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Jean-Jacques Annaud, le réalisateur sauvage
mercredi, 25 février 2015 / Anne de Malleray

Avec « Le Dernier Loup », le cinéaste revient à ses premières amours, le monde animal. Rencontre avec un homme qui aime faire vibrer la corde sensible.

« Une fois de temps en temps, j’ai besoin de me mettre dans la peau d’un ours, d’un tigre ou d’un loup. Au lieu de me prendre pour un être supérieur, je prends l’homme pour un animal animé de pulsions, dont l’essentiel de la vie, même si c’est masqué par un discours alambiqué, relève de la même chose que les espèces dont je viens de parler. La territorialité, le désir de nourriture, les pulsions sexuelles, la hiérarchie. » Les animaux ne sont pas le seul sujet de l’œuvre de Jean-Jacques Annaud. Mais il y revient à intervalles réguliers : L’Ours (1988), le duo de tigres de Deux frères (2004) et maintenant Le Dernier loup (2015). Pendant les tournages, le réalisateur pousse loin le rapprochement avec ses acteurs non humains. Au point, sur le tournage de L’Ours, de se faire quasiment trancher le nerf sciatique par Kaar, le gros mâle, héros du film.

A 71 ans, Jean-Jacques Annaud, crinière blanche et regard malicieux, dégage la même énergie que les fauves avec lesquels il aime à travailler. Il l’assure, il n’y a pas de différence fondamentale entre un film avec des acteurs humains ou avec des animaux. « Quand on sait filmer les animaux, on filme les hommes avec plus d’humilité. Un acteur est bien meilleur si on lui demande de faire quelque chose qui est proche de ses instincts. Je n’aurais pas tourné L’Amant de la même façon si je n’avais pas fait L’Ours juste avant. Ça m’a ouvert à la splendeur de l’instinct, du désir charnel, de la moiteur de la peau. » Placer les pulsions animales au cœur d’un cinéma qui, sur la forme, penche plutôt vers la superproduction que vers le film d’auteur ne pouvait que déplaire à une partie de la critique cinématographique, qui étrille régulièrement Annaud. Ses contempteurs le taxent de naïveté, de classicisme, et on en passe. Un désamour des critiques qui ne perturbe pas plus que cela le cinéaste. Car même si Annaud vit aujourd’hui entre Paris et le Loiret, le berceau de son cinéma n’est pas la France.

Dans la peau des animaux

Après une enfance solitaire dans un pavillon bucolique de banlieue parisienne et des études de lettres, latin et grec, le jeune homme se forme à l’Institut des hautes études cinématographiques (rebaptisé Fémis depuis 1986). Jean-Jacques Annaud aurait pu rester un pur produit de l’intelligentsia française, mais il a mal tourné. « Pour quelqu’un qui était plutôt lancé pour entretenir un rapport intellectuel au monde, je suis devenu un passionné des pulsions, des instincts et de l’enracinement de la bête humaine dans la nature qui l’a vu évoluer pendant des millions d’années. »

Ces classes-là, il les a faites en Afrique, où, expédié comme coopérant dans les années 1960 après avoir épuisé tous les recours pour échapper au service militaire, il « bascule », raconte-t-il. « J’ai découvert que je m’entendais mieux avec des gens qui ne parlaient pas ma langue, assis sur un petit tabouret devant une case en paille dans la forêt camerounaise, qu’avec les mecs qui étaient avec moi à la Sorbonne. » Il découvre l’anthropologie, se passionne pour la préhistoire, puis l’éthologie. Prenant la culture occidentale à rebrousse-poil, il s’intéresse au « point de vue des animaux », comme il l’écrit dans la note d’intention de L’Ours, adressée à son ami et producteur Claude Berri. « Après La Guerre du feu, film sur l’homme instinctif, sans paroles, uniquement basé sur l’image et le comportement, j’ai eu envie de filmer un mammifère supérieur, dont on percevrait les traits communs avec l’homme. »

C’est pour réaliser son premier long-métrage, La Victoire en chantant, qui lui vaudra l’oscar du meilleur film étranger en 1977, qu’il rompt avec une brillante carrière publicitaire et ses plus de 500 films alors à son actif. Ce passé de wonderboy de la pub a laissé des traces. Indélébiles. « Je n’en revenais pas, à 19 ans, d’être payé pour faire le métier que j’aimais. Pendant trois ans, je n’ai vu que la joie d’avoir accès au matériel cinématographique, de diriger des acteurs. J’ai été naïf et j’ai réalisé des films mensongers. C’était la règle à l’époque. Il y en a un pour lequel je m’en voudrai toujours, pour des pneus pluie. On m’avait montré des rapports bidons, mais je ne pouvais pas imaginer qu’ils l’étaient. J’ai montré qu’on pouvait rouler à toute berzingue sur une route glissante, mais il n’en était absolument rien. Plein de gens se sont tués avec. » A 25 ans, il fait une terrible dépression, avant de décider qu’on ne lui imposera plus jamais un projet. Il s’abonne au magazine Que choisir et sélectionne les rares campagnes qu’il réalise avec un œil plus que vigilant.

Des débats féroces

Choisir n’est aujourd’hui plus un luxe pour le réalisateur, mondialement connu. Son nouveau film, Le Dernier Loup, est adapté du best-seller chinois Le Totem du loup, de Jiang Rong, sorti en 2004 (traduit en français en 2008 aux éditions François Bourin) et vendu à plus de 20 millions d’exemplaires en Chine. Jean-Jacques Annaud y renoue avec des thèmes qui lui sont chers : la relation homme/animal, le récit d’initiation, la nature sauvage et majestueuse. Financé par la Chine, qui veut se faire une place dans la production cinématographique mondiale, le film a bénéficié d’un budget confortable et le réalisateur d’une liberté, selon lui, totale. « Je suis très touché qu’on fasse appel à moi pour faire un film avec de fortes répercussions environnementales. Je sais que beaucoup de spectateurs ressortent avec le sentiment que la nature est partout en danger et que même certaines espèces qui nous semblent nuisibles sont essentielles. »

Ce film sur les loups, égaux des bergers nomades de Mongolie et nettoyeurs de la steppe, ne manquera pas de faire écho au débat houleux sur le retour du prédateur. « A Auch (Gers, ndlr), quand j’étais venu présenter L’Ours, quelqu’un s’était levé pour me dire : “Qui vous croyez être pour faire un film à la gloire des nuisibles ?” J’ai dû sortir de la salle, raconte-t-il avant de conclure, en riant : L’animal n’est décidément pas politiquement correct ! » —


- Retrouvez ici la critique du Dernier Loup



Jean-Jacques Annaud en dates


- 1943 Naissance à Draveil (Essonne)
- 1977 Oscar du meilleur film étranger
- 1981 Sortie de La Guerre du feu
- 2007 Election à l’Académie des Beaux-Arts
- 2015 Sortie du film Le Dernier loup