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Nouvel étiquetage de la viande : plus simple ou plus opaque ?
vendredi, 12 décembre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Adieu aiguillettes, poires et merlans. Dès ce samedi 13 décembre, les étiquettes apposées sur les viandes bovines et ovines vendues en supermarché porteront des noms plus génériques. Une simplification qui n’est pas du goût de tous.

Il y avait déjà les hôtels, les restos, les campings et les danseurs. A partir de ce samedi 13 décembre, la viande tassée dans nos barquettes de supermarché se couvrira à son tour d’étoiles. Trois lorsqu’elle est de haute qualité (filet, rumsteak, entrecôte…), deux quand elle flirte avec la moyenne (hampe, merlan, épaule…), un seul petit astérisque lorsqu’elle est jugée passable (poitrine, notamment). Rayé en revanche de l’emballage, le nom précis du morceau (« tende de tranche », « gîte à la noix », « macreuse » ou « jumeau »…) au profit d’une appellation aussi générale que commune – « steak », « rôti », etc. – et de la mention du mode de cuisson adapté (« à griller », « à rôtir », « à mijoter », etc).

Pour l’arrêté gouvernemental qui lance cette nouvelle estampille, il s’agit avant tout de parvenir à une « simplification de l’information pour les consommateurs. » « En moyenne, les consommateurs français cuisinent de moins en moins. Ils ont perdu la connaissance fine des morceaux de boucherie, assure Olivier Andrault, chargé de mission-alimentation pour l’UFC-Que Choisir qui se félicite de la mesure. La simplification permet de regrouper certains morceaux de viande sous une même dénomination et de lutter contre une certaine opacité pour les consommateurs, notamment les plus jeunes générations. » « Ces dénominations anciennes étaient trop mystérieuses, incompréhensibles, abonde Gérard Cladière, président du groupe viande de la Fédération du commerce et de la distribution (FDC). Vous savez, vous, ce qu’est un “rond de tranche”, une “tranche grasse”, un “rond de gîte” ? » Selon une étude menée par ses services, sur les trente appellations de la viande, 10% des consommateurs en connaissent… dix. « Ceux qui connaissent les trente, c’est peut-être 0,5% », souligne-t-il. Des bas morceaux boudés

S’ils ne sont pas directement concernés par la nouvelle étiquette, les artisans bouchers regrettent malgré tout, qu’au détour de la mesure leur savoir s’étiole : « Je ne vois pas en quoi les termes d’“aiguillette”, de “rumsteck”, d’“araignée” auxquels les consommateurs sont habitués posent problème », s’agace Christian Le Lann, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs. Le nom d’un morceau correspond à un goût. La hampe, l’onglet ont un goût particulier. Et ça fait partie d’une culture, d’une tradition gastronomique dont la France peut s’enorgueillir. » « Quand on perd les mots, on perd le savoir-faire, abonde Hélène Strohl, sociologue qui a planché sur l’histoire de la boucherie parisienne et auteure de Recettes d’hier et d’aujourd’hui (Editions Jérôme Do Bentzinger, 2012). Ces termes viennent d’une longue histoire liée à la manière de couper la viande des bouchers parisiens. »

Mais au delà du délitement de la culture carnée – qui n’émouvra pas, loin s’en faut, tous nos lecteurs –, c’est la hiérarchie imposée par cette nouvelle appellation qui chiffonne ses détracteurs. Car dans cette nouvelle course à l’étoile, les « bas morceaux » risquent de se retrouver boudés. « Une seule étoile va créer la suspicion. Les gens risquent de s’en détourner », souligne Christian Le Lann. « Mon boucher m’expliquait l’autre jour qu’il a de plus en plus de mal à vendre les bas morceaux. Il n’y a guère encore que pour le couscous. La nouvelle étiquette risque de ne pas améliorer ça. Or, il suffit d’une cuisson longue et d’une bonne connaissance culinaire pour que cette viande soit tout à fait bonne. Evidemment, si vous grillez une tranche de pot-au-feu, c’est immangeable ! », abonde la sociologue. Dans une tribune publiée dans Le Figaro cet été, elle poursuivait ainsi sa pensée : en encourageant les consommateurs à snober les bas morceaux, « il faudra plus de bêtes pour satisfaire la demande de steaks et autres brochettes. Or, on sait que les protéines animales sont écologiquement chères à produire. »

Reste, selon elle, le risque d’attiser le goût des clients pour des plats nutritionnels plus riches : « Quand vous mangez une viande grillée, un steak frites par exemple, vous mangez facilement 150 grammes de viande. Alors qu’une portion de 60 grammes d’un pot-au-feu avec des légumes et des pommes de terre, c’est largement assez nourrissant et c’est souvent moins gras. Moi, j’aime la viande, mais il est certain qu’il faut en manger moins. »

Le système aux étoiles va-t-il vraiment détourner les consommateurs des bas morceaux ? Pour Gérard Cladière de la FDC, ça ne change strictement rien : « Ils s’en sont déjà détournés. C’est pour les bas morceaux que la consommation de la viande baisse le plus. Tout le monde trouve qu’un bon pot-au-feu ou un bon bœuf bourguignon, c’est un super plat. Mais il faut y passer trois heures, alors on ne peut pas faire ça tous les jours. »

Et la traçabilité dans tout ça ?

La nouvelle étiquette en dira-t-elle plus sur l’origine de la viande ? Pas sur ses conditions de vie en tout cas. Une information que le nouveau système risque de brouiller encore davantage, assure Hélène Strohl : « La viande d’un animal élevé en batterie pourra tout aussi bien avoir trois étoiles que la viande d’un animal qui a couru dans le pré. Comment de petits éleveurs vont-ils pouvoir justifier leur prix ? ». « Je connais pas grand-monde – à part un peu Carrefour – qui communique sur le mode d’élevage », rétorque Gérard Cladière. Et pour l’origine géographique ? Elle ne dira rien de plus, reconnaissent tous les acteurs. « La traçabilité existe déjà », souligne Christian Le Lann. En effet, aujourd’hui, sur les steaks, côtes ou gigots qui dorment dans nos rayons, doivent nécessairement être attachés un numéro relatif à l’animal – ou au groupe d’animaux – dont la viande est issue, mais aussi la mention du pays de naissance, d’élevage et d’abattage de l’animal et celui de découpe de la viande. « Je ne connais pas d’autres produits alimentaires sur lesquels il y ait autant d’informations », souligne Olivier Andrault de l’UFC-Que Choisir. Une exhaustivité propre à tous les produits bruts vendus à l’étal, selon lui, comme les poissons frais ou les fruits et les légumes… A l’inverse, « nous n’avons aucune info sur les produits transformés, regrette celui-ci. La seule obligation, c’est la mention du nom du responsable de la commercialisation, mais ça peut aussi bien être le transformateur que le distributeur. Même pour les produits “mono-ingrédient”, comme une brique de lait, vous ne pouvez pas savoir d’où vient la matière première, elle peut tout à fait venir de Belgique. » De cet « oubli », l’UFC-Que Choisir a fait son cheval de bataille en réclamant que soit mentionnés le pays d’origine de la viande utilisée dans les produits transformés. « Ce débat-là, c’est à Bruxelles qu’il se tient, rappelle Gérard Cladière. Sous la pression des associations de consommateurs, le dossier vient d’être réouvert la semaine dernière à Bruxelles… »


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