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Non, la pollution ne vient pas des centrales à charbon, mais de l’agriculture et du trafic routier
mardi, 24 mars 2015 / Amélie Mougey

Ulcéré par la circulation alternée, Pierre Chasseray, l’omnimédiatique délégué général de 40 millions d’automobilistes, assure que les voitures ne sont pas coupables du récent épisode de pollution. A côté de la plaque.

C’est son heure. En plein pic de pollution, alors que le plan de circulation alterné sortait pour la deuxième fois des cartons, Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 millions d’automobilistes, est monté au front. Face au risque accru de maladies cardiovasculaires, de cancers et de problèmes respiratoires liés aux dépassement de seuils – d’information, puis d’alerte – de concentration de particules dans l’air, le volubile défenseur des conducteurs n’a qu’une obsession : blanchir la réputation de son moyen de locomotion fétiche. Roulant sa bosse de plateaux télé en studios de radio, ce communicant hors pair trouvait encore le temps de poster frénétiquement sur Twitter les cartes du système national de surveillance de la qualité de l’air Prev’Air, censées étayer son argumentaire.

« Quand on voit la carte pollution, le Finistère touché et Marseille épargné, on voit bien que la voiture n’est pas l’enjeu », lançait-il triomphant sur le site de microblogging. Si l’on en croit ce farouche défenseur du diesel, pourfendeur de ce qu’il nomme les « mesures autophobes », la voiture serait donc hors de cause. Dans ce cas, comment expliquer les fortes concentrations de particules qui, depuis dix jours, s’immiscent dans les poumons des habitants d’Ile-de-France, de Champagne-Ardenne, de Rhône-Alpes ou du Nord ? Pierre Chasseray est catégorique : « Les hommes politiques doivent punir les pollueurs ; les centrales à charbon allemandes », précisait-il lundi 23 mars sur Europe 1.

Une carte montrant une France coupée en deux par le milieu, rouge sur la moitié nord – signe de forte pollution –, jaune et verte sur la moitié sud, signe d’une concentration moindre en particules, suffit-elle à écarter la responsabilité du trafic routier ? La réponse est à chercher du côté de l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), l’organisme qui produit les cartes Prev’Air chères à Pierre Chasseray. Verdict ? Le plus écouté des automobilistes interprète ce document complètement de travers. Certes, la masse rouge symbolisant les plus fortes concentration de polluants s’étend des Ardennes au Finistère, y compris au dessus des zones rurales où le trafic routier est faible. Mais en conclure que « la voiture n’est pas l’enjeu » n’a aucun sens… « S’il n’y avait pas de trafic routier, il n’y aurait pas cette pollution », corrige Laurence Rouïl, responsable du pôle modélisation et cartographie environnementale de l’Ineris. De fait, le récent épisode de pollution aux particules, presque rituel en cette période de l’année, « est avant tout le résultat d’une réaction chimique entre l’ammoniac issu de l’épandage de fertilisants sur les terres agricoles et le dioxyde d’azote émis principalement par le trafic routier », développe la chercheuse. « Il faut imaginer une cocotte chimique qui produit des particules, puis ça s’étend, ça s’étend » illustre-t-elle. C’est dans cette « cocotte chimique » que naissent les particules dites secondaires, qui étaient surtout présentes au milieu du récent épisode de pollution. « Avec zéro trafic routier, ce phénomène ne se déclencherait pas », conclut la responsable de l’Ineris.

28% de la pollution locale due au trafic routier

A cette pollution de fond, s’ajoute une pollution locale, prédominante sur les premiers et derniers jours du récent épisode de pollution. Cette fois, les coupables sont les particules primaires. Elles ne sortent pas de la « cocotte chimique », mais sont produites telles quelles par les activités humaines. En Ile-de-France, selon les chiffres de 2012, 18% de ces particules constituant la pollution locale proviennent de l’agriculture, 26% des installations de chauffage résidentiel et tertiaire, 3% de l’activité industrielle, 18% des chantiers et carrières et 28%… du trafic routier. A l’échelle locale comme régionale, la voiture n’est pas amnistiée.

Reste un mystère à éclaircir. Si la hausse des concentrations de particules – primaires et secondaires – est liée au trafic, comment expliquer que sur la carte Prev’Air « le Finistère soit touché » et « Marseille épargnée », comme le souligne Pierre Chasseray ? D’une part, parce que les masses d’air pollué se déplacent. D’autre part, parce que les cartes de Prev’Air ne montrent pas la pollution locale. « Ce que montrent ces cartes, ce sont les mouvements des grandes masses d’air », précise Karine Léger, ingénieure à AirParif. « Nous avons une résolution de 7 à 10 km, ce n’est pas la précision des associations locales de surveillance de la qualité de l’air », reconnaît Laurence Rouïl.

« Ni allemandes, ni polonaises, ni rien du tout »

Si Pierre Chasseray ne voit pas l’impact local du trafic routier sur les cartes Prev’Air, c’est tout simplement que celles-ci ne s’y intéressent pas. Mais la voiture est bel et bien l’enjeu. Depuis la publication de son commentaire vainqueur, l’ambassadeur des automobilistes semble s’être fait une raison. Sur Twitter, le texte accompagnant la carte bicolore de Prev’Air a changé. Il ne dit plus que la voiture « n’est pas l’enjeu » mais simplement « qu’elle est loin d’être le seul facteur de pollution ». Cette fois, c’est plutôt vrai.


Sauf qu’en haut de liste des coupables Pierre Chasseray place toujours les centrales à charbon allemandes. Cette rumeur qui revient sur les réseaux sociaux à chaque fois que notre gorge pique est-elle étayée ? « Pas du tout ! Cet épisode n’a rien à voir avec les centrales thermiques, ni allemandes, ni polonaises, ni rien du tout », corrige Karine Léger. La preuve ? « La pollution émanant des centrales à charbon est facilement traçable, car elle contient du sulfate, indique l’ingénieure. Or, pour cet épisode printanier comme pour celui de l’an dernier, nous n’en avons trouvé aucune trace. » Pour autant, la France est loin de produire l’intégralité de la pollution qu’elle subit. « La période d’épandage d’engrais azotés est la même dans toute l’Europe. A conditions météo équivalentes, nos voisins produisent donc le même cocktail chimique, précise Laurence Rouïl. Ces grandes masses d’air ne s’arrêtent pas aux frontières. Pendant que nous nous plaignons de la pollution venue de l’est, les médias britanniques ont des mots très durs contre celle qui leur arrive de France. »

Pour mettre un coup d’arrêt à ce phénomène global, la circulation alternée n’est qu’une partie de la solution. L’expérimentation tentée l’an dernier, la première depuis 1997, a entraîné une baisse de 18% du trafic et de 5% de la concentration en particules. C’est bien, mais c’est insuffisant pour lutter contre la pollution de fond. Pour éviter les particules de printemps, il faudrait également s’en prendre aux émissions d’ammoniac, l’autre ingrédient de la réaction. « Ce qui suppose de se pencher sur la fertilisation intensive à l’œuvre dans l’agriculture », reconnaît Gilles Aymoz, chef du service qualité de l’air de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). La tâche s’annonce épineuse. « On dit aux agriculteurs de ne pas fertiliser quand il pleut parce que ça pollue les sols… et de ne pas fertiliser quand il fait sec car ça pollue l’air » soupire-t-il. L’heure d’une remise à plat de notre système agricole aurait-elle sonné ? Pour Laurence Rouïl « c’est une idée… »

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