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Alternatiba, le village global et climatique qui monte, qui monte
jeudi, 2 juillet 2015 / Amélie Mougey

Bayonne, Bordeaux, Nancy et bientôt Paris… Dans près de 70 villes françaises, des « villages des alternatives » essaiment. Le mouvement militant et festif n’en finit plus de prendre l’ampleur et entend peser au delà de la COP21.

Tandis qu’il chemine dans le quartier de la « Consommation responsable » pour rejoindre la « zone de gratuité », le promeneur est attiré par une voix s’élevant du chapiteau « Naomi Klein ». Devant un auditoire captivé, l’agronome Marc Dufumier parle brevetage du vivant et agroécologie. A quelques pas, des étudiants s’essaient à la construction de meubles à partir de palettes en bois. Plus loin, des enfants s’extasient devant un hôtel à insectes avant d’avaler une tartine – à prix libre – de confiture maison arrosée de jus de fruit bio. En ce deuxième week-end de juin, à Saint-Quentin-en-Yvelines (Yvelines), familles écolos et altermondialistes de tous poils ont trouvé leur coin de paradis.

Crédit photo : Alternatiba


« Tout le défi, c’était de ne pas rester entre soi, de faire un festival avec, par et pour les habitants », explique Elise Ayrault, l’une des bénévoles à l’initiative de ce « village des alternatives contre le changement climatique » ou Alternatiba du nom du mouvement. Sous un barnum, devant un one man show tournant en dérision la surconsommation, des ados du quartier s’esclaffent, oubliant presque de baisser le regard sur le smartphone niché dans la paume de leur main. Leur implication s’est aussi jouée en amont, « dès la mise en place des stands, la construction des toilettes sèches… Une trentaine de jeunes, suivis par des éducateurs ou issus du foyer de mineurs étrangers isolés, nous ont beaucoup aidés », souligne la jeune femme.

Thérapie collective

Du parc boisé à la salle polyvalente, des stands balisent le chemin : celui du fournisseur d’énergie verte Enercoop, de la banque éthique La Nef, d’Artisans du monde ou des associations Greenpeace, Attac ou L214, dédiée au bien-être animal. Ici, un projet d’habitat partagé recrute. Plus loin, une initiative de production d’énergie citoyenne prend forme. « A travers ces villages, on veut montrer que dans tous les domaines de la vie, pour lutter contre le changement climatique, il y a des solutions », explique Txetx Etcheverry, membre de l’association Bizi ! (« Vivre ! », en basque ) qui a porté le premier projet d’Alternatiba à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), en octobre 2013.

Crédit photo : Alternatiba


Sous ses allure festives, ce premier rendez-vous, alors parrainé par Stéphane Hessel, était en fait une thérapie collective. « Après le sommet de Copenhague, on avait le moral à plat, on voyait le climat sortir de l’agenda. Certains en arrivaient à se dire que le sujet ne mobiliserait jamais », se souvient ce militant, également cofondateur d’une monnaie complémentaire et d’une chambre d’agriculture alternative. « Le problème climatique, ça te sidère, tu te sens impuissant et ça t’empêche d’agir. La seule issue, c’était de prendre cette question sous l’angle des solutions », poursuit-il de son accent chantant. Alors, dans un Bayonne « libéré de la bagnole », dotée d’une rue du « repos » et nourri aux produits locaux, près de 600 bénévoles ont démontré à quelque 12 000 personnes que leur objectif – « Changer le système, pas le climat » – pouvait s’atteindre dans la joie.

La COP21 donne « une responsabilité » ou au moins « une opportunité »

La partition a été rejouée l’année suivante à Bordeaux, à Nantes et à Lille. Cette année, depuis le début de l’été, ces rencontres « ludiques, participatives, pédagogiques » ont lieu tous les week-ends un peu partout en France (voir ici le programme). Le concept essaime même en Belgique, en Suisse et en Espagne. Au total, 185 collectifs et au moins 73 villages éphémères auront éclos d’ici à la COP21, le sommet onusien sur le climat qui se tiendra au Bourget en décembre prochain. « Le fait que ces négociations se passent en France, ça nous donne, à nous citoyens, une responsabilité, estime Ismaël, membre d’Alternatiba Bordeaux, ou au moins une opportunité de nous faire entendre ». Parallèlement aux festivals, des bénévoles se relaient aux pédales de tandems pour un Tour de France des alternatives parti de Bayonne le 5 juin dernier (Leur parcours est à suivre ici).

Crédit photo : Amélie Mougey


« Pendant trois mois et demi, il s’agit de toucher tous les territoires, pas seulement les villes où souvent les dynamiques existent déjà », explique Wandrille Jumeaux, membre d’Alternatiba Paris. Aux côtés de dizaines d’autres militants, il organise le 26 septembre prochain le plus grand village des alternatives, soutenu par 143 organisations et pensé pour accueillir 50 000 personnes.

