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Thomas Huriez, l’avant-garde-robe
mercredi, 23 septembre 2015 / Maïté Darnault

Jean 100% français, pull en laine recyclée, T-shirt en coton bio… Cet entrepreneur, super-communicant et roi du crowdfunding, enchaîne les projets et relance l’économie locale.

Quelle est la première chose que vous regardez dans le miroir quand vous essayez un nouveau jean ? Et qu’est-ce que les autres observent, plus ou moins discrètement, quand vous marchez dans la rue ? « Vos fesses », lâche Thomas Huriez, 34 ans, du haut de son 1,94 mètre. C’est donc sur la partie charnue de notre anatomie que prend place, une fois le jean acheté, l’emblème de 1083, la marque textile écoconçue de cet entrepreneur rhônalpin : un hexagone barré d’une diagonale couleur coquelicot. Ce fil rouge, cousu sur la poche arrière droite du pantalon, représente les 1 083 kilomètres reliant Menton (Alpes-Maritimes) à Porspoder (Finistère), les deux villes les plus éloignées de France à vol d’oiseau. Une limite symbolique que s’est fixée Thomas Huriez pour faire fabriquer son denim. Le coton bio pousse en Turquie puis est filé en Italie, mais la toile est entièrement tissée, teinte et confectionnée en France.

Or, qui dit jeans dit baskets. Et l’hyperactif Thomas Huriez vit justement à Romans-sur-Isère (Drôme), la capitale de la chaussure, où le savoir-faire ancestral se meurt à petit feu depuis un quart de siècle. 1083, ce sont donc aussi des sneakers, réalisés avec les quelques ateliers encore existants (Insoft, Max Vincent). En lançant son affaire en 2012, l’affable et intarissable informaticien de formation a permis d’en maintenir d’autres, survivants de l’industrie textile made in France (des tisserands des Vosges et de la Loire, un couturier marseillais, un fabricant de fils du Nord…) que l’ouverture des frontières dans cette filière avait définitivement sinistrés dans les années 2000. Le chantre de la « relookalisation » concède que la voie de la mode éthique et durable n’est pas bordée (que) de pâquerettes. En 2007, il ouvre Modetic, une enseigne qui commercialise les pièces de fabricants « vertueux ». « J’étais relativement incompétent – et ce n’est pas grave : on ne naît pas entrepreneur », confesse-t-il. Quatre ans plus tard, alors qu’il se sent enfin « formé », son principal fournisseur ferme. « On était à un moment clé : les marques conventionnelles commençaient à faire du bio et communiquaient à fond là-dessus. Nous, on coulait. Il y avait un marché, mais on était passés à côté. »

Trop exotique, trop folklorique

Aujourd’hui, il juge son offre d’alors « trop exotique, trop folklorique ». Trop sarouel en chanvre et pas assez Monsieur Tout-le-Monde. « Je veux aussi faire la chemise blanche du banquier, il a le droit de porter du coton bio, non ?, s’exclame Thomas Huriez. Pendant quatre ans, j’ai vendu des vêtements à une clientèle acquise, mais j’ennuyais les autres avec des dogmes culpabilisateurs. Pour s’affranchir de cette offre clivante par nature, il fallait une démarche plus intelligente. » Ce sera 1083, dont le lancement recourt au financement participatif, via Ulule. Roi de la tchatche, Thomas Huriez promet, si la 1 083e précommande est dépassée, de rallier Menton à Porspoder à vélo. Objectif plus qu’atteint. Beau joueur, il organise l’été suivant l’expédition en tandem avec son épouse. Soit 1 666 km par la route, 17 étapes en deux semaines et autant de vidéos mises en ligne pour raconter leurs rencontres avec des « relocaliseurs » de la communauté 1083 – fans de la marque sur les réseaux sociaux, clients ou fabricants associés. Une belle occasion de balader son logo – une borne kilométrique rouge, sous-titrée « borne in France » – et d’affirmer sa singularité dans le sillage de la marinière d’Arnaud Montebourg.

