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Forêt contre champs : la guerre factice du président de la FNSEA
mardi, 18 novembre 2014 / Amélie Mougey

Parcelles agricoles et forêts se disputent-elles le territoire français ? Alors que leurs défenseurs respectifs s’opposent à Sivens, c’est ce que suggère Xavier Beulin. Pas si simple.

La forêt d’un côté, l’agriculture de l’autre. Trois semaines après la mort du militant écologiste Rémi Fraisse à Sivens (Tarn), des agriculteurs probarrage ont défilé samedi dans les rues de la préfecture, Albi. Pendant que les deux camps s’affrontent sur la nécessité de cette construction destinée à l’irrigation de parcelles agricoles, Xavier Beulin, le président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) évoque une guerre de territoire. « Alors que la forêt gagne du terrain, la terre agricole régresse de plus en plus », déclarait-il le 10 octobre dernier sur France Inter, suggérant un lien de cause à effet. Le constat n’est qu’à moitié vrai.

Au cours des cent-cinquante dernières années, la surface forestière française a bel et bien doublé. Recouvert à un tiers, l’Hexagone est devenu le troisième pays européen le plus arboré, après la Finlande et la Suède. Pas tout à fait un retour à « la Gaule boisée », chère à Jules César, mais pas loin. « Le phénomène date de la Révolution industrielle, explique Jean-Marc Frémont, chargé des affaires forestières à l’Institut de l’information géographique et forestière, l’abandon du bois pour d’autres sources d’énergie, comme le charbon, a ouvert la voie à l’expansion de la forêt. » Moins exposés au risque de finir carbonisés, feuillus et épineux ont conquis 6 millions d’hectares entre 1908 et 2009, soit en moyenne 60 000 hectares par an. En moyenne. Car depuis les années 1990, cette colonisation arboricole marque le pas. « Après cent-cinquante ans de progression, les contours de la forêt se sont stabilisés ces dernières années », note l’association interprofessionnelle France Bois Forêt, dans un rapport à paraître le mois prochain.



« La forêt, telle que la définit la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), progresse toujours, nuance Jean-Marc Frémont, mais il suffit de 10% de zone arborée pour que la FAO parle de forêt. » Pour Eric Toppan, coordinateur de l’Observatoire économique France Bois Forêt, un indicateur ne trompe pas : « Ces dix dernières années, les ventes de plants forestiers ont été divisées par deux. » Preuve que les propriétaires fonciers, agriculteurs pour la plupart, sont moins enclins à boiser leurs terres en friche.

Les agriculteurs ont cédé la place

Ce coup de mou des surfaces forestières est certes sans commune mesure avec la situation des terres agricoles, qui, comme le rappelle Xavier Beulin, perdent l’équivalent d’un département tous les sept ans. Mais contrairement à ce que suggère le président de la FNSEA, l’avancée de la forêt n’y est pour rien. Même aux plus grandes heures de son expansion, elle n’a chassé aucune culture. Les agriculteurs ont simplement cédé la place. « L’avancée de la forêt est principalement liée à la déprise agricole, explique Jean-Marc Frémont, c’est-à-dire lorsque des agriculteurs âgés partent à la retraite sans successeurs et que la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) ne réattribue pas leurs terrains. » Sur ces espaces laissés en friche, les pollens font alors leur œuvre, et les arbustes remplacent peu à peu les légumes.

Cette conversion des terres a des racines profondes. Celles-ci remontent à l’intensification de l’agriculture et à sa mécanisation. « Le fonctionnement de la PAC (Politique agricole commune), qui invite à se concentrer sur les bonnes terres, conjugué au déploiement des machines agricoles, a incité les agriculteurs à délaisser les terrains enclavés ou escarpés, explique Eric Toppan. La forêt, ne se heurtant plus à la main de l’homme, en a profité pour s’étendre. »

Coupe rase… des subventions

Dans les années 1990, l’Europe a donné un coup de pouce au phénomène. En versant des aides au boisement des terres agricoles, elle a massivement incité les agriculteurs à planter des arbres sur leurs terres hors d’usage. « Grâce aux aides européennes, le reboisement ne leur coûtait presque rien, à peine 500 euros par hectare au lieu de 3 500, et ça faisait du bois de chauffage », poursuit l’économiste de France Bois Forêt. Mais après la tempête de 1999, ces aides se sont redirigées vers la reconstitution des espaces impactés. Ces coupes rases des subventions destinées au boisement de nouvelles surfaces explique en grande partie le net ralentissement de l’avancée forestière.

Enfin, dans son équation, Xavier Beulin oublie une inconnue : l’artificialisation des sols. « Le territoire français est composé de quatre éléments : les terrains agricoles, forestiers, semi-naturels – les friches – et artificiels, explique Jean-Marc Frémont. Quand la forêt avance, la plupart du temps, elle s’installe sur les friches. A l’inverse, les terres agricoles, souvent plus proches des zones urbaines, sont les premières à disparaître sous le béton. »


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