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Les caribous canadiens sont-ils victimes des loups… ou des pétroliers ?
lundi, 11 mai 2015 / Amélie Mougey

Quand, dans une forêt balafrée par l’extraction de sables bitumineux, la population de cervidés décline, qui accuse-t-on ? Le lobby de l’or noir ? Non : le gouvernement de l’Alberta – et Sarah Palin – pointent du doigt le loup !

Pour ébranler l’équilibre fragile de la forêt boréale, il a suffit d’un grain de sable… bitumineux. Au milieu des années 1990, l’extraction de pétrole lourd – et extrêmement polluant – s’est développée dans la province de l’Alberta, au Canada. Dans cette région jusqu’alors largement préservée, des dizaines de milliers de kilomètres de routes et d’oléoducs, les puits et des hectares de zones déboisées ont alors fragmenté les forêts. Dans le même temps, la population de caribous forestiers, l’équivalent de ce que nous, Européens, appelons les rennes, a brutalement chuté. Au point d’atterrir en 2002 sur la liste des espèces menacées, selon un article paru en janvier dernier dans la revue Nature.

Abattus par hélicoptère et empoisonnés

Soucieux de préserver l’un de ses animaux mascottes, le gouvernement canadien a réagi avec fermeté. En freinant l’appétit des pétroliers ? Du tout. Après avoir doublé son PIB en dix ans grâce à cette seule activité, l’Alberta serait peinée de s’en priver.

Alors qui accuser ? Le loup, prédateur naturel du caribou ! Depuis 2005, près d’un millier de canidés ont été abattus par hélicoptère ou empoisonnés. Selon Radio Canada, cette campagne d’abatage massif a fait dégringoler leurs effectifs de 45% par an.

Et tout cela en vain : la population de caribous ne s’est pas reconstituée. Tout juste s’est-elle « stabilisée », note Nature, qui conclut que les effets de la chasse au loup « sont limités ». Pour Emma Marris, auteure de l’article, la population de caribous ne repartira à la hausse qu’à condition de « fixer des limites au développement industriel de la région ».

Car si le loup a intégré le caribou à son menu, devenant sa principale cause de mortalité, c’est avec l’aide des pétroliers. En morcelant la forêt, ExxonMobil, Chevron, BP, Total et consorts ont ouvert la voie aux élans, cerfs et orignaux. Le loup n’a fait que marcher dans les pas de son gibier. Dès 2011, Samuel Wasser, biologiste à l’université de Washington concluait déjà que le déclin des caribous avait plus à avoir avec l’activité gazière et pétrolière qu’avec les loups. L’année suivante pourtant, le gouvernement canadien intensifiait la traque.

« Plutôt que de tuer les loups, le gouvernement ferait mieux de restaurer les habitats endommagés par l’extraction de sables bitumineux », estime la Fédération canadienne de protection de la vie sauvage. En réponse aux critiques sur l’impact environnemental de leur activité, certaines compagnies pétrolières s’y sont engagées. Ainsi, Total a lancé en 2009 l’opération Faster Forest, un programme de reboisement accéléré. Pour sa part, Dave Hervieux, biologiste spécialiste des caribous auprès du gouvernement de l’Alberta, estime qu’il faudrait au moins trente ans pour que les forêts retrouvent leur état naturel et redevienne accueillantes pour le caribou.

« Les animaux s’accouplent sous les pipelines »

En attendant, l’extraction se poursuit et le loup reste un parfait bouc émissaire. Sur son site Internet, la compagnie française promet de construire des « pistes en zigzag qui permettront aux caribous de se déplacer à l’abri des loups ». Au passage, le pétrolier relativise son activité : « environ 4 800 km2, soit 0,1% seulement de la superficie totale de cette gigantesque forêt, sont exploitables par mines à ciel ouvert », lit-on sur la même page. « Un timbre poste », abonde Sarah Palin, fervente défenseuse des énergies fossiles. A en croire ses propos rapportés par le magazine Forbes, l’ancienne candidate républicaine à la vice-présidence américaine ne voit pas bien où est le problème. « Ces animaux aiment la chaleur et s’accouplent sous les pipelines », rassure-t-elle.

Pourtant, dans le Los Angeles Times, les autorités d’Alberta elles-mêmes ont finit par reconnaître que « certaines activités de développement modifient les habitats ». Alors, Sarah Palin réagit… à sa manière : « Si ça blesse un caribou, ce caribou n’a qu’à faire sa part pour la collectivité et permettre au reste du pays d’en bénéficier. » Les oiseaux migrateurs, empoisonnés par les produits toxiques que l’industrie pétrolière déverse dans les rivières, en prendront de la graine.

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