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Du SEL dans l’économie
dimanche, 3 juin 2007 / Raphaël Didier /

Enseignant en économie-droit en BTS

Le Système d’Echange Local (SEL) est arrivé en France au début des années 90. Ce moyen d’échange n’est pas basé sur la monnaie officielle. Toute personne peut participer, selon le principe que nous créons tous de la valeur par nos connaissances, notre savoir-faire, ou notre culture.

Quelques chiffres pour commencer : la moitié de la population mondiale vit avec moins de 2 euros par jour. La fortune des 793 milliardaires de la planète en 2006 correspond presque au montant de la dette extérieure de l’ensemble des pays pauvres de la planète…20% des habitants de la planète se partagent 80% des richesses.

Avec de tels chiffres, inutiles de tergiverser longtemps pour comprendre que l’économie mondiale est très largement inégalitaire (hétérogène pour être pudique). Dans ce cas, il n’y a qu’une seule alternative : subir la pauvreté, ou restructurer solidairement l’économie. Car chaque femme et chaque homme à en lui, de manière intrinsèque, quelque chose à offrir et à échanger. Nous créons tous de la valeur sans même nous en apercevoir. A preuve, je citerai le fait de savoir jouer d’un instrument et d’en faire profiter les autres, que ce soit sous forme de cours, ou autre.

La monnaie prend un coup de vieux

Partant de ce constat quasi-évident, en 1976, un Canadien dénommé David Weston, mit sur pied un système d’échanges, le Communauty Exchange, invitant les gens à s’enrichir de leurs propres savoir-faire en les échangeant, au moyen d’une « monnaie locale » sur laquelle il était impossible de spéculer. Précisons que le contexte économico-politique de cette époque était rude, puisque le pays était touché alors par une importante vague de chômage, notamment dans l’industrie minière démantelée. On considère qu’il s’agit-là de l’acte fondateur des systèmes locaux d’échanges ou LETS (Local Exchange Trading System).

L’idée fit alors son chemin outre-atlantique, pour finalement aboutir à la création en 1994 du premier Système d’Echange Local (SEL) en France : le SEL pyrénéen. Ce qui est important à comprendre, c’est que la volonté des gens à vouloir échanger et leur confiance dans le système a suffit à bâtir un véritable système économique parallèle au système officiel, et ce, sans avoir d’argent ! Aujourd’hui, le concept à essaimé, et on compte plusieurs centaines de SEL sur notre territoire.

Echangisme

La finalité première d’un SEL est de permettre d’échanger des savoirs, des biens et des services, en fonction des besoins, des disponibilités et des savoir-faire de chacun au sein d’un groupe local. Néanmoins, il ne faut jamais oublier la dimension humaine d’un tel système. Car c’est bien cette caractéristique qui en fait un pur produit solidaire dans ce monde dominé par l’argent et l’individualisme. Ainsi, la rencontre, la convivialité, lors de ces échanges sont des richesses à elles toutes seules déjà. Et c’est là une victoire pour ceux qui n’ont rien en terme monétaire.

De manière pratique, les échanges se font de gré à gré par l’intermédiaire d’une unité locale de compte : le grain de sel. Celui-ci est basé sur le temps passé, le travail effectué, ou la valeur d’usage et non sur la valeur marchande : ainsi, à Toulouse le grain s’appelle « le cocagne », à Paris « le piaf », à Bordeaux « le bouchon »... L’association locale édite régulièrement les offres et demandes de chacun et les adhérents se contactent individuellement ou se rencontrent lors de nombreuses manifestations conviviales. Après l’échange, ils tiennent à jour leurs comptes sur un simple carnet par exemple. Dans cette forme d’échange, point de rentabilité, d’agios,…

Fiscalité zéro

Remarquons donc que la monnaie des SEL est limitée à seulement deux des fonctions traditionnellement attribuées à une monnaie : unité de mesure et instrument de transaction. Pour rappel, une monnaie remplit trois fonctions : tout d’abord elle est une unité de mesure (ou un étalon de mesure). C’est-à-dire qu’elle sert de référence pour connaître la valeur des biens et services. Ensuite, elle sert bien évidemment à opérer des transactions. C’est là la fonction la plus connue de la monnaie. Mais elle sert aussi d’unité de valeur : c’est la fonction d’épargne. En effet, nous avons une croyance en la valeur de cette monnaie pour épargner. Ainsi, la monnaie de SEL ne possède pas toutes les caractéristiques d’une monnaie. Mais au fond, peu importe ! Le but est de promouvoir des échanges et non pas de permettre d’épargner…Les fonctions d’unité de valeur et d’instrument de transaction suffisent donc amplement pour le but recherché.

Pour finir, précisons que ce système, qui concurrence à priori le système économique officiel, échappe à la fiscalité obligatoire pour l’instant. En effet, les transactions ne sont pas assujetties à la TVA par exemple. Gageons que l’Etat prendra conscience que ce système, de par sa vertu solidaire et son faible volume d’échange, ne représente en rien un « risque fiscal ». Il serait en effet totalement irresponsable de briser une telle dynamique d’entraide qui permet d’améliorer le quotidien des personnes. Ne s’agit-il pas là d’un véritable effort de cohésion sociale, expression à la mode ces derniers temps ?