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« Une sortie du diesel est possible en cinq ans »
mardi, 27 octobre 2015 / Amélie Mougey

La lutte contre le diesel passe-t-elle seulement par le rééquilibrage de sa fiscalité ? L’économiste Thomas Porcher explique comment le gouvernement aurait pu aller plus loin.

Thomas Porcher Cet automne, le vent a tourné pour le diesel. D’abord le scandale Volkswagen est venu ébranler la croyance en un diesel propre. Ensuite, la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal a annoncé que le carburant des deux tiers des automobilistes allait être taxé un centime de plus par litre. Dans le même temps, la fiscalité de l’essence va diminuer d’autant. Et ainsi de suite pendant cinq ans, jusqu’à l’alignement. Cette suppression de traitement de faveur actée, peut-on aller plus loin ? A la même échéance, peut-on imaginer qu’aucun véhicule diesel ne sorte d’usine ? Pour Thomas Porcher, économiste et auteur du livre 20 idées reçues sur l’énergie (De Boeck, 2015), cette projection est tout à fait réaliste.

En 2016, le litre de diesel sera taxé un centime de plus, l’essence un centime de moins. Même chose en 2017, jusqu’à l’alignement des fiscalités de ces deux carburants. Peut-on aller plus loin ?

Ce qu’a proposé Ségolène Royal va dans le bon sens. Casser les incitations à acheter des véhicules diesel est en effet la première des choses à faire. Rien ne justifie que ce carburant soit moins cher : sans les taxes, son prix est plus élevé et il est plus nocif pour la santé. Mais le gouvernement aurait pu aller plus vite en profitant de la baisse des prix du pétrole. Ceux-ci sont actuellement deux fois plus bas que l’année dernière. C’est une opportunité pour supprimer cet avantage fiscal injustifié tout en limitant l’impact sur les budgets des ménages. Mais l’alignement de la fiscalité n’est pas l’unique levier pour améliorer la qualité de l’air. Il faut également faire en sorte que les vieux diesels sortent du parc automobile.

De quelle manière ?

En instaurant des primes à la casse très incitatives pour les vieux diesels. Sur ce point, on va également dans le bon sens. Les problèmes de pollution que nous connaissons sont principalement dus aux vieilles voitures diesels. Or les personnes qui possèdent ces véhicules n’ont souvent pas les moyens de changer leur voiture. Il faut donc trouver des incitations pour que l’opération soit le plus neutre possible. Une prime à la casse suffisamment élevée pour permettre l’acquisition d’une nouveau véhicule entrée de gamme est une bonne chose.

Est-ce suffisant ?

Non, il faut également mettre en place des contrôles techniques plus axés sur les émissions. L’affaire Volkswagen nous a révélé qu’une fois les certifications accordées, rien n’empêche plus les véhicules polluants de rouler. Ce qui est grave dans cette affaire, c’est que ce ne sont pas les pouvoirs publics qui ont trouvé le logiciel de trucage de Volkswagen, mais une ONG. Il est donc impératif d’avoir également des tests qui vérifient la pollution émise par les voitures une fois qu’elles sont en circulation. Dans le même temps, on doit envoyer un signal fort aux constructeurs automobiles afin qu’ils se détournent complètement du diesel.

Un tel revirement ne risque-t-il pas de tuer le secteur ?

N’importe quel changement règlementaire est mal vécu par les industriels. Mais nos constructeurs vont droit dans le mur s’ils restent focalisés sur le diesel. Car le diesel est une technologie du passé. Il n’y a plus de part de marché à prendre, ni en France ni en Europe. A l’inverse, s’en détourner permettrait aux constructeurs de se positionner sur des technologies d’avenir. C’est en partie parce que Toyota était confronté à de fortes restrictions sur le diesel au Japon que ce constructeur a pris une longueur d’avance sur l’hybride.

