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Trop de machos chez les geeks !
mercredi, 29 avril 2015 / Emmanuelle Vibert

A peine 17% des diplômés en informatique en France sont des femmes. Découragées par un univers souvent machiste, beaucoup renoncent. Mais la lutte s’organise.

Cookies au thé matcha et cheesecakes au citron s’alignent sur le bar de l’entrée. A côté, dans la grande salle avec boiseries classées, ce sont les ordinateurs portables qui se succèdent. En ce samedi d’avril, un atelier de programmation réservé aux filles a lieu dans les luxueux bureaux parisiens de l’entreprise américaine Mozilla, sponsor de l’opération. 30 participantes sur 260 candidates ont été choisies pour apprendre gratuitement à construire un site, avec le logiciel libre Python. Des ateliers de ce type sont organisés dans le monde entier – de Rio de Janeiro (Brésil) à Manille (Philippines), en passant par Bucarest (Roumanie) ou Nairobi (Kenya) – par Django Girls (Django est le nom d’une application Web). Lancée en 2014 par deux codeuses polonaises, Ola Sitarska et Ola Sendecka, cette asso veut créer des lieux où les femmes puissent s’exercer au code informatique, en toute confiance. Car les milieux liés à la programmation ressemblent trop souvent à des repaires de machos à gros sabots.

Jeux vidéo et « filles à poil »

Parmi les Django Girls de cet atelier parisien, Garance, 23 ans, est dans une école d’ingénieurs informatiques. « On est six filles pour une promo de 60, lance-t-elle. Il existe des ateliers de code à l’école, mais ils sont 100% masculins. Les mecs sont surpris qu’on y connaisse quelque chose. Ils montrent qu’ils sont super forts… Ici, on respire. » Le jour où Elodie, 23 ans, a débarqué dans son école, les regards étaient braqués sur elle, raconte l’étudiante dans une jolie robe à papillons. « On est 15 filles, sur 300 étudiants. Il faut toujours faire ses preuves. Si tu réussis quelque chose, ils pensent que c’est ton copain qui l’a fait. Aujourd’hui, je suis en stage en entreprise et ça va… » Bien qu’on lui demande souvent si elle est la secrétaire ! « Pour beaucoup, si tu es féminine, tu ne peux pas être geek. » Les participantes ont presque toutes leur anecdote sexiste. Sally, 21 ans, joueuse de jeux vidéo et accessoirement homosexuelle : « On me dit : “Oui, mais toi, tu es lesbienne, c’est normal !” » Estelle, 23 ans, développeuse de jeux vidéo : « Un jour, je parlais avec un collègue du sexisme dans le milieu. Il me disait : “Je ne comprends pas de quoi tu parles.” Sur son T-shirt, il y avait… une fille à poil jouant aux jeux vidéo ! »

Si vous n’en croyez pas vos oreilles, jetez un œil aux témoignages qu’on glane sur la Toile. Sur le site Machisme haute-fréquence, qui les collectionne, on trouve des histoires de murs couverts de photos de seins nus sur un campus. Les chiffres, eux, montrent une majorité écrasante du masculin dans le secteur. En France, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, le pourcentage de femmes dotées d’un diplôme de l’enseignement supérieur en informatique en 2011 est de 16,63% (contre 38,05% dans les sciences ou 78,43% dans l’éducation). D’après le Programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui mesure les compétences des systèmes éducatifs dans 65 pays, 4,7% des filles, contre 18% des garçons, espèrent une carrière d’ingénieur ou d’informaticien. Et la tendance s’aggrave. Aux Etats-Unis, où la question du « gender gap » (le fossé entre les sexes) fait plus de bruit, les femmes détenaient 37% des diplômes en informatique et science de l’information en 1985, contre 18% en 2008, selon un rapport du Centre national pour les femmes et les technologies de l’information, une ONG.

Pénurie d’emplois en vue

Un documentaire réalisé par l’Américaine Robin Hauser Reynolds, Code : debugging the gender gap, vient de sortir outre-Atlantique. On y entend notamment Reshma Saujani, de l’ONG américaine Girls who code, qui encourage les filles à s’y mettre. Aux Etats-Unis, « il y aura 1,4 million d’emplois en 2020 dans les domaines liés à l’informatique, scande-t-elle. Seuls 29% des Américains seront à même de les pourvoir et seulement 3% de ces 29% seront des femmes ». Même problème en France : pour éviter la pénurie d’emplois du numérique, il faut soutenir les filles.

La prise de conscience est faible, mais frémit. En 2011, le syndicat patronal Syntec Numérique a créé une commission Femmes du numérique. Le 17 avril, à Paris, se tenait un forum « Jeunes femmes et numérique ». Dans l’école d’informatique Epitech – où les femmes ne représentaient que 4,2% des étudiants en 2013 –, l’association E-mma est née pour éviter que les informaticiennes n’abandonnent en cours de route, sous le poids des préjugés des hommes. Il serait temps de passer la vitesse supérieure. Voulons-nous vraiment d’un monde où les technologies numériques, utilisées par tous au quotidien, soient conçues majoritairement par une minorité masculine ? —

Pour aller plus loin :
- Machisme haute-fréquence
- Django Girls
- E-mma