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Aymeric Caron, bête à claques
mercredi, 28 octobre 2015 / Sonya Faure

Végétarien, l’ex-chroniqueur télé s’est attiré l’agressivité de beaucoup. Ce militant sincère du bien-être animal monte un collectif pour remettre en cause notre anthropocentrisme.

Doux comme un agneau. Pour un « teigneux », un « Robespierre du studio Gabriel », un journaliste « aux clichés dégueulasses », un « Zemmour de gauche », « un con » (1), c’est de prime abord surprenant. Dans ce bistrot sans apprêt du XVe arrondissement parisien où il est enraciné depuis des années, le voilà sûr de lui mais pas péremptoire, acceptant les selfies quand un passant réclame. Il y a plus d’un malentendu à propos d’Aymeric Caron. Le premier, c’est qu’on le découvre en mode « un homme un vrai » (cuir, boots, mèche dans l’œil). Mais qu’avait-il donc à paraître si raide et étriqué dans son costume de chroniqueur cathodique le samedi soir chez Ruquier, dans l’émission « On n’est pas couché » ? Pourquoi, surtout, a-t-il cristallisé une telle violence pour des propos loin d’être si subversifs ? Sa façon, « à l’anglo-saxonne », dit-il, de poser cent fois la même question jusqu’à ce que l’invité consente à y répondre, coutume tout à fait exotique dans le PAF français, agaçait. Notamment quand il n’écoutait pas la réponse. Il faut voir Bernard Kouchner perdre ses nerfs face à Aymeric Caron qui lui remémore son rapport sur la Birmanie pour Total : « Vous dites des saloperies ! Je vous emmerde ! Je ne peux pas vous dire que vous avez bouffé du lion puisque vous ne bouffez rien ! » Arrêtez le magnéto. Nous y voilà. Ceux qui ne supportent pas Aymeric Caron l’attaquent sur ce qu’ils considèrent comme son talon d’Achille, sa coquetterie, son signe particulier de ringardise. Son végétarisme. « Comme tous les végétariens, il mange de l’homme » (la polémiste de droite Elisabeth Levy), « un spécialiste de l’agro-alimentaire » (Yann Moix, son successeur à « On n’est pas couché »). Et Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, face à lui sur le plateau de l’émission, telle une poule devant un couteau : « Je connais vos discours, je n’accepterai pas de leçon de vous ! »

L’agneau qui n’avait pas de nom

« A la télé, analyse Aymeric Caron, on trouve des chroniqueurs de droite condamnés pour racisme, des représentants de la gauche sociale-libérale, mais un éditorialiste qui défend des valeurs écologistes, il n’y en a pas. C’est pour ça que je m’en suis pris plein la tronche. » Le paysage médiatique aime distribuer les étiquettes afin que chacun s’y retrouve et que les cochons soient bien gardés. Aymeric Caron a donc son code-barres : il est végétarien. Mais il ne s’agit pas d’un simple régime culinaire. Militant antispéciste – c’est-à-dire refusant la supériorité de l’homme sur l’animal –, il a fait du bien-être animal un engagement politique.

« Pour nous, il est important d’avoir de tels porte-parole, explique Clémence Laot, l’une des organisatrices du festival Veggie Pride, qui s’est déroulé à Paris en octobre. Par ses interventions à la télévision ou son livre, No steak (Fayard, 2013, ndlr), il fait œuvre de pédagogie vers un public pas forcément prêt à aborder ces questions. » Etre l’emmerdeur, Aymeric Caron en a l’habitude : « Le végétarien exaspère et on le lui fait sentir, écrit-il dans No steak. Invité dans un dîner, il se trouve mitraillé de questions dont la première est invariablement : “ Pourquoi es-tu végétarien ? ” Autrement dit : “ Pourquoi as-tu fait un choix différent du mien ? ” Avec en creux cette interrogation : “ Lequel de nous deux à tort ? ” »

