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Les nouveaux rings du combat climatique ? Les banques et les tribunaux !
lundi, 28 septembre 2015 / Amélie Mougey

C’est un mouvement de fond(s) : galvanisés par l’approche de la COP21, l’épargne citoyenne dans les énergies propres, le désinvestissement des énergies fossiles et la justice climatique sont en plein boom.

« Après le sommet de Copenhague, certains se disaient que le climat ne mobiliserait jamais », confiait Txetx Etcheverry, l’un des militants à l’origine du mouvement Alternatiba, en février dernier. Le succès du village des alternatives contre le changement climatique qui, ces 26 et 27 septembre, a rassemblé quelque 60 000 personnes à Paris, a donné tort aux pessimistes. C’est sans compter sur d’autres mouvements de fond(s). Deux jours plus tôt, la Nef, banque aux placements éthiques, et l’association Energie partagée lançaient la campagne Epargnons le climat, incitant les citoyens à mettre leur épargne au service de la transition énergétique. Une semaine auparavant, le mouvement de désinvestissement annonçait des chiffres témoignant d’un essor sans précédent. Au même moment, le gouvernement néerlandais faisait appel de sa condamnation, devant les tribunaux, à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Car au-delà des marches et des rassemblements, la mobilisation pour le climat, galvanisée par l’approche de la COP21, invente de nouveaux modes d’action. Tour d’horizon.

1. Le succès fulgurant des campagnes de désinvestissement

Le constat est sans appel. Eviter que le climat ne se dérègle plus encore suppose de laisser sous terre au moins « un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80% du charbon », selon une étude publiée en janvier dans la revue Nature. Sachant cela, peut-on continuer à financer leur extraction ? Négative et catégorique, la réponse est la raison d’être du mouvement de désinvestissement porté par le mouvement 350.org, nommé ainsi en référence à la concentration de CO2 dans l’atmosphère (en parties par million) à ne pas dépasser.

Tout commence en 2011 sur un campus de Philadelphie, aux Etats-Unis. Une poignée d’étudiants font alors pression sur le fonds d’investissement de leur université pour qu’il détourne son argent du charbon. Quatre ans plus tard, 436 institutions et 2 040 individus ont annoncé leur intention de retirer les compagnies gazières, pétrolières et extractives de charbon de leurs portefeuilles d’investissements. Parmi eux, la fondation Rockefeller, qui un demi-siècle plus tôt faisait pourtant fortune grâce au pétrole et à la Standard Oil, le fonds souverain de la Norvège, Leonardo DiCaprio ou le Guardian, le journal britannique parti en campagne contre le dérèglement climatique.

A eux tous, ces institutions et ces individus pèsent désormais 2 600 milliards de dollars (2 300 milliards d’euros), selon une étude du cabinet Arabella Advisor. En un an, leur nombre a été multiplié par deux, leur poids économique par cinquante ! D’après une étude menée par l’université d’Oxford, ce mouvement de désinvestissement baptisé Fossil Free se propage plus vite que les précédents, tournés contre l’industrie du tabac ou les promoteurs de l’apartheid.

Cette campagne, frappant les compagnies extractives au porte-monnaie, est surtout efficace pour noircir leur réputation. « Les dernières études financières prouvent qu’il y a désormais un risque à investir dans ces activités, et on peut imaginer que des investisseurs s’en détournent non seulement pour des raisons éthiques mais simplement aussi parce qu’ils ont compris qu’il s’agissait d’énergies du passé », explique Clémence Dubois, porte-parole pour la France du réseau 350.org. Mais l’équipe de recherche d’Oxford nuance : « L’impact direct sur les dettes et les actions va probablement être limité (…). Là où les campagnes seront le plus efficaces, c’est dans le déclenchement d’un processus de stigmatisation de ces compagnies. » Une stigmatisation qui doit rejaillir sur ceux qui les soutiennent, fonds de pension comme gouvernements. « La France, actionnaire de compagnies productrices d’énergies, comme EDF, pourrait faire beaucoup plus en matière de désinvestissement », note Clémence Dubois.

