. En réalité, c’est grâce au combat de ceux qui ont fait en sorte que ces nouveaux oléoducs n’existent pas ! Nous sommes en train de faire basculer les choses. Cela dit, ce qui me désespère, c’est la lenteur avec laquelle nous avançons. Nous sommes déjà tellement dans la merde…

Vous êtes à l’origine d’une grande campagne de désinvestissement dans les énergies fossiles qui a conduit des universités, des entreprises et des fonds de pension à retirer leurs billes du secteur. Où en êtes-vous ?

Cumulée sur les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Grande-Bretagne et les pays scandinaves, la campagne de désinvestissement prend de l’ampleur. Des personnalités, des universités, des fonds de pension, des entreprises ou des organismes publics, plus de 2 000 personnes et près de 400 institutions d’une valeur globale de 2 600 milliards de dollars (2 370 milliards d’euros) ont désinvesti dans le secteur des énergies fossiles. Plus de 230 villes, universités, musées et institutions se sont d’ores et déjà engagés dans la démarche, à l’instar des villes de Paris, San Francisco (Etats-Unis), ou encore de l’université d’Oxford (Royaume-Uni). En juin, le Parlement norvégien a voté en faveur d’une réorientation des investissements du fonds souverain du pays, le premier au monde (près de 800 milliards d’euros d’actifs). Le fonds se retire de toute entreprise ou banque exerçant une activité en lien avec l’extraction ou la production d’énergie à partir du charbon. La France n’est pas en pointe, mais ça démarre. Ainsi, le Fonds de réserve pour les retraites, hébergé par la Caisse des dépôts et consignations et qui correspond à 34 milliards d’euros d’actifs, a placé des centaines de millions d’euros dans 60 des 100 premières entreprises mondiales du secteur pétrolier et gazier, et 21 des 100 premières entreprises mondiales de charbon. Il est grand temps de réorienter ces placements, afin que les pensions des actifs d’aujourd’hui ne soient pas financées à crédit sur le climat des générations futures.

Certes, les compagnies pétrolières extraient un pétrole qu’elles devraient laisser dans le sous-sol mais, au final, ce pétrole sert à tout le monde, y compris à nous.

J’en ai ras-le-bol de cet argument. Cette industrie a systématiquement œuvré pour que nous ne changions rien de nos habitudes de production et de consommation énergétiques. Des enquêtes américaines et britanniques ont montré que le géant Exxon savait déjà tout ce qu’il y avait à savoir sur les changements climatiques il y a vingt-cinq ou trente ans ! Ces industriels ont toujours nié le problème. Que se serait-il passé si, en 1985, Exxon avait dit : « D’accord, les scientifiques ont raison » ? Nous n’aurions pas perdu vingt-cinq ans à débattre de la réalité du phénomène. Plus que toute autre force politique, ce secteur dispose d’une puissance telle qu’elle bloque toute action envers le climat. Regardez les frères Koch, aux Etats-Unis. A eux seuls, ces deux hommes vont injecter plus de 900 millions de dollars (819 millions d’euros) dans la prochaine campagne présidentielle. Or, ce sont les plus gros propriétaires terriens de sables bitumineux au Canada. Le plus important pour moi, c’est que les gens comprennent que ces fossiles doivent rester dans le sous-sol. Les compagnies disposent de cinq fois plus de CO2 dans leurs réserves que nous ne devrions en consommer. Les gens commencent à comprendre que ce sont des entreprises sans scrupules et cela leur coûte déjà très cher en termes d’image. De plus en plus de gens les détestent !

Parmi les solutions, vous mentionnez les énergies renouvelables, mais que pensez-vous du nucléaire ?

C’est une question de bon sens, cette énergie est bien trop chère pour faire partie de la solution. Les coûts du nucléaire ne font que progresser tandis que, dans le même temps, le prix des panneaux photovoltaïques baisse de mois en mois. C’est difficile d’imaginer un pays qui investirait des milliards dans un réacteur alors qu’il peut démultiplier ses sources énergétiques avec le vent, le soleil, la biomasse, etc. Même en Chine, où l’on construit plus de réacteurs que partout ailleurs, les capacités installées d’éolien et de solaire sont supérieures. Pour finir, le nucléaire n’incite pas à la décentralisation, qui est l’avenir des réseaux électriques. Ils finiront par fonctionner comme les réseaux d’information.

Quel est votre secret pour rester écolo sans déprimer ?

Vous savez, il m’arrive d’être très déprimé ! Mais il faut continuer à agir. Si les gens des îles Tuvalu, des Maldives, du Bangladesh, des îles Marshall s’engagent, si tous ceux qui sont les premières victimes des changements en cours sans en être responsables se mobilisent, alors c’est un devoir moral que de se battre avec eux. Sur notre compte Flickr, on trouve plus de 60 000 photos de toutes les manifestations qui ont eu lieu à travers le monde. Les regarder me motive. Et puis en ce moment, je suis très très énervé contre les industriels des fossiles : savoir qu’Exxon savait pour les changements climatiques me rend fou. Nous devrions tous être extrêmement choqués et ne pas verser dans le cynisme. —

Bill McKibben en dates
- 1960 Naissance
- 1989 Publie, aux Etats-Unis, The End of Nature
- 2008 Cofonde l’ONG 350.org
- 2011 Arrêté pour avoir manifesté contre l’oléoduc Keystone XL devant la Maison-Blanche
- 2013 Reçoit le prix Gandhi pour la paix