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Pesticides : des maraîchers s’attaquent à Greenpeace
lundi, 22 juin 2015
/ Amélie Mougey
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Les uns sont taxés de « marchands de peur », les autres de producteurs de « pommes empoisonnées ». La sortie, le 16 juin, d’un rapport de l’ONG a déterré la hache de guerre entre l’ONG et certains producteurs. Interviews croisées.
Les 16 kilos de pommes avalés par ménage chaque année empoisonnent l’environnement. Telle est la conclusion du rapport de Greenpeace « Pommes empoisonnées. Mettre fin à la contamination des vergers par les pesticides grâce à l’agriculture écologique », publié mardi 16 juin. Après avoir réalisé 85 prélèvements de sol et d’eau dans 12 pays européens, l’ONG a relevé la présence de pesticides dans les trois quarts de ses échantillons. Sur les 53 substances identifiées « 70% sont dangereuses pour la santé humaine ou la faune sauvage », note l’ONG. Le document a provoqué l’ire des producteurs de fruits. Taxé de « rapport bidon » par l’Association nationale pommes poires (ANPP), il a également entraîné la riposte du collectif Sauvons les fruits et légumes (Voir encadré en bas de l’article) via un communiqué au titre narquois. Après avoir interviewé, séparément, Anaïs Fourest, responsable agriculture de Greenpeace et Bernard Géry, maraîcher et porte-parole de ce collectif qui défend l’usage de produits phytosanitaires, Terra eco reconstitue leur passe d’armes.
Anaïs Fourest : Le rapport ne tire pas de conclusions sur les fruits. Il montre une photographie à un instant T de la situation dans la quarantaine de vergers où nous avons effectué des prélèvements. Cette fois, nous ne nous sommes pas intéressés aux résidus sur les fruits, ni à l’exposition du consommateur. Ce que nous avons mesuré, ce sont les résidus dans les sols et l’eau. On s’intéresse donc à l’exposition par voie directe, celle qui a lieu au moment des épandages et qui a un impact d’une part sur les agriculteurs, les ouvriers agricoles, les riverains et d’autre part sur la biodiversité, les abeilles et les lombrics en particulier. Cette contamination est une réalité.
Bernard Géry : Il y a un grand désarroi chez les producteurs. Toutes les solutions présentées par Greenpeace – le biocontrôle, la confusion sexuelle – les grands vergers français y travaillent déjà. La plupart ont déjà basculé sur des modèles éco-responsables. Ils n’ont pas le choix : en France, les normes et réglementations sont parmi les plus strictes d’Europe. On a déjà toutes les peines du monde à concilier leur application avec une rentabilité économique, on travaille 70 heures par semaine et on voit les jeunes jeter l’éponge. Alors quand on vient nous dire qu’on fait tout de travers, qu’on n’a rien vu, rien compris et qu’on est à la solde de Monsanto, ça nous fait bondir. Puisque les producteurs sont des incompétents notoires depuis des décennies, les militants écologistes n’ont qu’à devenir agriculteurs. Il est aisé de dénoncer depuis le XXe arrondissement de Paris en ignorant tout ce qui est déjà fait dans l’agriculture.
Anaïs Fourest : En effet, nous ne sommes pas agriculteurs. Chacun son rôle. Nous sommes une organisation qui porte les préoccupations d’une partie de la population. Cela ne nous empêche pas, pour réaliser nos travaux, de nous confronter aux réalités de terrain, de rencontrer des producteurs, qu’ils soient en agriculture bio ou en conventionnelle. Le sujet des pesticides n’est pas seulement une question d’agriculture. Il en va du bien commun, de la préservation de la santé et de la biodiversité.
Anaïs Fourest : L’existence même de l’agriculture bio démontre que c’est possible. Nous ne réclamons pas une agriculture 100% biologique tout de suite. Nous sommes conscients que la réduction des pesticides est un processus long et complexe. En restaurant la biodiversité, en combinant, en testant et en ajustant les solutions, puis en valorisant les produits issus de ces démarches, les agriculteurs doivent pouvoir concilier rentabilité économique et transition vers un autre modèle de production. Un modèle dans lequel l’utilisation de produits phytosanitaires deviendrait marginale.
Si tout est déjà mis en œuvre pour réduire les pesticides, comment expliquer que la France soit, avec l’Italie et la Belgique, l’un des trois pays où l’on retrouve le plus de substances dans le sol ?
Bernard Géry : Je ne dis pas que les agriculteurs ont toujours été exemplaires. A une époque, on utilisait des produits en quantité bien supérieure. Et puis, comme dans toutes les professions, il y a des brebis galeuses, des gens qui ne prennent pas de précautions. Il n’est pas étonnant de trouver des traces de certains produits dans le sol. Ce qu’il faut savoir avant de parler d’empoisonnement, c’est en quelle quantité ils sont présents. Et ça, Greenpeace ne s’y est pas intéressé.
Anaïs Fourest : Le problème n’est pas tant la quantité de chacun de ses produits que leur combinaison. Réaliser des analyses molécule par molécule, comme le souhaite l’UIPP (Union des industries de la protection des plantes), ne donne qu’une vision partielle de la réalité. Certains de nos échantillons contiennent jusqu’à six types de pesticides différents. Dans ces circonstances, nous craignons surtout les effets cocktail, qui à ce jour restent très difficiles à mesurer.
« Sauvons les fruits et légumes », qui sont-ils ?
Depuis 2007, les membres de Sauvons les fruits et légumes, collectif aux contours nébuleux sans adhésion formelle, se démènent, à grand renfort d’études d’impact et de communiqués, pour contrer les critiques adressées aux pesticides. Ils seraient plusieurs dizaines « d’agriculteurs, de cuisiniers et de scientifiques » répartis sur toute la France, de la Bretagne au Sud-Ouest. Bernard Géry, maraîcher de Loire-Atlantique et porte-parole du collectif, présente cette organisation comme un outil permettant à des centaines de maraîchers « de se défendre quand ils se sentent attaqués ». Dans la presse, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, ils « s’inquiètent de l’interdiction des néonicotinoïdes » et estiment que « les agriculteurs ont une espérance de vie supérieure à la moyenne ».