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Fin du soutien au charbon : la France fera-t-elle volte-face ?
mardi, 15 septembre 2015 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Le Premier ministre Manuel Valls l’a assuré : fini, les crédits à l’exportation pour les nouvelles centrales au charbon incapables de stocker leur CO2. Une promesse qui ne date pas d’hier. L’Etat la tiendra-t-elle cette fois ?

« Nous supprimerons immédiatement les crédits exports pour tous les nouveaux projets de centrale à charbon qui ne sont pas dotés d’un dispositif de capture et stockage de CO2 », a déclaré ce 10 septembre le chef du gouvernement. Une mesure inédite ? Inattendue ? Historique ? Pas tout à fait. Le 4 février dernier, Manuel Valls disait peu ou prou la même chose : « La France supprimera l’assurance-crédit à l’export des centrales charbon sans stockage de carbone. » Une annonce qui ne faisait déjà que reprendre – en limitant leurs portées – les mots du président François Hollande en date du 27 novembre 2014. Lors de la Conférence environnementale, celui-ci annonçait alors la suppression de « tous les crédits accordés aux pays en développement dès lors qu’il y a utilisation du charbon ». Alors quoi de nouveau sous le soleil ? Et comment garantir que la France ne fera pas volte-face ? Entretien avec Lucie Pinson, spécialiste du dossier pour Les Amis de la Terre.

Terra eco : Quelle est la différence entre l’annonce du Premier ministre le 10 septembre et sa prise de parole en février 2015 ?

Lucie Pinson : C’est du réchauffé. Mais cette prise de parole était néanmoins nécessaire parce qu’il fallait clarifier les choses après la reculade de juin dernier [1]. D’autant qu’elle arrive après un été pendant lequel, outre les grands débats sur la Coface (Compagnie française d’assurance du commerce extérieure), le gouvernement a tenté de faire passer en force dans la loi Macron le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure et a, par la voix de son Premier ministre, fait de la provocation autour du redémarrage prochain des travaux à Notre-Dame-des-Landes… A trois mois de la COP, il fallait donc clarifier la position française sur les aides au charbon par la Coface. Reste que l’annonce de jeudi conserve le même flou que celle de février. Nous aurions voulu que deux garanties supplémentaires soient affirmées publiquement : qu’il n’y ait pas d’exceptions et que les crédits ne soient accordés qu’à des centrales équipées d’un dispositif de CCS (capture et stockage de CO2, ndlr) opérationnel [2].

Pourquoi est-ce important ?

Si l’opérationnalité du dispositif n’est pas confirmée, la France pourra continuer de soutenir des projets de centrales qui émettront, pendant quarante ans environ, des millions de tonnes de CO2 chaque année sans aucune garantie sur le réel stockage du CO2 et donc sur le contrôle des émissions. Ce fut le cas pour les deux projets de centrales de Kusile et de Medupi soutenus par la Coface en Afrique du Sud. Bien que dites équipées d’un CCS, ces centrales émettront jusqu’à 60 millions de tonnes de CO2 par an tant que le dispositif ne sera pas opérationnel. Or, il ne le sera au mieux qu’en 2030 ! Pour donner une idée, la France, c’est 320 millions de CO2 émis par an. C’est pour cela que l’opérationnalité est un critère important en termes d’impact climatique, même si pour nous, ONG, il faut un arrêt total du soutien financier à cette énergie, sale pour l’environnement dans son ensemble.

Si le gouvernement parle bien de centrales équipées d’un dispositif opérationnel, qu’est-ce que cela veut dire ?

L’arrêt immédiat de tout soutien au charbon, puisque le dispositif de CCS n’est pas opérationnel aujourd’hui. Et ce, sans exceptions. La France serait alors le pays qui va la plus loin au niveau international. Elle dépasserait la position des Etats-Unis qui sont jusqu’ici les premiers à avoir stoppé les soutiens publics au charbon via leur agence de crédit aux exportations Ex-Im, mais avec des exceptions. Cela laisse espérer que le gouvernement est enfin prêt à tenir ses responsabilités en tant que hôte de la COP21 et à faire preuve de l’exemplarité nécessaire pour convaincre ses partenaires de s’engager vers la fin de leurs soutiens aux énergies fossiles. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un engagement de 2014 et que nous attendons de nouveaux engagements avant la fin du mois de novembre. Il faut que l’Etat s’attelle au plus vite à la fin des investissements dans le secteur du charbon par les entreprises dont il est actionnaire, comme EDF ou Engie. Il est aussi temps qu’il entame une vraie transition énergétique en France avec un développement plus manifeste des énergies renouvelables et une sortie du nucléaire, qui doit commencer par l’arrêt de Fessenheim. Sur cette question, on attend toujours que le président tienne l’engagement qu’il a pris avant son élection. Cela fait trois ans maintenant.

Comment être sûr que le gouvernement ne fasse pas à nouveau volte-face sur l’arrêt des crédits au charbon ?

On ne peut pas croire que, à trois mois de la COP, un gouvernement qui se doit d’être moteur dans la lutte contre le changement climatique ose faire à nouveau demi-tour.

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