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Marches sur le climat interdites : les ONG entre démoralisation et branle-bas de combat
jeudi, 19 novembre 2015 / Cécile Cazenave

Au lendemain de l’annulation des manifestations citoyennes en marge de la COP21, les acteurs de la société civile accusent le coup et tentent de rebondir.

Les ONG n’ont même pas le temps d’avoir la gueule de bois. Au lendemain de l’annonce par la présidence de la COP21 de l’interdiction de toutes les marches pour le climat qui auraient dû avoir lieu, à Paris et dans d’autres villes de France, à la veille de l’ouverture des négociations, c’est un mélange de déception et de branle-bas de combat. « On n’a pas le droit de baisser les bras, mais là, ce sont plusieurs mois de boulot avec toutes les associations qui tombent à l’eau. On en était à un niveau d’organisation collective colossal », lâche Mathieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot.

Mardi matin, moins de quatre jours après les attentats de Paris, les organisations de la société civile étaient réunies chez Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, sous l’égide de qui se tiendra la réunion internationale sur le climat dans dix jours. Si les marches semblent alors déjà très compromises, y est évoqué un « rassemblement statique ». En aparté, les conseillers évoquent l’idée d’un stade où auraient pu se réunir les dizaines de milliers de personnes attendues initialement pour la marche du 29 novembre.

Choix cornéliens

Car pour les autorités françaises, assurer la sécurité de la COP21 elle-même et de tous les événements parallèles, deux semaines après les plus graves attentats qui aient jamais eu lieu sur le sol français, exige de faire des choix cornéliens. Techniquement, il y a d’un côté le site du Bourget où auront lieu les négociations, et les 22 000 personnes accréditées pour y entrer. De l’autre, 20 000 acteurs de la société civile attendus dans la capitale en divers lieux, et initialement réunis dans une marche inaugurale. « On a un double casse-tête : d’un côté, un lieu confiné qu’il va falloir rendre hermétique par des détecteurs de métaux, par le contrôle des allées et venues, et de l’autre la gestion de flux et de foules, ce qui est bien plus difficile, souligne Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales et spécialiste de la sécurité intérieure. En France, on a l’habitude de gérer des événements sur la voie publique, même de grande ampleur, comme les Journées mondiales de la jeunesse en 1997 ou la Coupe du monde de foot en 1998, mais deux semaines après ces attentats, avec une menace terroriste qui reste forte, c’est autre chose. »

Alors que l’Assemblée nationale vient de donner son feu vert à la prolongation de l’état d’urgence pour trois mois, que le Premier ministre, Manuel Valls, évoque devant les députés un risque d’attaques chimiques ou bactériologiques, que des centaines de perquisitions ont lieu, la tension reste très forte dans l’Hexagone. Et la crainte d’un nouvel attentat ne risque pas de faiblir avec l’arrivée de près de 120 chefs d’Etats étrangers, présents au Bourget le lundi 30 novembre, et de dizaines de milliers de représentants de la société civile. « Prendre la COP21 pour cible, ce serait très fort symboliquement et aurait une résonance mondiale : l’impact médiatique et psychologique serait gigantesque, souligne Mathieu Zagrodzki. Mais annuler toutes les manifestations pour réduire ce risque, c’est également réduire la portée symbolique de ce sommet et se déclarer vaincus face à la menace, car manifester fait partie de notre vivre-ensemble : pour les organisateurs, il y a un dilemme et un calcul à faire entre la sécurité et la portée symbolique de leurs choix. »

« Le moral est un peu cassé »

Mercredi soir, le gouvernement a donc tranché. La société civile est toujours bienvenue au Bourget dans un espace de 27 000 mètres carrés où sont attendues plus d’une centaine d’organisations. Hors du Bourget, c’est une autre affaire. Les manifestations sont maintenues si elles ont lieu « dans les espaces fermés et aisément sécurisables », souligne le communiqué du secrétariat de la COP21. Exit les marches du 29 novembre et du 12 décembre, en clôture des négociations. Exit même la possibilité d’un grand rassemblement dans un stade, un hippodrome ou une place parisienne, comme des rumeurs qui circulaient des cabinets ministériels aux ONG avaient pu laisser croire.

Les ONG représentées au sein de la Coalition climat 21 enchaînent réunion sur réunion. « Cela fait plusieurs jours que nous sommes dans l’attente de la décision des autorités, nous avions réfléchi à un scénario où la marche serait maintenue, avec un service d’ordre blindé et une grande coordination avec la police, déplore Marie Yared, de Avaaz. Pour la centaine de bénévoles de notre organisation qui ont tout mis en œuvre pour la réussite de notre mobilisation, c’est vrai que le moral est un peu cassé. Nos sentiments sont partagés entre les problèmes réels de sécurité et la volonté de nous exprimer au moment de la COP. »

En janvier, des dizaines de chefs d’Etat ont participé à la manifestation…

Dans les rangs des ONG, tout le monde ne tempère pas autant sa déception. « Cette annulation sans aucune proposition alternative de la part des autorités est inacceptable, tonne Txetx Etcheverry, fondateur du mouvement Alternatiba. Au lendemain de Charlie Hebdo, des dizaines de chefs d’Etat ont participé à la manifestation nationale, le risque était-il moindre ? Le marché de Noël reprend sur les Champs Elysées, les supermarchés sont ouverts, la foule se réunit dans les lieux de la société de consommation, et nous, nous ne pourrons même pas nous réunir ne serait-ce qu’à quelques centaines de personnes dans des endroits symboliques pour dénoncer les engagements trop faibles de certains pays, par exemple ? » Dès mardi soir, le mouvement lançait un appel, désormais signé par plus de 14 000 personnes, pour maintenir la pression sur les pouvoirs publics. A Alternatiba, on espère toujours un revirement. « L’histoire nous jugera très durement si, à un moment aussi historique, nous avons baissé les bras. Cela signifierait que nous acceptons aussi de clore ce chapitre citoyen pour la décennie à venir, car cette situation va durer », gronde Txetx Etcheverry.

Moins tempétueuses, d’autres organisations semblent avoir déjà pris leur parti des décisions des autorités et tentent de rebondir dans le court laps de temps qu’il reste. « Même si nous avions eu la possibilité de nous rassembler dans un stade, nous n’avions pas le temps, en dix jours, de créer une dynamique de l’ampleur de ce que nous avions mis en place pour la marche, avoue Mathieu Orphelin. Aujourd’hui, il faut que nous trouvions les moyens de connecter la grosse cinquantaine de marches qui vont avoir lieu dans le monde avec ceux qui auraient aimé marcher mais qui ne pourront pas le faire. » A Avaaz également, on cogite tous azimuts pour imaginer des formes de mobilisations « visuelles, mais pas dangereuses ». Les idées ne manquent pas. Mais c’est surtout l’élan commun qui risque d’être mis à mal. « Il y aura des synergies entre les différentes organisations, mais sans doute pas de la même force que ce nous avions préparé », déplore Marie Yared. Restent dix jours pour remobiliser les troupes, une gageure pour tous ceux qui veulent faire entendre la voix de la société civile mondiale.

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