Brainstorming dans le salon d’inconnus

Comme lui, de Rouen à Tahiti, des bataillons de bénévoles s’affairent, au moins neuf mois durant, pour préparer leur Alternatiba. Avant le rendez-vous bordelais, Ismaël se souvient n’avoir « quasiment pas dormi pendant quatre mois ». « Un bénévole qui avait peu de temps contribuait à sa façon, en nous ouvrant sa maison, raconte-il. Chaque jour, j’y allais directement en sortant du travail et j’y passais une bonne partie de la nuit. » A Paris aussi, étudiants, jeunes travailleurs, parents et retraités investissent, au minimum tous les quinze jours, les salons d’inconnus pour des sessions de brainstorming. Rassemblés en groupes thématiques – « Climat », « Education », « Economie »… –, quartier par quartier, ils mettent sur pied leur festival. Quand une mairie leur prête une salle, comme l’a fait celle du IIe arrondissement de Paris un dimanche de février, ils se réunissent par dizaines pour réfléchir à la cartographie.

Crédit photo : Amélie Mougey


« On ne passe pas des heures à discuter de grands concepts, on est dans l’action », explique l’un d’eux. Créer la première affiche, chercher du matériel, des partenaires, négocier les interdictions de circulation : les débats sont concrets. L’efficacité, maître-mot du mouvement, vise à faciliter le recrutement. « Une personne qui travaille à temps plein n’a pas envie de passer trois heures de son week-end à discuter dans le vide. Elle veut que son engagement ait un effet », explique Txetx Etcheverry, qui se définit lui-même comme un « radicalo-pragmatique ». Pour épargner des débats houleux aux suivants, les Basques ont rédigé un kit méthodologique de 150 pages détaillant comment mettre sur pieds un Alternatiba.

Crédit photo : Alternatiba


Recours au crowdfunding, recherche de subventions… Chaque groupe s’organise et parfois se chicane sur le financement de son événement. A Paris, la région et la mairie apportent leur soutien. D’autres groupes, comme celui de Nord-Essonne, préfèrent l’indépendance, rappelant que « l’engagement est la première ressource du mouvement ».

« De la marge pour penser »

Dans un bistrot de l’Est parisien, assis devant leur pinte de blonde, les nouveaux venus se présentent tour à tour. Informaticien, enseignant, ingénieur : l’Alternatibar, un rendez-vous bimensuel, brasse large. Dans la salle, beaucoup n’ont jamais milité. C’est le cas d’Emma qui à 24 ans termine ses études d’urbanisme et vient donner de son temps. « Il n’y a pas de doctrine, ce n’est pas un syndicat ou un parti politique. Ça laisse de la marge pour penser », explique-t-elle. « On n’est pas Alternatiba, on est soi-même et on participe à un Alternatiba », abonde Sandra, fondatrice du mouvement marseillais. Cette ouverture permet de recruter sur tous les fronts : sur les ZAD, au Forum social mondial, au Ouishare Fest, dans les espaces de travail partagé, les syndicats, les réseaux d’éducation populaire, des militants Alternatiba pointent le bout de leur nez, tentant de convaincre que « le climat est la mère de toute les batailles ». Leur seul point commun ? L’adhésion à la charte et le rejet « des fausses solutions », nucléaire et OGM, notamment.

Crédit photo : Amélie Mougey


Quatre mois avant le festival de Saint-Quentin-en-Yvelines, la salle polyvalente rassemblait déjà les représentants de tous les Alternatiba. Autour de la table, jeunes et vieux militants. Ils sont à Attac, au mouvement Colibris, au CCFD-Terre Solidaire, membres de la Confédération paysanne et parfois d’Europe Ecologie - Les Verts. « On laisse les étiquettes à l’extérieur », assure Julie, de Grenoble. La logique ? « Si on ne cherche pas ce qui nous divise, on peut mettre tout le monde d’accord », explique Txetx Etcheverry. « Le mouvement lui-même est apolitique », souligne Marion Esnault, d’Alternatiba Paris. L’intervention de militants du Front de gauche, du NPA, d’EELV, du collectif Roosevelt lors des évènements ne doit pas entamer l’indépendance du mouvement.

Crédit photo : Amélie Mougey


Ordre du jour minuté, mains qui s’agitent pour dire un refus, une approbation ou bien l’envie de couper court : la cérémonie jouée lors de chaque « coordination européenne » où se retrouve le noyau dur d’Alternatiba a de quoi laisser le néophyte pantois. « On a repris les méthodes d’Act-Up. Dans les années 1980, l’association voyait ses rangs décimés par le sida, il n’y avait pas de temps à perdre. » Cette communication non violente porte ses fruits : dans cette assemblée de 60 participants, les décisions se prennent tambour battant, au consentement. « Décider collectivement, ça peut être long, mais au final, on s’économise toute la perte de temps liée ensuite aux blessures d’ego », explique Marion Esnault, persuadée que « notre système de gouvernance est une alternative en soi ».

Ces réflexions ne cachent pas le premier des combats, celui du climat. Habitat partagé, mobilité douce, agriculture de proximité… « On veut voir les initiatives qu’on promeut se développer jusqu’à atteindre une taille critique et avoir un vrai impact sur les gaz à effet de serre », espère Wandrille Jumeaux. Du haut de ses 51 ans dont trente-sept d’engagement, Txetx Etcheverry voit surtout dans le mouvement le meilleur levier pour « créer une nouvelle génération de militants ». Dans un collectif qui n’a d’association que le nom et ne réclame aucune adhésion, les sympathisants sont impossibles à dénombrer. Le grand rassemblement prévu à Montreuil (Seine-Saint-Denis) pendant les quinze jours que dure la COP21 sera pour ces centaines d’électrons libres l’occasion de prendre la mesure de leur puissance.

Crédit photo : Amélie Mougey

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