Un des arguments contre la sortie du diesel, c’est la préservation de l’emploi…

Il ne tient pas. On peut sortir du diesel sans supprimer d’emplois. Il y a une substituabilité forte entre les compétences pour travailler sur un moteur diesel et celles nécessaires pour d’autres moteurs. Le risque vient plutôt de la logique actionnariale. Devant le risque de voir les bénéfices diminuer, même si c’est temporaire, les actionnaires font pression pour diminuer les coûts, en clair ils réduisent les effectifs. Pourtant, la réorientation et l’innovation sont des processus normaux dans une entreprise. Et si la formation continue existe, c’est justement pour permettre aux salariés de s’adapter. La sortie du diesel pourrait simplement être une excuse pour licencier dans un contexte de croissance économique faible.

Qu’elle soit diesel ou pas, le problème ce n’est pas plutôt la voiture ?

Quand on parle de sortie du diesel, l’objectif n’est pas de remplacer toutes les voitures diesel par des voitures essence. Mais d’augmenter l’efficacité énergétique des véhicules pour qu’ils consomment moins et de s’interroger sur le tout voiture. La hausse des prix de l’immobilier éloigne les personnes les plus pauvres des centres villes qui sont plus dépendantes de leur voiture pour aller travailler. C’est la double peine. Il faut repenser la mobilité dans son ensemble.

La Suède vient d’interdire le diesel pour les transports en commun, est-ce un exemple à suivre ?

Commencer par les transports en commun est un bon début car les pouvoirs publics ont la main. En France, on en est loin : la majeure partie de nos bus roulent au diesel. On pourrait déjà les remplacer par des bus hybrides pour montrer l’exemple. Ensuite, il faut se pencher sur le parc des particuliers. Enfin, on devra s’attaquer au pan le plus compliqué : celui des professionnels, les taxis, les transporteurs… Dans leur cas, tout se joue au moment du renouvellement. Il faut faire en sorte qu’il ne leur coûte pas plus cher de se diriger vers des modèles plus sobres.

Toutes ces primes et incitations ne risquent-elles pas de coûter cher à l’Etat ?

Cela pourrait au final ne rien lui coûter. Selon mes calculs, un rééquilibrage du diesel et de l’essence à mi-chemin (en augmentant la fiscalité du diesel et en baissant d’autant celle de l’essence, ndlr) rapporterait plus d’un milliard d’euro par an à l’Etat ; un ajustement du diesel sur l’essence, 5 milliards. L’an prochain, la mesure annoncée par Ségolène Royal rapportera déjà 600 000 euros par jour. L’Etat va gagner de l’argent, il s’agira simplement de le réutiliser à bon escient.

Et pour les particuliers ? Comment faire en sorte que les mesures ne pèsent pas sur les ménages les plus modestes ?

En prenant en compte la distance moyenne parcourue par un automobiliste et la consommation moyenne d’un véhicule diesel, on se rend compte que la hausse de la fiscalité prévue en 2016 coûtera à peine 10 euros de plus par an pour l’automobiliste. Si l’on ajustait complètement le diesel sur l’essence, le surcoût atteindra 127 euros par an, soit 10 euros par mois. Si cela se fait progressivement, ce n’est pas insurmontable. A condition bien sûr que des compensations soient mises en place.

A quelle échéance peut-on envisager une sortie du diesel ?

C’est une question de volonté politique. On peut se donner l’objectif d’une sortie du diesel à cinq ans. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura plus aucun véhicule diesel en circulation, simplement qu’il n’en sortira plus d’usine. C’est tout à fait possible.

Aurait-on pu y arriver plus tôt ?

Bien sûr. Depuis le début des années 2000, on sait que le diesel pollue. N’oublions pas que des villes comme Tokyo l’ont interdit au début des années 2000. Nos dirigeants ne pouvaient pas faire comme s’ils ne savaient pas. Mais pendant des années, ils ont clairement plus écouté les lobbies des constructeurs que les ONG et ont laissé se développer massivement la production de ce type de véhicules. Ensuite, en 2011, les gaz à échappement des moteurs diesel ont été classés cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé. Mais là encore, rien n’a été fait. Le changement règlementaire qui s’opère aujourd’hui n’est que le rattrapage du retard pris pendant cette période. On paie le laxisme de nos politiques pendant les années 1990-2000. On pourrait presque parler de scandale d’Etat.

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