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Législation : la France marche sur des œufs
jeudi, 28 mai 2015 / Laure Noualhat /

Journaliste errant dans les sujets environnementaux depuis treize ans. A Libération, mais de plus en plus ailleurs, s’essayant à d’autres modes d’écriture (Arte, France Inter, Terra of course, ...). Il y a deux ans, elle a donné naissance (avec Eric Blanchet) à Bridget Kyoto, un double déjanté qui offre chaque semaine une Minute nécessaire sur Internet.

Aide médicale à la procréation ou gestation pour autrui, notre législation reste complexe, floue et frileuse. Explications.

Frileuse et passéiste, telle est la législation française en matière de reproduction artificielle. D’après la loi de 1994, l’aide médicale à la procréation (AMP) est réservée aux couples hétérosexuels reconnus infertiles, mariés ou ensemble depuis au moins deux ans – et vivants ! Point final. L’AMP est donc considérée comme une thérapeutique – et à ce titre est remboursée par la Sécu – et non comme un moyen alternatif de procréer. Elle est donc interdite aux femmes ménopausées, seules et aux couples de femmes, a contrario de ce qui se passe au Royaume-Uni par exemple. « Là-bas, on sépare les possibilités médicales de la façon dont on les utilise, explique Laurence Brunet, chercheuse en droit. Pas en France, où on ne dispose pas vraiment de son corps comme on veut. »

Le couple qui se lance dans une telle procédure doit donner son consentement à un juge ou un notaire, ce qui revient à reconnaître l’enfant avant même sa naissance. Dans tous les cas, la femme qui accouche est la mère. Et le père, le mari de celle-ci, y compris si le couple a eu recours à un don de sperme. La loi impose que les dons de sperme ou d’ovocytes soient anonymes et gratuits. Cela pose deux problèmes. Le premier, c’est que plus de 85% des enfants nés d’un don ne connaissent pas leur histoire. « On a tout fait pour que les parents ne disent rien, commente Laurence Brunet, comme si la science n’était jamais passée par là ! » Le second, c’est que la gratuité a conduit à une pénurie criante de donneuses. En effet, contrairement au don de sperme qui ne dure que quelques minutes, le prélèvement d’ovocytes est beaucoup plus intrusif et pénible. En Ukraine ou en Espagne, on rémunère – jusqu’à 900 euros – celles qui refilent leurs œufs. Il y a donc beaucoup plus de choix !

Ami géniteur et « enfant pipette »

Avec les changements de nos cadres familiaux, cette loi se prend de plus en plus le mur du réel. Puisqu’elle leur refuse l’AMP, les couples lesbiens ou les femmes seules ont appris à la contourner, en faisant par exemple appel à un ami pour faire un « enfant pipette ». L’ami géniteur ne devient pas légalement père pour autant, même s’il peut être présent lors de l’éducation du môme. Autre option : sauter dans un train pour se faire inséminer en Belgique ou en Espagne. Notons au passage la petite hypocrisie législative : l’AMP est interdite aux couples lesbiens, mais un enfant naît tout de même d’une violation de cette loi. Et grâce à la loi Taubira, la compagne de la mère peut désormais adopter l’enfant ainsi conçu. Les deux mamans retombent ainsi sur leurs pieds : elles sont toutes deux reconnues légalement mères alors qu’elles ne devraient pas avoir d’enfant ! On marche sur la tête, à défaut de marcher sur des œufs.

Pour les couples gays, la seule façon de devenir parents est de recourir à une mère porteuse, que ce soit une amie ou pas. Or, la gestation pour autrui (GPA) est totalement interdite en France. Cependant, la pratique explose à travers le monde. Là encore, le désir d’enfant se trouve à portée d’avion. En Ukraine, en Inde, en Thaïlande ou aux Etats-Unis, gays, couples hétéros infertiles, voire lesbiennes horrifiées par la grossesse font appel à des femmes volontaires, rémunérées pour porter leur enfant. Dans la plupart des cas, l’embryon implanté a un lien génétique avec l’un des parents d’intention. Et là encore, c’est du n’importe quoi ! En juin 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour n’avoir pas reconnu des enfants nés d’une GPA à l’étranger. En décembre dernier, le Conseil d’Etat a validé la circulaire Taubira exigeant l’octroi de la nationalité pour ces enfants-là. Mais certains ne sont toujours pas français... Ubu, sors de ce ventre ! Et toi, petit d’homme, sors de ce vide juridique ! —