2. L’épargne citoyenne pour faire tourner les énergies renouvelables

Prendre d’une main pour mieux redonner de l’autre. Détourner son argent des énergies sales, pour mieux le placer dans les renouvelables. C’est ce que prône Christiana Figueres. La secrétaire exécutive de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques estime qu’« investir à large échelle dans l’énergie propre et efficace offre un des choix les plus évidents de progrès humain ». Seul bémol, les projets d’énergie renouvelables sont rarement cotés en bourse. « Comme ces énergies sont décentralisées, il faut faire appel à une épargne décentralisée », estime Laure Verhaeghe, cofondatrice de Lendosphere, une plateforme de prêts rémunérés dédiée au financement des énergies renouvelables. Lancé en décembre 2014, ce système calqué sur l’épargne solidaire a pour double vocation de « donner aux citoyens le pouvoir de soutenir des projets qui ont du sens pour eux, souvent par leur proximité géographique », et d’offrir aux développeurs d’énergies « une solution lorsqu’ils n’en peuvent plus d’attendre leur crédit bancaire », explique la cofondatrice. A ce jour, 14 projets éoliens et photovoltaïques ont vu le jour après avoir récolté des montants allant de 40 000 à 143 000 euros. Les prêteurs, eux, ont signé pour des taux d’intérêts allant de 3,3% à 7% « qui permettent d’intéresser tout le monde et pas seulement les militants », poursuit Laure Verhaeghe.

L’association Energie partagée, née en 2010, a créé un fonds d’investissement national moins lucratif… mais plus collectif, basé sur les souscriptions de milliers de citoyens. Chacun achète une ou plusieurs actions à 100 euros dont la rentabilité est le résultat d’un rééquilibrage entre les différents projets. Après avoir aidé à financer, en apportant le capital de départ, une trentaine de projets en France, Energie partagée s’est associée à la Nef pour lancer la campagne Epargnons le climat. « Nous sommes un peu le versant positif de la campagne de désinvestissement dans les énergies fossiles », expliquait son fondateur, Marc Mossalgue, en août dernier au magazine La Vie.

3. Laxistes et détraqueurs du climat devant les juges

Crime contre l’humanité, crime de guerre, génocide et bientôt… « écocide » ? Le mouvement citoyen End Ecocide on Earth milite pour que « les atteintes graves à l’environnement » soient jugées devant la Cour pénale internationale (CPI). « Il s’agit de criminaliser ces atteintes de manière à ce que leurs responsables soient poursuivis », explique Georges Menahem, chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) et membre du mouvement. Etats laxistes et multinationales polluantes sont dans le viseur : « la catastrophe de Bhopal, en Inde, l’agent orange de Monsanto pourraient ainsi passer devant les tribunaux », explique George Menahem. Quant au climat, les 90 multinationales responsables à elles seules de plus des deux tiers des gaz à effet de serre, Exxon, Chevron et British Petroleum en tête, pourraient être inquiétées. Afin de donner à la CPI cette possibilité, l’ONG a déposé 17 amendements destinés à changer ses statuts. Mais pour être pris en compte, ceux-ci doivent être portés par un Etat membre de l’ONU. les Maldives ou le Vanuatu, pays parmi les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique, se montrent intéressés. L’idée de juger le crime climatique n’est pas nouvelle. En 2009 déjà, le président bolivien, Evo Morales, plaidait en faveur de la création d’un tribunal du climat. Mais l’avancée la plus concrète sur ce terrain date de juin dernier.

Au Pays-Bas, 900 citoyens, soutenus par l’organisation de défense de l’environnement Urgenda, ont déposé plainte contre leur propre gouvernement dont ils jugeaient l’action en matière de lutte contre le dérèglement climatique trop timorée. Première historique, les juges leur ont donné raison. Estimant que le gouvernement « a le devoir de veiller à la protection et l’amélioration de l’environnement », le tribunal de la Haye a ordonné à l’Etat néerlandais de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 25% d’ici à 2020.

Convaincue que la bataille climatique pouvait obtenir des victoires devant la justice, une équipe de recherche de l’université de Yale planche depuis mars dernier, au sein du groupe de travail Global justice programme, sur la mise en place d’un arsenal d’outils juridiques permettant de renouveler l’expérience des Pays-Bas. L’ idée séduit aussi l’avocate Corinne Lepage. A une condition près : que la responsabilité incombe aux hommes politiques et non à l’Etat en tant que tel pour éviter « que ce soit le contribuable qui paie et qu’au final l’action des citoyens se retourne contre eux ». Au Pays-Bas, le gouvernement a fait appel.