Pour lui, tout est parti de Lustucru, son lapin nain qui a failli passer à la casserole quand il était petit, et d’un agneau qui n’avait pas de nom, destiné qu’il était à finir à l’abattoir. Plus tard viendront René Dumont, l’agronome auteur, et Théodore Monod, l’explorateur. A Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), où il a grandi, sa mère lui servait de la viande midi et soir pour qu’il grandisse bien. Aymeric Caron a 12 ans quand, dans une ferme du voisinage, il rencontre l’agneau sans nom, à peine sorti du ventre de sa mère. L’enfant demande à l’éleveur ce qu’il va en faire. « Ben, répond l’éleveur avec le ton de l’évidence, on va le manger ! » Il décide alors de ne plus manger de jeunes animaux. Puis de ne plus avaler de petits animaux (la logique est imparable : mieux vaut manger un seul gros animal qu’en tuer plein de petits qui ne nourrissent pas son homme). Puis, à 22 ans, de dire adieu à la viande et au poisson. Sa mère, infirmière née en Hollande, et son père, enseignant, l’ont d’abord regardé bizarrement. Le paternel a depuis peu suivi l’exemple du fils.

« Militant de la glande »

« Je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu Europe Ecologie - Les Verts (EELV) s’exprimer sur le végétarisme ou le bien-être animal, pointe Aymeric Caron. L’écologie politique est dans le coma, inopérante. Le discours de Cécile Duflot date d’il y a vingt ans : les énergies renouvelables, c’est bien, mais l’écologie ne se résume pas à ça. » Avec quelques proches – l’ancien patron du journal Le Point Franz-Olivier Giesbert, la députée européenne EELV Sandrine Bélier, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux Allain Bougrain-Dubourg –, Aymeric Caron a déposé les statuts d’une association qui regroupera des artistes et des personnalités militant pour le bien-être animal.

« La question du vivant intéresse beaucoup plus de personnes qu’on ne le croit : leur vision du monde n’est nulle part représentée dans le débat. » Dans une tribune parue dans Le Monde en septembre, ils ont ainsi soutenu une proposition de loi du maire UDI Yves Jégo (Lire ici qui, au nom de la laïcité, prône un menu alternatif végétarien dans toutes les cantines. « Aymeric est très très exigeant vis-à-vis de lui-même – c’est sans doute pour cela qu’il peut être si dur avec les partis politiques, décrypte Sandrine Bélier. Son engagement écologiste se fonde sur la base d’une réflexion sur le monde, qu’il a mise en cohérence avec sa vie. » Certes. Mais notre végétarien, tout de même, a des chaussures en cuir. Notre écolo roule à moto en plein Paris. « Je ne fais pas un concours de celui qui sera le plus écolo – cette manière de vouloir toujours vérifier si tel militant vert fait du vélo tient du gadget », esquive-t-il. Aymeric Caron dit ne souffrir d’aucun traumatisme « post ‘‘ je suis dans le poste ’’ ». Il assure aussi être un « militant de la glande », mais sur ce point il est possible qu’il invente. Il travaille sur deux nouveaux livres (sur l’éthique animale et sur notre rapport faussé au temps et à la mort) et court toujours (il a fait le marathon de New York l’an passé). Ce fan de Steven Wilson et de Led Zeppelin compose chaque jour, sous casque, sur son piano numérique. Pour ne pas déranger ses voisins. Aymeric Caron ne peut tout de même pas passer son temps à emmerder le monde.

(1) On doit ces mots, par ordre d’apparition, à Alain Finkielkraut (philosophe), Marcela Iacub (essayiste), Bernard Kouchner (homme politique), franckunderwood (pseudo d’un lecteur de Liberation.fr) et Caroline Fourest (essayiste).


En dates

1971 Naissance à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais)

1993 Devient végétarien

1995 Diplômé de l’Ecole de journalisme de Lille

2012 Commence comme chroniqueur dans « On n’est pas couché »

2013 Publie No steak (Fayard)

Mai 2015 Arrête l’émission de télé