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Asmelash Dagne met l’Ethiopie en (perma)culture
lundi, 29 décembre 2014 / Justine Boulo /

Née au bout de la Loire, un pied dans l’Atlantique, l’autre embourbé dans la terre, elle s’intéresse aux piafs et aux hortensias, observe ses voisins paysans et leurs élevages bovins. Elle enrage devant les marées noires. Licenciée en lettres, elle sort diplômée de l’Institut pratique du journalisme de Paris en avril 2012. Elle scrute les passerelles qui lient les hommes à leurs terres. Parce que raconter la planète, c’est écrire au-delà des pommes bio et du recyclage de papier.

Dans ce pays d’Afrique de l’Est, monocultures et intrants chimiques épuisent les terres. Alors un scientifique parcourt les écoles pour sensibiliser les enfants et inviter à une autre agriculture, en interaction avec l’homme et la nature.

La route qui descend vers la frontière du Kenya sillonne entre les champs de canne à sucre. Le Sud est le grenier à blé de l’Ethiopie. Accroché au tableau de bord de son 4x4, Asmelash Dagne observe les cultures. A 28 ans, cet ancien prof de physique s’est orienté vers l’agriculture.

« Celui qui m’a ouvert les yeux, c’est le docteur Makovere. » Asmelash n’omet jamais la particule du respect lorsqu’il mentionne Tichafa Makovere, professeur zimbabwéen et pionnier de la permaculture en Afrique de l’Est. « Il m’a fait comprendre que la permaculture n’était pas qu’une agriculture respectueuse de l’environnement. C’est une vision du monde où l’homme aurait sa place dans la nature, et la nature servirait l’homme. Tout repose sur le principe d’interactions. Entre les plantes, entre les éléments mais aussi entre les savoirs, le partage des connaissances, afin de créer un espace durable. Il faut cesser de penser à court terme. »

Héritage paternel

A son arrivée à Gato, son village natal, une nuée d’adolescents cafardeux saluent celui que l’on surnomme « Best », le meilleur. Un petit bout de femme accueille le fils prodigue sur le parvis de la maisonnette. Dans l’entrée, une affiche de botanique récapitule les bienfaits de chaque plante. Jamais Asmelash, ni sa mère, ni ses frères et sœurs, ne la regardent. Ils récitent par cœur leurs secrets. « Le moringa, contre l’anémie. Le souci officinal, contre les douleurs des règles… ». L’héritage paternel survit dans le jardin familial où Asmelash a tenté ses premières expériences de permaculture. « Mon père était professeur de biologie. Il était respecté dans le village. J’ai beaucoup appris avec lui, sur les plantes mais surtout sur l’enseignement. On parvient à bien plus de résultats par l’éducation. » Son père décède alors qu’il n’est qu’adolescent. Naturellement, il entre à l’université de sciences d’Arba Minch, l’une des principales villes du Sud. « Je me suis orienté vers l’agriculture parce que je voulais du concret. »

Education et action se sont doucement mêlées. Depuis quatre ans, il est bénévole pour la fondation Slow Food, qui milite pour préserver les terroirs, conjuguer éthique et écologie et sensibiliser la population à une consommation différente. Le jeune homme tente, seul, d’implanter la permaculture. Sa chasse gardée : la région des nations, nationalités et peuples du Sud. Sa cible : les écoles. Dans ces campagnes, la plupart des élèves travaillent au jardin scolaire. Les ventes des récoltes de céréales, fruits et légumes, servent à financer les livres et rémunérer les professeurs. Les bras noueux, les yeux grands ouverts, il entame à sa façon un précis d’économie : « L’Etat construit d’immenses infrastructures et a besoin de devises étrangères pour les financer. Tout ce qui peut être exporté est vendu à l’étranger. La production agricole n’y échappe pas. Depuis 2011, le gouvernement modernise le secteur à marche forcée. Monoculture, biotechnologies, produits phytosanitaires… Vous connaissez la chanson. » Asmelash ne s’oppose pas au développement économique. Il crée en parallèle.Le 4x4 freine, les portes claquent. Asmelash donne l’accolade à Halake Koierita, le directeur de l’école primaire de Karat.

« Forêt comestible »

Les joues enflées et la mine enfantine, Halake est devenu un disciple d’Asmelash. Il y a trois ans, il a suivi une formation en permaculture. Son intérêt n’a depuis cessé de croître. Et l’école s’est métamorphosée. La caillasse a cédé le terrain à ce que les écoliers appellent une « forêt comestible ». « On en est à un millier d’arbres !, se réjouit Halake. Notre but est de créer un écosystème dans lequel l’être humain trouverait ce qui est nécessaire à la vie : de la nourriture, un abri, des plantes médicinales… On pourrait m’enfermer ici, j’aurais de quoi vivre pendant des mois. » Des ressources que chérissent les 1 700 élèves.

Negato a 12 ans. Elle triture timidement ses tresses, mais la gamine a de l’aplomb. « Mes parents ont observé ce que nous faisions ici et ils ont imité notre travail. La communauté des fermiers autour se tourne petit à petit vers la permaculture. »

Asmelash sourit fièrement. Du haut des collines sculptées en terrasses, il observe les plaines. « La plupart de ces terres sont travaillées en monoculture, regrette-t-il. Mais les paysans ont l’expérience de ce qu’on appelle l’agriculture conservatrice. C’est une connaissance indigène. Ici, nous dépendons de la saison des pluies. Les fermiers utilisent les déchets organiques pour retenir l’eau. Cela crée de l’humus qui suffirait à nourrir la terre. Or la monoculture épuise les sols. Et leur production reste faible. Ce que l’on fait, c’est conserver cette méthode traditionnelle, mais en les poussant à cultiver en polyculture. »

Eviter les pénuries

Le scientifique ne brusque jamais les habitudes. Il apporte de nouveaux enseignements. Et les clients se bousculent. A l’école de Gidole, Tarakaign Taisamo, son directeur, a demandé l’aide d’Asmelash. « Nous n’avons pas de vrais problèmes de sécurité alimentaire, précise-t-il. Mais en cas de sécheresse, nous ferons face à de graves pénuries. Je l’ai bien observé, la permaculture est essentielle à un rendement durable. » Asmelash arpente les alentours où un potager prend forme. « Il faut réfléchir à l’association des végétaux. Ici, ils ont planté des haricots avec l’ail. Or, les légumineuses fixent l’azote dans le sol. L’ail ne peut pas vivre dans un sol azoté. Il faudra changer ça. » L’école de Gidole a encore des leçons à engranger. « En permaculture, on commence toujours petit. Ensuite on s’étend. » Asmelash psalmodie son adage. Comme si façonner un jardin et glaner des connaissances étaient synonymes. Asmelash fronce les sourcils. Un avion s’apprête à décoller. « Il va répandre des pesticides sur les champs de canne à sucre. » Asmelash se tait. Il pense aux savoirs qu’il reste à enseigner. « Notre projet est à contre-courant des politiques. Petit à petit, on avance. » Sa voix baisse d’un ton. Le mot révolution le fait sourire. Il n’appartient pas au vocabulaire local. « C’est une révolution silencieuse. »

Asmelash Dagne en dates

2009 Formation à la permaculture

2011 Crée son premier jardin à l’école de Karat

L’impact

Slow Food a lancé en 2010 le projet 1 000 jardins en Afrique. 1 300 jardins ont été créés, l’objectif est maintenant de 10 000

100 000 membres du club de permaculture d’Asmelash dans la région des Nations du sud