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Eoliennes, la turbine à fantasmes (Episode 1) : le bruit et la santé
mardi, 30 juin 2015 / Amélie Mougey

Gêne sonore insupportable, infrasons entraînant des maladies… ces machines sont accusées, souvent de manière subjective, de tous les maux.

Ils s’appellent « Vent de colère », « Vent debout » ou « Stop éole » et pourraient faire tourner au vinaigre la recette d’une électricité française 100 % renouvelable concoctée par l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) pour 2050. Si le scénario de référence de son rapport, divulgué en avril, devenait réalité, l’éolien entrerait alors à 63% dans la composition d’une électricité décarbonée. Rien n’est gagné, les projections étant conditionnées à « l’acceptabilité sociale » de ces géants d’acier. Pour l’heure, la France compte 800 parcs éoliens pour une capacité installée de 9 143 mégawatts (MW), selon les constructeurs. C’est douze fois moins que les 106 gigawatts (GW) que projette l’Ademe dans trente-cinq ans. Redoutant un tel essor, les anti-éoliens sont virulents.

La Fédération environnement durable (FED), qui regroupe plus d’un millier d’associations et collectifs hostiles aux turbines, se montre redoutable sur le terrain juridique. « On fait tomber près d’un projet sur deux », se félicite Jean-Louis Butré, son président. Dépeinte par ses opposants, l’éolienne est bruyante, dangereuse pour la santé, néfaste pour l’immobilier, destructrice de biodiversité… « On attaque sur tous les plans », reconnaît Jean-Louis Butré, lui-même implacable envers la performance énergétique et économique de cette machine. Ces critiques sont-elles fondées ? Terra eco plonge dans la tempête pour démêler fantasmes et nuisances avérées.

100 décibels au niveau de la nacelle

En présence d’une éolienne, la perception auditive varie. Pour les uns, à 250 mètres de distance, « le bruit du marteau-piqueur peut être plus faible que celui de l’éolienne », rapporte l’Amac (Amis de Montcimet-Anost-Cussy), l’association antiéolienne de Saône-et-Loire. Pour les autres, comme Antoine Sachs, un journaliste de Rue 89, il est possible « de camper au pied d’une éolienne et de dormir comme un bébé ». Lequel de ces deux diagnostics reflète le mieux le ressenti des riverains ? « Le ‘‘ flap ’’ des pales qui passent à proximité du mât peut constituer une gêne sonore dans le voisinage », reconnaît Olivier Merckel, chercheur à l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. En France, la loi interdit d’implanter une éolienne à moins de 500 mètres d’une habitation. L’Académie de médecine préconisait 1,5 kilomètre, les sénateurs, un kilomètre. Aucun n’a obtenu gain de cause. « Associer l’exposition au bruit à une distance fixe n’est pas forcément une bonne idée. D’autres facteurs entrent en jeu dans la propagation du bruit, comme le sens du vent, la topographie, les conditions météo », poursuit le chercheur. En clair, on peut se trouver à 200 mètres d’une éolienne sans s’en apercevoir et, à l’inverse, être incommodé à plus de 500 mètres. Autant que par un marteau-piqueur ? En intensité sonore, la comparaison est correcte.

Comme l’outil de chantier, l’éolienne génère environ 100 décibels (dB) au niveau de la nacelle, soit entre 80 à 200 mètres au-dessus du sol. A hauteur d’homme, l’Ademe estime plutôt le bruit d’une éolienne à 55 dB, un niveau sonore qu’elle situe entre le bruit perçu dans une salle de séjour et le bruit entendu par une fenêtre ouverte sur la rue. « Mesurer, en décibels, le bruit émis par l’éolien n’est pas le plus pertinent pour caractériser la gêne, reprend Olivier Merckel. Il faut se concentrer sur l’émergence, c’est-à-dire l’écart entre le bruit de l’éolienne et le bruit ambiant. » Ainsi, que l’on vive en rase campagne ou à proximité d’une autoroute, la même éolienne chatouillera plus ou moins l’oreille. Sans pour autant troubler le sommeil. « A l’intérieur, fenêtres fermées, on ne recense pas de nuisances », affirme un rapport de l’Ademe. Un sondage du CSA confirme : parmi les personnes interrogées vivant à proximité d’éoliennes, trois sur quatre disent ne pas les entendre.

Nausées, vertiges et acouphènes

« Le bruit n’empêche peut-être pas de dormir, mais qu’en est-il des infrasons ? », s’interroge Jean-Louis Butré. Sur leur myriade de sites Internet, les opposants affichent une référence commune : l’étude de la pédiatre américaine Nina Pierpont, qui, en 2009, fit émerger le « syndrome de l’éolien ». Troubles du sommeil, nausées, tachycardie, irritabilité, vertiges, acouphènes… cette notion fourre-tout recouvre douze symptômes qui seraient imputables aux infrasons qu’émet l’infrastructure. En s’appuyant sur ces travaux, la Plateforme européenne contre l’éolien industriel a alerté, par une lettre ouverte, les décideurs européens sur l’impact des éoliennes sur la santé. Sauf que l’étude de Nina Pierpont, menée auprès de 38 personnes, est contestée. « Les infrasons peuvent avoir des effets pathogènes, liés à la mise en vibration de certains organes, confirme Olivier Merckel. Mais cela se produit à des niveaux extrêmement élevés, sans commune mesure avec les niveaux émis par une éolienne. »

Les familles de Nina Pierpont seraient-elles donc hypocondriaques ? Pas si simple. « Ce sont des symptômes fonctionnels, non mesurables, il y a une forme de subjectivité, souligne Patrice Tran Ba Huy, docteur et membre de l’Académie de médecine. De nombreux facteurs non médicaux, comme la contrariété ou la crainte de voir le prix de sa maison baisser, peuvent entrer en jeu. » Soit un « effet nocebo », le pendant négatif de l’effet placebo. Si le lien avec l’éolienne n’est pas prouvé, il n’est pas exclu non plus. « Comme pour les ondes électromagnétiques, on peut imaginer que certaines personnes déclarent une sensibilité particulière aux infrasons », reconnaît Olivier Merckel. Parmi les craintes des opposants, le docteur Tran Ba Huy en balaie au moins une : « Les ombres d’éoliennes projetées au sol n’ont à ce jour jamais provoqué la moindre crise d’épilepsie. »