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A l’hôpital, le casse-tête de la bonne bouffe (épisode 1) : cuisinée sur place ou importée ?
lundi, 4 mai 2015 / Amélie Mougey

Bien souvent, quand le corps se détraque, les papilles trinquent. La faute à la nourriture hospitalière. Le fait maison, le bio et les produits de saison peuvent-ils sauver les malades de cette double peine ? Premier volet de notre enquête.

Patients, que vous sert-on ? Si vous êtes Nord-Américain, vous n’échapperez pas au trio frites-pizza-donuts. Aux Etats-Unis, les chaînes de fast-food sont présentes dans un hôpital d’Etat sur cinq, selon le recensement du Physicians Committee for Responsible Medicine qui les a cartographiées. Contre le versement d’une part de leur chiffre d’affaires aux établissements de santé, McDonald’s et consorts s’offrent le droit de servir les patients jusque dans leurs lits, rapporte le magazine Mother Jones. La situation est semblable au Canada, où, dix ans après le lancement d’un programme gouvernemental visant à bouter la malbouffe hors des centres hospitaliers, la plupart restent des « irréductibles de la friteuse », constate le journal La Presse. En France, la nourriture hospitalière n’a jamais atteint de tels extrêmes. De là à dire qu’elle est toujours source de plaisir et de santé…

Sur Hopital.fr, l’annuaire en ligne des hôpitaux, les « avis de patients » sont impitoyables. « Sans saveur », « infecte », « immangeable », « au dessous de tout »… Du CHU de Caen à l’hôpital européen Georges-Pompidou, les commentaires concernant la nourriture hospitalière atterrissent invariablement dans la colonne « Ce qui pourrait être amélioré » des formulaires. Cette défiance vis-à-vis de l’incontournable daube de veau sous film plastique a des conséquences. Selon les Hospices civils de Lyon, entre 40% et 55% des patients français terminent leur séjour en état de dénutrition !

« Longtemps, les fournisseurs ont dû se dire : “On peut refiler n’importe quoi aux hôpitaux pour peu qu’on leur vende pas cher” », avance Philippe Romano, représentant des usagers hospitaliers et membre du Collectif interassociatif sur la santé. Mais, si l’on en croit les acteurs du secteur, cette époque est révolue. « Aujourd’hui, lorsque l’on passe nos achats, nous essayons de tirer les produits vers le haut pour donner envie aux patients de les consommer », rassure Didier Girard, ingénieur en restauration hospitalière au CHU du Mans. Au sein d’UniHA, le groupement via lequel 57 établissements hospitaliers réalisent la majeure partie de leurs emplettes, Jean-Marc David, responsable des achats pour la filière alimentaire, confirme : « Notre objectif, c’est que les gens finissent leur assiette. La note que l’on attribue à un produit dépend donc à 40% du prix, à 60% de la qualité. ». Au point d’opter pour des repas faits maison à base de produits bios, locaux et de saison ? Avec un budget alimentaire tournant autour de cinq euros par jour et par patient, soit deux euros par repas, atteindre ces objectifs suppose quelques contorsions.

Cuisiné sur place ou importé ?

« Autrefois, à l’hôpital, la tambouille se faisait au bout de chaque couloir, se souvient Philippe Romano. Puis les sociétés de restauration collective, comme Sodexo et Elior, ont envahi le marché. » Au milieu des années 2000, le mouvement s’est arrêté. « Depuis plusieurs années, le marché de la sous-traitance est stable, 90% des hôpitaux produisent eux-mêmes leurs repas », indique-t-on chez Sodexo. Dans les cuisines hospitalières autogérées, « les cuisiniers travaillent leurs produits, font des sauces », souligne Jean-Marc David. Pour faire des économies d’échelle, de nombreuses cuisines ont fusionné. Ainsi à Lyon, depuis 2010, les 15 000 repas de trois centres hospitaliers sont préparés sur un site unique où s’affairent cent cuistots ! Dans ces cuisines centrales, les barquettes sont préparées à J-1, dans le meilleur des cas, puis conservées par liaison froide, une technique qui ne laisse pas toujours le goût indemne. « On a arrêté le rosbif : réchauffé, ça devenait de la semelle », précise Monique Garnon, responsable des achats au CHU de Reims.

Malgré cette rationalisation de la main-d’œuvre, les cuisines manquent encore de bras. Au Mans comme à Reims, les ingénieurs en restauration hospitalière ont tiré un trait sur la pâtisserie. « Ça aurait demandé cinq personnes supplémentaires et 200 000 euros d’investissements pour les bâtiments et les équipements », explique Didier Girard. Pour leurs tartes au citron meringuées, ces centres hospitaliers optent donc pour le surgelé et se tournent vers des fournisseurs comme Davigel. « Certains ont gardé la pâtisserie, mais font venir les entrées », indique Monique Garnon, à Reims. Dans son CHU, les cuisiniers travaillent à partir de légumes déjà épluchés et éboutés, la cuisine ne disposant pas d’éplucherie. « Je ne connais pas un hôpital où les repas sont à 100% cuisinés sur place », résume-t-elle.

L’explication n’est pas purement financière. « On peine à recruter. Dans les écoles hôtelières, les métiers de la restauration collective, notamment hospitalière, sont peu valorisés », indique Didier Girard. Or, la tâche exige un savoir-faire. « On ne fait pas des repas à l’hôpital comme on fait de la restauration d’autoroute », précise Jean-Marc David. Sans sel, sans allergènes ou enrichi en nutriments… « Dans un hôpital, on a jusqu’à cinquante profils alimentaires distincts », poursuit le responsable d’UniHA. Face à cette complexité, Sodexo se targue de garantir « l’adéquation des menus avec les restrictions alimentaires dictées par les médecins ». Une compétence qui lui permet de conserver « un réel leadership dans les cliniques privées » où le géant de la restauration collective écoule toujours 90 000 repas quotidiens.


- Retrouvez ici le deuxième épisode : « Fraises de Bretagne ou d’Espagne ? »
- Retrouvez ici le troisième épisode : « Et le bio dans tout ça ? »