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Au cœur de l’Amazonie, la tour high-tech sentinelle du climat
mercredi, 25 mars 2015 / Caroline Eard

Comprendre la formation des nuages, le cycle de la pluie, le rôle de la forêt… tels sont quelques-uns des objectifs de ce projet géant mené au Brésil.

« C’est formidable. Sensationnel. Impressionnant. » Au pied d’arbres centenaires, Paulo Artaxo, grand climatologue brésilien, a le nez au ciel et la larme à l’œil. Devant lui, dans une trouée de la forêt, s’élèvent les 325 mètres de la tour Atto (1), un projet unique au monde d’observation de l’Amazonie, développé par le Brésil et l’Allemagne.

Plus haute que la tour Eiffel, la structure de métal, peinte de fraîche date, accueillera, d’ici à la fin de l’année, le nec plus ultra des équipements physiques, chimiques et météorologiques. « Les données que nous recueillerons à cette altitude ne seront pas influencées par les contingences locales, comme le type d’arbres ou de sols. La tour va capter des informations sur une zone de 1 000 km2 ! Nous aurons donc des données vraiment représentatives sur la formation des nuages, le cycle de la pluie ou encore le rôle de la forêt dans le climat », s’émerveille le physicien, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Pour rejoindre ce haut lieu de la recherche climatique surgi au cœur de l’Amazonie, il faut rouler durant quatre heures depuis la ville de Manaus, dans le nord du Brésil, naviguer sur les eaux sombres de la rivière Uatumã, puis cahoter sur une piste de latérite. Dans un camp à toiture de tôle, connecté au reste du monde par un Internet capricieux, la crème des climatologues tropicaux dort en hamac. « C’est un peu loin de tout mais l’ambiance est bonne », assure Christopher Pöhlker, chimiste allemand à l’Institut Max Planck, qui passe régulièrement plusieurs semaines sur place avec des collègues brésiliens, nord-américains ou encore vénézuéliens. En attendant l’entrée en lice de la grande tour, l’équipe étudie les données collectées sur des structures plus petites, construites il y a cinq ans. Les chercheurs y grimpent en baudrier, dans le cliquetis des mousquetons, pour vérifier le fonctionnement de l’anémomètre (qui mesure la vitesse du vent), de l’hygromètre (qui évalue le degré d’humidité de l’air) ou encore des capteurs d’ozone et de méthane. Sous leurs pieds s’étale l’immense tapis de la canopée amazonienne, rayé de temps à autre par l’éclair rouge d’un vol de aras. « Nous sommes entourés de forêt primaire sur 2 000 kilomètres dans toutes les directions, expose Paulo Artaxo, en pointant l’horizon bleuté. L’air arrive de l’océan et est filtré par une immensité d’arbres. Il est aussi pur qu’avant la révolution industrielle ! » Toute cigarette est d’ailleurs proscrite à 500 mètres autour des édifices. La moindre fumée fausserait les mesures des capteurs, ultra-précis.

A la recherche des rivières volantes

Collectées en hauteur, les données descendent dans des labos-containers cachés derrière les arbres. En ouvrant la porte, on quitte la forêt vierge pour plonger dans l’univers climatisé et ronflant de l’électronique de pointe. Le petit espace est surchargé d’écrans, de câbles et d’appareils sophistiqués.

« Ici, nous étudions les aérosols. Ce spectromètre mesure leur taille et leur densité, d’autres leur capacité d’absorption, qui contribue à la fabrication des nuages », expose Florian Ditas, météorologiste, devant un moniteur aux graphiques nerveux. « Notre but est de comprendre le lien entre la forêt, les particules atmosphériques, les gaz et les nuages. Nous travaillons déjà à des articles scientifiques sur ces sujets », révèle Christopher Pöhlker. Le crépuscule sonne systématiquement le retour au camp. Un soir où ils avaient traîné au labo, les deux chercheurs allemands ont fait la rencontre d’un serpent mortel qui a filé dans le sous-bois. La nuit tombée, au son des mille bruits de la forêt, les scientifiques échangent sur leurs découvertes, leurs intuitions, les perspectives qu’offre la tour. « Au contraire des avions, qui font des prélèvements ponctuels en altitude, elle va capter des données en permanence pour accompagner les évolutions durant des décennies », explique Paulo Artaxo, assis sur une souche. L’ambition est aussi de mieux connaître les rivières volantes, ces masses d’eau qui se déplacent dans les airs et vont alimenter les pluies jusqu’en Argentine.

« Immense usine à nuages »

« Si la région de São Paulo vit une sécheresse historique, c’est notamment lié à la déforestation de l’Amazonie, cette immense usine à nuages, assure Paulo Artaxo. Nos recherches donnent des arguments aux militants écologistes, elles apportent des preuves. Mais c’est aux politiques, à la prochaine conférence sur le climat à Paris par exemple (la COP21, ndlr), de prendre les décisions pertinentes. » Dans quelques mois, des matériels de pointe viendront équiper la tour Atto et le transfert des données sera automatisé. Les chercheurs déménageront alors leurs labos-containers à plusieurs kilomètres de là. Pour perturber le moins possible la sentinelle du climat.

(1) L’Amazon Tall Tower Observatory, la grande tour observatoire de l’Amazonie