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A l’hôpital, le casse-tête de la bonne bouffe (épisode 3) : et le bio dans tout ça ?
mercredi, 6 mai 2015 / Amélie Mougey

Bien souvent, quand le corps se détraque, les papilles trinquent. La faute à la nourriture hospitalière. Le fait maison, le bio et les produits de saisons peuvent-ils sauver les malades de cette double peine ? Dernier volet de notre enquête.

Patients, que vous sert-on ? Si vous êtes Nord-Américain, vous n’échapperez pas au trio frites-pizza-donuts. Aux Etats-Unis, les chaînes de fast-food sont présentes dans un hôpital d’Etat sur cinq, selon le recensement du Physicians Committee for Responsible Medicine qui les a cartographiées. Contre le versement d’une part de leur chiffre d’affaires aux établissements de santé, McDonald’s et consorts s’offrent le droit de servir les patients jusque dans leurs lits, rapporte le magazine Mother Jones. La situation est semblable au Canada, où, dix ans après le lancement d’un programme gouvernemental visant à bouter la malbouffe hors des centres hospitaliers, la plupart restent des « irréductibles de la friteuse », constate le journal La Presse. En France, la nourriture hospitalière n’a jamais atteint de tels extrêmes. De là à dire qu’elle est toujours source de plaisir et de santé…

Sur Hopital.fr, l’annuaire en ligne des hôpitaux, les « avis de patients » sont impitoyables. « Sans saveur », « infecte », « immangeable », « au dessous de tout »… Du CHU de Caen à l’hôpital européen Georges-Pompidou, les commentaires concernant la nourriture hospitalière atterrissent invariablement dans la colonne « Ce qui pourrait être amélioré » des formulaires. Cette défiance vis-à-vis de l’incontournable daube de veau sous film plastique a des conséquences. Selon les Hospices civils de Lyon, entre 40% et 55% des patients français terminent leur séjour en état de dénutrition !

« Longtemps, les fournisseurs ont dû se dire : “On peut refiler n’importe quoi aux hôpitaux pour peu qu’on leur vende pas cher” », avance Philippe Romano, représentant des usagers hospitaliers et membre du Collectif interassociatif sur la santé. Mais, si l’on en croit les acteurs du secteur, cette époque est révolue. « Aujourd’hui, lorsque l’on passe nos achats, nous essayons de tirer les produits vers le haut pour donner envie aux patients de les consommer », rassure Didier Girard, ingénieur en restauration hospitalière au CHU du Mans. Au sein d’UniHA, le groupement via lequel 57 établissements hospitaliers réalisent la majeure partie de leurs emplettes, Jean-Marc David, responsable des achats pour la filière alimentaire, confirme : « Notre objectif, c’est que les gens finissent leur assiette. La note que l’on attribue à un produit dépend donc à 40% du prix, à 60% de la qualité. ». Au point d’opter pour des repas faits maison à base de produit bios, locaux et de saison ? Avec un budget alimentaire tournant autour de cinq euros par jour et par patient, soit deux euros par repas, atteindre ces objectifs suppose quelques contorsions.

Le bio ? « Aujourd’hui, c’est rien »

Changer sa logique d’approvisionnement devient encore plus complexe quand il s’agit de passer au bio. En 2008, l’Etat français avait fixé comme objectif, dans une circulaire sur l’exemplarité des service de l’Etat d’atteindre en 2012 20% de bio dans la restauration des établissements publics sous tutelle. Le pari est très loin d’être gagné dans le milieu hospitalier. Le site Restauration bio, qui recense les « expériences de restauration collective bio et locale » n’affiche que deux établissements de santé, le CHU de Reims et un Etablissement pour personnes âgées dépendantes à Perpignan. La liste s’allonge un peu avec les établissements qui commandent des aliments bio via UniHA. Mais comparée à l’essor que prennent ces produits dans les cantines scolaires, la démarche reste marginale.

Sur les carnets de commande tenus par Jean-Marc David, la plupart des lignes dotées du logo AB restent vides. « Le bio à l’hôpital, ça ne se vend pas du tout » constate-t-il. Si les acheteurs hospitaliers traînent des pieds, c’est que ce choix plombe leur budget. « Quand vous achetez du bio au supermarché, vous le payez 30% à 40% plus cher ; dans la restauration collective, le surcoût est de 400% ! », indique Monique Garnon, qui a introduit le bio dans ses menus en 2011. Malgré la rallonge budgétaire accordée par centre hospitalier de Reims, seul 5% du budget alimentaire de l’établissement est consacré à ces produits. Et pour cause, beaucoup de produits bios ne s’achètent pas encore en gros. Encore peu visible sur les plateaux repas, l’introduction du bio à l’hôpital pourrait bouleverser la filière. « Si chaque hôpital en faisait un peu, les volumes au niveau national deviendraient très conséquents », estime Didier Girard.

Sauf qu’à ce jour l’alimentation représente moins de 10% des dépenses totales des hôpitaux français. Une rigueur budgétaire qui n’est pas forcément gage d’économies. « A l’hôpital, manger est également un soin. Si un patient se nourrit bien, cela peut parfois lui permettre de sortir plus tôt, ce qui épargne le coût de jours d’hospitalisation à la collectivité », estime Philippe Romano. Avec en prime, un plaisir accru pour les patients. « Quand on commande nos produits, on ne doit pas oublier que certains mangent à l’hôpital trois cent soixante-cinq jours par an », conclut Monique Garnon.


Au Québec, des plateaux repas sur la bonne voie.

A Montréal, un hôpital a réussi l’exploit de faire grimper de 30 % la consommation de légumes de ses patients en seulement un an. Sa méthode ? Proposer, entre autres, du topinambour. En saison, au moins 20 % des fruits et légumes servis à l’hôpital Jean Talon sont bio et proviennent directement d’un producteur du coin. « Cela permet de montrer aux autres établissements que ce n’est pas si compliqué », se félicite Murielle Vrins chargée de l’alimentation chez Equiterre, association auteure d’un rapport sur les perspectives d’approvisionnement local dans les établissement de santé ( en pdf ). L’exemple ne laisse pas les autres centres hospitaliers insensibles. Selon la même étude d’Equiterre, ils sont 80 % à s’intéresser aux produits locaux. Entre l’envie et la passage à l’acte, « le premier frein, c’est le manque d’information, poursuit Murielle Vrins, pour s’approvisionner ils ne savent pas vers qui se tourner. » Alors son association intervient. Elle déniche des producteurs, organise des achats groupés, mutualise les système de transport pour générer des économies.  « Il faut faire tomber tous les obstacles et le prix en est un, les centres hospitaliers doivent faire des repas incroyables avec presque rien » poursuit Murielle Vrins. Au Québec, où l’intégralité des repas sont préparés sur place, dans des cuisines autogérées, l’essor des produits locaux est plébiscité par le personnel. « Travailler des produits du coin, réengager une relation avec les producteur est source de satisfaction, les agents hospitaliers sont très fiers et très mobilisés », poursuit Murielle Vrins. Sur le plan législatif, leur détermination a fait bouger les lignes. Sous la pression des services alimentaires hospitaliers, les appels d’offre peuvent désormais intégrer une clause donnant la priorité aux produits québécois.


- Retrouvez ici le premier épisode : « La bonne bouffe, cuisinée sur place ou importée ? »
- Retrouvez ici le deuxième épisode : « Fraises de Bretagne ou d’Espagne ? »

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