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Plantes non traitées, famine assurée ?
mercredi, 23 septembre 2015 / Amélie Mougey

Sans pesticides, une partie des récoltes seraient perdues, nous assurent les pros du secteur. Mais leur argument n’est valable que dans un modèle agricole figé.

Nourrir le monde.Telle est, si l’on en croit les firmes qui les produisent, la vocation des pesticides. S’en priver conduirait immanquablement les 10 milliards d’êtres humains que nous serons en 2050 à la famine. Pour l’UIPP, l’Union des industries de la protection des plantes, il n’y a pas d’autre solution. Très active dans sa communication numérique, en mai, l’association professionnelle composée de 21 entreprises publiait le tweet alarmiste ci-dessous :









Mais, hors contexte, cette projection n’a que peu de sens.

Ces estimations préoccupantes, l’UIPP ne les a toutefois pas inventées. Elles proviennent d’une étude de 2004 publiée dans la revue Crop Science. On y apprend en effet qu’à l’échelle mondiale les récoltes de riz déclineraient de 38%, celles de pommes de terre de 32% et celles de maïs de 50% si rien n’était fait pour les protéger. Reste à savoir ce qu’on entend par protection. A l’étroit dans les 140 caractères octroyés par la plateforme de micro-blogging, l’UIPP se garde bien de le préciser. Mais un coup d’œil sur ses éditos confirme que « protection des plantes » et « solutions de l’industrie phytopharmaceutique » sont pour elle synonymes. A l’inverse, le professeur Erich-Christian Oerke, auteur principal de l’étude, inclut, dans la protection des plantes, « les méthodes biologiques et mécaniques ».

Pour Eugénia Pommaret, directrice de l’UIPP, ces chiffres demeurent absolument inattaquables puisqu’ils sont « repris par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr) ». Mais certains passages des rapports onusiens, dans lesquels Erich-Christian Oerke est en effet généreusement cité, semblent avoir échappé à la vigilance des communicants de l’UIPP. « Le développement agricole est confronté à un paradoxe : en termes relatifs, les pertes de récolte augmentent parallèlement à l’usage des pesticides », peut-on lire, ou encore : « Il est amplement prouvé que les pesticides aggravent plus qu’ils ne résolvent les problème de ravageurs dans de nombreuses cultures, en augmentant par exemple le nombre de mouches blanches, de charançons du cotonnier. » La cause de ces effets contre-productifs ? La « déstabilisation et la destruction des prédateurs naturels, l’émergence de ravageurs secondaires, qui deviennent plus importants que ceux contre lesquels les pesticides étaient censés lutter, et le développement d’une résistance aux pesticides. »

« Agriculture écologiquement intensive »

En clair, plus on traite, plus on a besoin de traiter. Une partie des « 30% à 40% de pertes » liées à l’abandon des pesticides est donc la conséquence directe de l’usage même de… pesticides. Résultat, « cette estimation n’est valable que si l’on raisonne à mode de production constant, précise Jean-Marc Meynard, agronome et chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique. Mais, dans un système agricole qui a fait des pesticides sa clé de voûte, ça n’a pas de sens d’arrêter sans rien changer. »

Mais la projection vacille si l’agriculture repart du bon pied. « Dans les pays où les écosystèmes n’ont pas été détruits, soit la moitié des surfaces agricoles, on peut encore mettre en place une agriculture écologiquement intensive sans passer par la case pesticides et monoculture », précise Marc Dufumier. L’agronome et chercheur à AgroParisTech en veut pour preuve le rapport Iaastd, œuvre de 400 scientifiques, qui reconnaît l’efficacité des techniques « d’agroécologie » et « d’agroforesterie » pour « accroître les rendements ». En pratique, ces modes d’agriculture sont expérimentés avec succès de l’Ouganda au Malawi en passant par l’Inde. La tâche est plus ardue dans les pays où les haies et prédateurs naturels ont largement disparu. « En France, comme aux Etats-Unis, en Chine ou au Brésil, il faudra dix ans pour faire revenir les abeilles, trente ans pour retrouver un humus de qualité, concède Marc Dufumier. Mais il y a déjà en France des formes d’agricultures bios, comme la permaculture, qui, sans pesticides, produit deux fois plus à l’hectare », ajoute-t-il en citant la ferme du Bec Hellouin, dans l’Eure.

Quant à l’argument de la faim dans le monde, il est vite balayé. « Pour être nourri modestement mais correctement un individu a besoin de l’équivalent de 200 kg de céréales par an, précise l’agronome. Ramenée au nombre d’habitants la production mondiale est actuellement de 330 kg ». Autrement dit, sans gaspillage ni inégalités, un tiers de notre production alimentaire serait superflu. Les insectes pourraient se régaler. —