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Black Friday en France : « une stratégie pour récupérer les achats de Noël avant la concurrence »
vendredi, 28 novembre 2014 / Amélie Mougey

Attention promo. Ce vendredi, les enseignes hexagonales adoptent cette opération commerciale importée des Etats-Unis. Sophie Dubuisson-Quellier, sociologue, décrypte l’essor de ces rituels consuméristes.

A un mois de Noël, une nouvelle grand-messe du shopping est née. Après trois ans de mise à l’essai, ce vendredi, les grandes enseignes françaises importent pour de bon le Black Friday. Outre-Atlantique, ce jour de promotions exceptionnelles qui suit Thanksgiving voit les Américains se ruer dans les centres commerciaux par milliers pour dépenser en moyenne 407 dollars (soit 325 euros) par personne, en une journée. Au Royaume-Uni, la greffe a pris. Selon le Guardian, les distributeurs britanniques s’attendent ce vendredi à deux fois plus de ventes que l’an dernier. De quoi faire saliver leurs homologues français. De la Fnac à Auchan, en passant par la Redoute, aucun ne voulait rester sur la touche. Certains proposent des ristournes allant jusqu’à 85% du prix initial. Black Friday, Noël, soldes d’hiver, mois du blanc, Saint-Valentin, Pâques, soldes d’été et promos d’anniversaire… d’un bout à l’autre de l’année, le calendrier des rituels d’achat est au bord de la saturation. Que dit la multiplication de ces rendez-vous de notre rapport à la consommation ?

Sophie Dubuisson-Quellier, directrice de recherche au Centre de sociologie des organisations (CNRS-Sciences-Po) et auteure de La consommation engagée (Presses de Sciences Po, 2009) analyse le phénomène.

Terra eco : Pourquoi a-t-on besoin d’une journée de promo en plus dans l’année ?

Sophie Dubuisson-Quellier : Les entreprises en ont besoin, pas nous ! Sur les produits de consommation courante, la demande est saturée. En contexte de crise, les volumes d’achat peuvent difficilement augmenter. Les entreprises en sont conscientes, elle vont donc chercher à déclencher l’acte d’achat avant les autres. Commence alors une course à l’échalote : on met les chocolats de Noël en rayon dès novembre, les fournitures scolaires dès juillet… Quant au Black Friday, ce jour n’est ni plus ni moins qu’une stratégie pour récupérer les achats de Noël avant la concurrence.

La stratégie est-elle efficace ?

En un sens, oui. Nos pratiques d’achat sont enserrées dans des routines. Tout l’enjeu pour les marques et les enseignes consiste à casser ces routines pour nous attirer vers de nouveaux produits : les leurs. Cette même logique pousse les distributeurs à réorganiser régulièrement les rayons des supermarchés. L’objectif, c’est que le client attrape le produit présent en tête de gondole avant d’arriver à celui dont il a l’habitude. Pour bousculer les modes d’achat, on utilise des artifices : on crée des rendez-vous, on réduit les stocks disponibles pour créer de la rareté et de l’envie, on fabrique aussi de fausses cultures autour d’événements prétextes. La mise en récit, c’est quelque qui a toujours existé pour se singulariser, même si dans le fond, l’anniversaire d’un supermarché, tout le monde s’en fiche !

Pourtant, l’évènement commercial reste une stratégie efficace, non ?

C’est vrai. Tout particulièrement pour les nouvelles technologies. Pour une console ou un smartphone, des clients sont prêts à attendre devant la porte d’un magasin dès 4 heures du matin. Les marques créent de l’attente, de l’angoisse et une jouissance à être le premier ou même le dixième à posséder un objet. Ces sentiments sont largement mis en avant sur les réseaux sociaux. Pour les évènement commerciaux importés, c’est plus compliqué. En France, ces rendez-vous fonctionnent moins qu’ailleurs. Halloween et la Saint-Valentin n’ont pas vraiment pris, beaucoup moins en tout cas que dans les pays anglophones. Mais ici comme ailleurs, les individus sont tiraillés entre plusieurs injonctions. En contexte de crise, ils sont sensibles à celle de dépenser moins, de faire des bonnes affaires pour un produit nécessaire. A cela s’ajoute une injonction sociale : la consommation reste un moyen de se positionner dans un groupe. Les consommateurs sont certes plus réceptifs aux discours sur les achats responsables, mais, mis à part pour un petit groupe de personnes aux positions très tranchées, leurs comportements, au croisement de ces différentes injonctions, restent ambivalents.

Participer à ces opérations spéciales entre donc en contradiction avec la volonté de consommer responsable ?

Tout dépend ce qu’on entend par consommation responsable. Si consommer responsable, c’est faire attention à dépenser moins pour quelque chose qu’on aurait de toute manière acheté, participer à ces opérations est responsable. Si on se place sur le plan environnemental et social, ces journées spéciales sont surtout révélatrices de la manière dont se construit la valeur d’un produit. Ce contexte de promos quasi permanentes rappelle que la marge se fait surtout en bout de chaîne. Ce qui est flagrant, c’est le basculement dans la manière dont la participation à ces événements est perçue socialement. Aujourd’hui, chez les classes moyennes et supérieures, on assumera plus facilement l’achat de vêtements de seconde main que le fait de s’être rué dans un centre commercial le jour du Black Friday.


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