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Et si l’on mangeait les nuisibles ?
mardi, 25 août 2015 / Alexandra Bogaert

Consommer du ragondin en pâté ou un écureuil à l’étouffée serait-il un moyen de réduire le gaspillage ? Peut-être, mais les normes sanitaires et la barrière culturelle sont difficiles à franchir.

Au menu du jour de La Cantine des animaux indésirables, un foodtruck amstellodamois, du corbeau épicé, de l’écureuil à l’étouffée et du rat musqué bouilli. A l’origine de ces repas à priori peu ragoûtants, deux artistes un peu toqués. Leurs buts : faire prendre conscience que le contenu des assiettes est dicté par les modes et les cultures et éviter le gaspillage de nourriture. Car bien souvent ces animaux – comestibles bien que nuisibles – sont tués plutôt que mangés. Et si la France, reine de la gastronomie, passait elle aussi ses nuisibles à la casserole ? « On en mange déjà certains comme les sangliers ou les lapins, rappelle Hubert Géant, directeur de la police de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage. Quant au rat musqué ou au ragondin, il existe une petite consommation. » Notamment en Pays de la Loire et en Poitou-Charentes où ce dernier a été rebaptisé « lièvre des marais » pour être englouti avec moins de réticence.

« En cocotte ou en soupe »

Cuisiner aussi les martres, visons d’Amérique, chiens viverrins et geais des chênes ne serait-il pas un moyen de diminuer le cheptel domestique dont l’impact sur le changement climatique est nocif ? « Les quantités de nuisibles prélevés sont infimes et l’impact sur l’élevage serait infinitésimal », tranche Pierre de Boisguilbert, secrétaire général de la Société de vénerie. Et pourtant, potentiellement, ça en fait de la viande. Prenez un ragondin de sept à huit kilos, dont plusieurs de bonne chair, à multiplier par 440 000 – soit le nombre de ces myocastors tués l’an dernier, d’après les estimations de Didier Lefèvre, vice-président de l’Union nationale des associations de piégeurs agréés de France. Il faut leur ajouter 300 000 renards, 50 000 fouines, 200 000 rats musqués, 300 000 pies, 800 ratons laveurs. Aujourd’hui, l’essentiel de ces animaux prennent directement le chemin de l’équarrissage. Fondateur du Journal des piégeurs, Didier Lefèvre a testé des magrets de corneille – « pas mauvais » – et envisage de proposer des cuisses de renard à ses amis. Il en a trouvé une recette dans un livre de cuisine des années 1950. Problème : le goupil, comme les nuisibles de la famille des mustélidés, appartient à ce qu’on appelait autrefois les « puants ». Il faudrait sacrément bien l’accommoder pour pouvoir l’apprécier. Idem pour le pigeon ramier ou le corbeau : « Si vous tombez sur un vieux, c’est de la carne, il faut le faire en cocotte ou en soupe. »

Tartare de zèbre

Pour répandre la consommation de tout ou partie de ces nuisibles au-delà du cercle restreint des piégeurs et chasseurs, il faudrait respecter de nombreuses contraintes sanitaires. « Un boucher n’a pas le droit de découper ou de suspendre un sanglier dans la même pièce qu’un bœuf. Un chasseur qui tue un sanglier le matin n’a pas le droit de le lui apporter l’après-midi, car ce serait rompre la chaîne du froid », détaille Didier Lefèvre. Résultat : les laies sauvages sont abattues quand celles que l’on mange sont le plus souvent importées d’élevages américains… Mais la plus grosse difficulté serait culturelle. « Dans notre société, il est difficile de manger des carnivores », constate l’anthropologue Jean-Pierre Digard. « Tout est affaire de mode, considère pour sa part Didier Lefèvre. On mange bien du kangourou ou de l’autruche dans certains restaurants. » Si Jacques Reder, chasseur de gibier dans de nombreux pays, a compilé des recettes de tartare de zèbre ou de langue de springbok dans son livre Gibiers exotiques (Montbel, 2014), il n’a jamais goûté les nuisibles hexagonaux, ragondin mis à part. La raison ? « Contrairement aux populations d’autres continents, on n’est pas à la recherche de la moindre bestiole qui pourrait nous fournir des protéines. L’élevage nous apporte tout ce qu’il faut. Pourquoi je mangerais du renard alors que je n’ai qu’à aller au marché pour trouver mon jambon ? Je ne donnerai jamais une côte de bœuf pour deux corbeaux. » Et de conclure : « Si c’était bon, ça se saurait. » —

Qui sont les nuisibles ?

Nuisibles ou « animaux susceptibles d’occasionner des dégâts », comme prévoit de les qualifier le projet de loi sur la biodiversité. Le dernier arrêté ministériel les désignant pour trois ans est paru le 4 juillet 2015. On y distingue les espèces importées telles que le ragondin, le rat musqué, le vison d’Amérique ou encore le chien viverrin des espèces indigènes (fouine, martre, putois, renard…). Concernant ces dernières, il revient au préfet de chaque département de déterminer si elles relèvent de nuisibles sur son territoire. Idem pour les nuisibles du troisième groupe (sanglier, pigeon ramier, lapin de garenne) classés ou non comme tels dans tout ou partie du département par arrêté préfectoral. —