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Se passer de ticket de caisse, une fausse bonne idée ?
vendredi, 23 janvier 2015 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Bisphénol A, F ou S : les substances qui composent nos reçus bancaires et nos tickets de supermarché sont loin d’être inoffensives. Mais avons-nous vraiment besoin d’un support papier ? Passer au tout numérique ne serait-il pas plus malin ?

Mettez sur le ventre votre ticket Picard, Carrefour, Lidl ou Naturalia et lisez : « Papier certifié sans bisphénol A ». Depuis quelque temps, un bon nombre d’enseignes ont banni cette substance aussi appelée « BPA », un perturbateur endocrinien avéré, de leurs reçus de carte bleue et de leurs tickets de caisse. A sa place souvent, du bisphénol S ou F. Le souci, c’est que ces deux cousins du BPA, peu connus, ne sont pas encore réglementés. Or, une étude publiée récemment dans la revue Fertility and Sterility a montré qu’ils pouvaient avoir un effet nocif sur le testicule fœtal humain identique à celui du BPA : les BPF et BPS réduiraient eux aussi la production de testostérone. Pour jouer le rôle de révélateur de couleur sur les papiers thermiques – le BPA sert à ça ! – pas besoin de descendre tout l’alphabet pour trouver un bisphénol inoffensif : d’autres substituts peuvent s’en charger. Une note de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (voir tableau 3 de ce pdf) publiée en juin 2012 le prouve. Mais là encore, pour cette longue liste de molécules, on manque cruellement d’évaluations toxicologiques.

Plutôt que de se casser la tête à trouver la formule magique qui n’affecterait pas l’humain, pourquoi ne pas se passer tout bêtement du ticket de caisse ? A-t-on vraiment besoin de ces vilains reçus qui bourrent nos portefeuilles et finissent inévitablement à la poubelle ? Sachez-le, un commerçant n’est aucunement obligé de remettre un ticket de caisse à ses clients contre l’achat d’une marchandise – le ticket est en revanche obligatoire pour les prestataires de services d’un coût supérieur à 25 euros TTC. Mais si les enseignes aiment à encombrer nos poches de petits bouts de papier et à en garder des doubles, c’est qu’ils disposent ainsi d’un support pour leur comptabilité, qu’ils sont capables de justifier leur chiffre d’affaires auprès de l’administration fiscale et qu’ils peuvent enfin régler plus facilement d’éventuels litiges avec leur clientèle. Résultat : en France comme ailleurs, le ticket de caisse est entré dans nos habitudes de consommateurs. Ne pas en recevoir et c’est la sensation d’avoir été roulé qui titille les entrailles.

Une manière de rassurer le client

Admettons. Sauf qu’à l’âge d’Internet, un ticket de caisse n’est pas forcément de papier. Aussi certaines enseignes ont-elles opté pour le ticket numérique. Pour beaucoup, Décathlon, par exemple, l’e-ticket n’est qu’une confirmation a posteriori du reçu version tangible. « Avant que la majorité des enseignes ne suppriment le ticket papier, il faudra plusieurs décennies », s’amuse Alexis Roques, auteur du blog « Ticket de caisse numérique ». Car, poursuit-il, le rectangle de papier, « c’est une manière de rassurer le client, qu’il soit sûr que les données ont bien été transmises et enregistrées. Au moment où l’on est dans le magasin, on n’a pas forcément son smartphone avec soi pour vérifier ou on n’a pas forcément de connexion. »

Certains ont néanmoins franchi le pas et proposent l’option tout numérique. C’est le cas du mastodonte de la distribution E.Leclerc ou, plus modestement, d’O’tera, un réseau nordiste de magasins spécialistes des produits frais en circuits courts. Ces derniers l’assurent : 95% des clients qui visitent l’un des trois magasins de l’enseigne choisissent de recevoir leur ticket par mail : « Les caisses étant automatiques et en libre-service dans le magasin, les clients s’inscrivent eux-mêmes lors de la première visite et indiquent leur e-mail (…). Ils sont automatiquement reconnus les visites suivantes tant qu’ils utilisent la même carte », souligne par e-mail Charles D’Hallendre, responsable communication du réseau.

Une meilleure traçabilité en aval

Chez E.Leclerc, c’est la carte de fidélité contractée en ligne qui fait office de sésame et permet, à chaque passage en caisse, d’envoyer ses reçus en ligne. Avantages pour le client ? La possibilité de disposer d’un historique d’achats et de faire ses comptes. Fini aussi les tickets égarés au moment de faire un échange ou une réclamation sur un produit abimé. Chez O’tera, on assure même que le ticket électronique offre une meilleure traçabilité en aval : il « permet un suivi et une réactivité optimum en cas de problème de qualité ou d’hygiène nécessitant un rappel du produit, voire un remboursement sur le compte client, sous forme d’avoir pour la prochaine visite. Par exemple, si l’on constate qu’on a vendu un lot de bières éventées, on décide de rembourser tous les clients ayant acheté le lot concerné. Les clients sont avertis par e-mail du défaut et du remboursement sur leur compte avant même peut-être d’avoir consommé le produit ! », précise Charles D’Hallendre. Mieux, par le biais de la plateforme, « les clients envoient directement leur avis aux producteurs et aux responsables de rayons, ce qui permet d’améliorer continuellement la qualité des produits en fonction des souhaits et des besoins des clients », poursuit le responsable de la communication.

Mais un tel système ne risque-t-il pas de poser des problèmes de confidentialité ? Car pour accéder au service, les clients doivent s’identifier, via leur carte bleue (pour O’tera) ou leur carte de fidélité (pour E.Leclerc et Décathlon) délivrée après qu’une pléiade d’informations a changé de mains (nom, adresse e-mail, adresse, téléphone…) Des données précieuses pour les boîtes ? Pas tant que ça, assure Alexis Roques. « Avant, il y avait une course aux adresses e-mail et aux adresses postales et les bases de données avaient une forte valeur. Mais on s’est rendu compte que ce n’était pas des données fiables. Les adresses postales changent, les adresses e-mail données par les clients sont parfois des boîtes qu’ils n’ont pas ouvertes depuis cinq ans »

Difficile généralisation

La question se pose davantage en revanche quand on imagine que des plateformes transversales pourraient réunir les preuves d’achat de plusieurs enseignes. Aux Etats-Unis, Myreceipts.com propose exactement cela. Utile pour le client qui voudrait garder l’œil sur son budget, sensible pour les groupes qui voient des données précieuses sur leur chiffre d’affaires quitter leur giron. D’où la réticence persistante des marques françaises. Alexis Roques travaille néanmoins à les convaincre de participer à Myeggbox.com, une plateforme de stockage de factures et de garanties.

Reste que, pour en finir avec le ticket de caisse, il faudrait le généraliser non seulement aux grosses boutiques, mais aussi au petit buraliste ou à l’épicier de quartier. « C’est un boulot énorme qui coûterait trop cher par rapport à ce que ça rapporte », conteste Alexis Roques. Pis, une telle tâche n’aurait qu’un impact environnemental modeste. « L’argument écologique avancé par certaines enseignes (le ticket dématérialisé de E.Leclerc assure, par exemple, qu’il fait “du bien à la planète”, ndlr) qui se lancent sur ce type de solutions reste un argument de principe, car l’envoi d’un e-mail, le stockage de données, la consultation d’un compte client en ligne, etc. ont aussi une empreinte écologique non négligeable », tempère Charles D’Hallendre. « L’argument écologique, je n’y crois pas, confie à son tour Alexis Roques. Ce n’est pas ça qui fera passer les enseignes au ticket numérique. »

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