Pour compléter la garde-robe, Thomas Huriez a lancé Le Tricolore – également grâce au crowdfunding –, une marque de pulls en laine et coton recyclés par une filature du Tarn, selon les principes de l’économie circulaire. Son slogan : « Le tri, le tricot, le tricolore. » Cet « écolo sincère » – selon ses propres mots –, présent sur une liste centriste aux régionales de 2010, confesse pourtant un intérêt modéré pour le milieu de la mode et ses frasques. Il se passionne en revanche pour l’influence de cette sphère sur la vie de la cité : « C’est une manière de parler de ses convictions en matière de consommation. » Des convictions qui ont, un temps, failli freiner le jeune chef d’entreprise. « Au début, je trouvais le made in France très connoté Le Pen. J’étais très gêné par le côté nationaliste, reconnaît-il. Mais je faisais fausse route. » La notion clé ? « La proximité, qui nous rend meilleurs, qu’on le veuille ou non : plus on est loin, plus on perd, mécaniquement, en sens des responsabilités », dit-il, pointant le risque « d’abandonner à Le Pen des symboles qui ne lui appartiennent pas ».

« Le modèle économique d’il y a cinquante ans »

Car Thomas Huriez, volleyeur à ses – rares – heures perdues, est un fédérateur, qui prône le jeu collectif. En juin dernier, il a lancé, toujours via la plateforme Ulule, l’opération « L’union fait la France ». L’idée a germé au côté d’Emmanuel Sieger, le créateur de Storks, une marque alsacienne de polos et chaussettes. Leur concept ? Des T-shirts 100% coton bio, 100% français. Et dotés d’un slogan un brin provocateur. « Oui, ça ressemble à un mot d’ordre politique, admet Emmanuel Sieger. Mais quand on fait de la fabrication française et qu’on sort fièrement les couleurs du drapeau, on se fait facilement tirer dessus. » Pourtant, dans le fond, estime-t-il, « personne ne peut aller contre nous, tout le monde a intérêt à être derrière nous car tout le monde s’y retrouve ».

Au même moment, en juin, les Français apprenaient que les T-shirts de campagne des partis politiques français, quel que soit le bord, venaient de l’étranger. Alors que le mode d’emploi pour relocaliser n’est pas sorcier, assure Thomas Huriez. « Pour lancer 1083, je m’étais demandé comment on vendait une paire de chaussures à Romans-sur-Isère dans les années 1950 », raconte-t-il. Sa conclusion : haro sur les intermédiaires. Aujourd’hui, quand il vend son jean 89 euros, près de 85 euros vont à l’économie locale. « Ça paraît hyper innovant, alors qu’il s’agit du modèle économique d’il y a cinquante ans… », sourit-il. Cette recette éprouvée, il a décidé de la rappeler aux principales formations politiques. A la fin du mois d’août, seuls l’UDI et le PS avaient répondu à sa lettre ouverte et organisé une rencontre.

Cette année, le Drômois a vendu près de 8 000 pantalons et 3 000 paires de baskets, prévoyant un chiffre d’affaires d’un million d’euros (700 000 euros en 2014). Il a employé une dizaine de sous-traitants, ouvert une seconde boutique (1) et réalisé sa treizième embauche. Avouons-le, les jeans 1083 font un très chouette popotin. Mais les habits ne sont pas, pour Thomas Huriez, qu’un moyen d’assurer ses arrières. C’est d’abord une façon d’incarner l’avant-garde. —

(1) 70% de son activité est réalisée sur Internet.



Thomas Huriez en dates
- 1981 Naissance à La Tronche (Isère)
- 2007 Ouvre la boutique Modetic sur Internet et à Grenoble
- 2013 Boucle la campagne Ulule pour la marque 1083
- 2014 Boucle la campagne Ulule pour Le Tricolore