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Nos corps bons à jeter au compost
mercredi, 28 octobre 2015 / Alexandra Bogaert

D’un côté, le processus se réaliserait en pleine terre. De l’autre, dans un bâtiment spécial. Dans les deux cas, ces deux projets – dérangeants – visent à transformer des cadavres en engrais.

« Tu nous a plantés sans prévenir. Prends-en de la graine, vieille branche. » Voilà le genre d’épitaphe que l’on pourrait voir fleurir à l’avenir au pied de monticules de terreau. Car deux initiatives indépendantes et concomitantes visent à prouver qu’on peut composter son ticket pour l’éternité. Littéralement : on peut être transformé en compost qui aiderait la nature à se régénérer. Une alternative à l’inhumation et à la crémation qui, à l’inverse de ces deux pratiques – les seules autorisées en France –, serait non polluante et bien plus économique. Cette idée a germé il y a un peu plus d’un an dans l’esprit d’une designeuse de la côte ouest américaine, Katrina Spade, et dans celui d’un ingénieur wallon, Francis Busigny. Le Belge préside la fondation Métamorphose, créée en novembre 2014 et qui promeut l’« humusation ». Ce néologisme semblait plus adapté que le vocable compostage « qui fait trop poubelle en tas dans un coin du jardin. Le process qu’on veut mettre en place est beaucoup plus noble », expose le conseiller en environnement. Il s’agirait d’envelopper un défunt dans un linceul, puis de le disposer sur un « lit douillet d’un mètre cube de broyat humide de branches issues d’élagage », posé sur le sol, avant de le recouvrir de 2 mètres cubes de cette même mixture organique. « Ensuite, les microorganismes décomposeront la chair, les os et les molécules chimiques polluantes contenues dans le corps, qu’ils désactiveront en les découpant. » Un processus à l’air libre garanti sans pourrissement, donc sans odeurs ni intrusion de charognards.  

Au bout de trois mois, les chairs seront désagrégées, les amalgames dentaires et les prothèses récupérés ainsi que les os, passés à la moulinette avant d’être remélangés à ce qui, neuf mois plus tard, sera devenu « une terre autofertile ». « Comme il n’y aura plus aucune trace d’être humain, ce matériau ne pourra plus être considéré comme les restes d’une personne, mais bien comme du terreau », précise l’ingénieur. Alors, les proches du défunt pourront venir planter un arbre dans un espace du souvenir avec cet humus, voire en emporter pour l’épandre chez eux. Le reste sera utilisé pour régénérer des sols appauvris par les activités humaines (friches, terres de grandes cultures…).

Le corps descendrait d’étage en étage

Ce processus coûterait un peu plus cher que l’inhumation ou la crémation – autour de 800 euros en Belgique « mais on ferait l’économie d’un embaumement, d’un cercueil, d’une concession » –, mais n’a pas été testé sur des humains, « car c’est illégal ». Le but de Francis Busigny est désormais de convaincre les hommes politiques belges d’autoriser cette démarche. Une pétition lancée en ce sens a recueilli 2 000 signatures environ. Car la technique a déjà fait ses preuves. En Ontario (Canada), on l’emploie comme alternative à l’équarrissage pour les carcasses de bovins et de porcs malades.  La méthode très similaire promue par Katrina Spade est, elle, en phase de test sur trois dépouilles humaines. Aux Etats-Unis, léguer son corps à la science, c’est potentiellement se retrouver dans une des cinq « fermes des corps » où des étudiants en médecine légale scrutent la décomposition de cadavres placés dans des situations diverses. Ces expérimentations sont menées à l’air libre alors que le « Urban Death Project » (Projet de mort urbaine) de Katrina Spade s’inscrit dans un environnement urbain. « Puisqu’aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, ce système ne peut fonctionner qu’à la verticale, faute de place », justifie l’architecte de Seattle.

Elle a donc pensé un bâtiment composé d’un cœur central de plusieurs niveaux, aux parois opaques. Le défunt serait conduit en son sommet par ses proches pour un dernier adieu. Au fur et à mesure de sa métamorphose – évaluée à seulement un mois dans ce contexte où température, hygrométrie et ventilation seraient régulées –, le corps descendrait d’étage en étage pour se retrouver, au niveau du sol, transformé en terre nourricière. Dès qu’un corps sera descendu d’un niveau, un autre prendra sa place au-dessus. Là encore, la famille pourra venir récupérer du terreau et le reste sera épandu dans les jardins de la ville. Le projet a récolté 91 000 dollars (80 600 euros) en mai grâce à une campagne de financement participatif et un premier bâtiment sera conçu au printemps au sein de l’université de Caroline de l’Ouest, dont dépend la ferme des corps qui teste le projet.  Jusqu’ici, l’idée n’essuie « aucune critique ». « Au contraire, les gens sont soulagés d’apprendre qu’il existe autre chose que l’inhumation ou la crémation. J’imagine que les réticences apparaîtront dès qu’on trouvera un endroit pour installer le premier édifice », poursuit Katrina Spade, qui évalue à 2 500 dollars (2 200 euros) le coût de cette transformation pour la famille du défunt. Son organisation philanthropique à but non lucratif envisage de faire payer davantage ceux qui en auront les moyens pour permettre aux plus modestes, eux aussi, de « boucler le cycle des matières ». « On a tous envie de faire pousser des arbres, non ? »

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Urban Death Project

Fondation Métamorphose

Une révolution rituelle, de François Michaud Nérard (Editions de l’Atelier, 2012)