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L’avenir du climat se joue déjà cette semaine à Paris
jeudi, 20 novembre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Un an avant la réunion du Bourget, et alors que les yeux sont rivés sur les négociations climatiques, d’autres discussions ont lieu dans la capitale. On s’y écharpe sur la lutte contre de petits gaz… beaucoup plus réchauffants que le CO2 !

Le Bourget. Décembre 2015. Pour les nations, ONG, médias, rendez-vous est pris. C’est là que se tiendra le prochain grand raout des négociations climatiques : la COP 21. Mais pendant que le monde attend, que certains affutent leurs armes, que d’autres révisent leurs freins, un processus parallèle a lieu, tout aussi important. A Paris cette semaine, au siège de l’Unesco, il posait un nouveau jalon à son histoire. Pas une COP (Conférence des parties) comme pour les discussions climatiques, mais une MOP (Réunion – « meeting » en anglais – des parties). La 26e. Dans une vaste salle borgne, doucement baignés du halo de leurs lampes individuelles, les délégués de 197 pays dessinaient cette semaine l’avenir du protocole de Montréal. Un accord signé en 1987 et destiné initialement à réduire – et à terme à éliminer – les substances coupables d’appauvrir la couche d’ozone : les SAO. Parmi eux, les chlorofluorcarbures (CFC) et hydrochlorofluorocarbures (HCFC), des gaz présents dans les systèmes de réfrigération, d’air conditionné, dans les retardateurs de flamme, les aérosols…

S’il est important, c’est qu’il fut jusqu’ici largement efficace (Voir notre article : « Bonne nouvelle, le protocole pour sauver l’ozone a fonctionné ». « C’est une législation très efficace. Grâce au protocole de Montréal, on est parvenus à quasiment éliminer une centaine de gaz », souligne Durwood Zaelke, fondateur et président de l’Institut pour la gouvernance et le développement durable (IGSD), dans le brouhaha de la cafétéria de l’Unesco. La couche d’ozone a repris des couleurs. Mieux, le réchauffement a été limité. Puisque les SAO sont également des gaz à effet de serre, leur limitation en 2010 fut, estime-t-on, « équivalente à une réduction d’environ 10 gigatonnes (GT) par an de CO2, ce qui est cinq fois plus élevé que l’objectif visé pour la première période d’engagement (2008-2012) du protocole de Kyoto », soulignaient en septembre dernier 300 scientifiques chargés de rendre leur verdict sur l’ozone.

Une croissance de 8% par an

L’affaire est donc réglée ? Pas tout à fait. Car de nouveaux gaz ont, depuis, fait leur apparition : les HFC, pour hydrofluorocarbures. Substituts aux dangereux CFC et HCFC, ils ont pour vilaine caractéristique de réchauffer dangereusement l’atmosphère. Introduits tardivement, ils ne sont certes responsables que de 1% des émissions cumulées mais qui croissent d’environ 8% par an, l’augmentation la plus rapide de tous les gaz réchauffants. « A mesure que le monde devient plus riche, plus chaud, les systèmes d’air conditionné se développent en Inde, en Chine ou même en Europe, précise Durwood Zaelke. Limiter les HFC pourrait permettre d’éviter le rejet de 100 à 200 gigatonnes d’équivalent CO2 dans l’atmosphère à l’horizon 2050. » Soit grosso modo les émissions évitées jusqu’ici par le protocole de Montréal (entre 189 et 222 gigatonnes d’équivalent CO2 non émis selon le schéma 4 de ce document du IGSD).

L’enjeu est de taille. Alors, depuis 2009, les HFC se sont invités à la table des MOP. Pour une bonne centaine de délégations, le protocole de Montréal doit désormais prendre ces gaz sous son autorité pour en organiser la disparition. Pour cela, les pays doivent s’accorder pour adopter un amendement au texte initial. Et c’est là que le bât blesse. « Les discussions semblent chaque année plus difficiles, rapporte Clare Perry, chargée de campagne pour l’Agence d’investigation environnementale, blonde élégante installée dans un fauteuil devant les salles de plénière. A chaque fin de MOP (il s’en tient deux par an, ndlr), on finit au même point qu’on a commencé. »

De fervents résistants

Pourtant, la nécessité de lutter contre les HFC est un avis largement partagé. « Nulle part ailleurs dans le monde dans des discussions sur le climat, vous trouverez la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud dans le même camp que l’Union européenne et les Etats-Unis. C’est remarquable », s’enthousiasme Durwood Zaelke de l’IGSD. Si la Chine et l’Inde – gros producteurs de produits réfrigérants – étaient jusqu’ici réticents à entamer la discussion sur le sujet, ils ont récemment changé leur fusil d’épaule. En juin 2013, pour la Chine. En octobre, pour l’Inde. Restent quelques réticents, pays du Golfe en tête.

Mais pourquoi diable ne veulent-ils pas des HFC dans le protocole ? Parce que leurs alternatives sont difficiles à mettre en place dans les pays chauds et coûtent cher, assurent-ils. « C’est vrai que c’est techniquement plus compliqué, concède Clare Perry. Mais d’énormes progrès ont été réalisés. » Pour eux surtout, il ne revient pas au protocole de Montréal de traiter cette question. Puisque les HFC ne sont pas nocifs pour la couche d’ozone, mais bien coupables de renforcer l’effet de serre, c’est dans le cadre des négociations climatiques que leur avenir devrait être tranché. Un argument balayé par les ONG : « Si la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) traite des émissions dans l’atmosphère, nous traitons ici de la production et de la consommation des gaz. Ce sont deux instances complémentaires, rappelle Clare Perry. La CCNUCC a déjà largement à faire sans avoir à se charger des polluants directement fabriqués par l’homme. Elle s’occupe déjà du CO2 qui est produit dérivé des pollutions. »

Garder une monnaie d’échange pour les négociations climatiques

Beaucoup soupçonnent néanmoins que leurs motivations soient tout autres : « On peut suspecter qu’ils veuillent garder une monnaie d’échange. Qu’avant de laisser entrer les HFC dans le protocole, ils veuillent des concessions sur le front des négociations climatiques », suggère Brent Hoare, conseiller auprès de l’association australienne de réfrigération (ARA), qui aide les entreprises à trouver des solutions moins polluantes. En attendant, les opposants ne lâchent rien. Cette semaine, ils ont fermement refusé la formation d’un groupe de contact parallèle qui travaillerait sur l’amendement incluant les HFC. Un groupe informel a finalement été mis sur pied, « un groupe où l’on discute des discussions, mais où l’on ne discute pas vraiment », résume Brent Hoare. Si elles sont déçues, les ONG y voient néanmoins un progrès : « C’est la première fois que les parties s’accordent pour aller de l’avant sur un terrain qui va au delà de l’actuelle MOP », souligne Clare Perry. Et maintenant ? « La discussion va se poursuivre l’année prochaine. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une feuille de route précise pour commencer les négociations sur l’amendement », précise Durwood Zaelke. « L’accord pourrait être assez simple. Il suffit d’une volonté politique, précise Clare Perry. Et ce serait une réussite formidable avant la COP de Paris. »