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Ragondins : comment les agriculteurs nantais se sont trompés de symbole
vendredi, 7 novembre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Lors d’une manifestation ce mercredi, des exploitants agricoles s’en sont pris à des ragondins. Pourtant, l’espèce est classée nuisible et peut être détruite. Et personne ne remet en cause ce statut, pas même les défenseurs de la faune sauvage.

Mais pourquoi donc ont-ils choisi le ragondin ? Ce mercredi, lors d’un rassemblement organisé à Nantes à l’appel de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) de Loire-Atlantique et des Jeunes agriculteurs, des ragondins acheminés dans un chariot sont pris comme boucs émissaires. Les manifestants les aspergent de peinture, leur assènent des coups de pied, l’un d’eux finit même écrasé par un tracteur, comme le montre une vidéo de Télénantes qui a fait le tour de la Toile. A la question : « pourquoi les ragondins ? » posée par le journaliste de Télénantes, l’un des manifestants répond : « Parce que les ragondins, c’est comme Ségolène [Royal, ndlr], c’est des nuisibles ».



La vidéo a largement ému les organisations de protection des animaux et les membres d’Europe Ecologie - Les Verts. Ailleurs, on s’interroge : mais pourquoi s’attaquer à cette espèce 

Consensus autour de son caractère nuisible

Certes, ces animaux représentent un danger, non seulement pour l’agriculture, mais aussi pour l’environnement et la santé publique. « Cette espèce pose problème pour les réseaux hydrographiques : elle fragilise les berges (en creusant des galeries, ndlr), les ouvrages et a un impact sur la qualité de l’eau , précise Marc Pondaven, directeur de la Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles de la Loire-Atlantique (FDGDON 44). Elle est aussi porteuse de nombreuses pathologies », notamment la leptospirose, une maladie bactérienne qui peut être mortelle pour l’homme. Elle pose enfin un souci sur le plan environnemental : « C’est une espèce exogène invasive (voir encadré), et on sait que ces espèces introduites par l’homme sont la seconde cause d’extinction pour les autres espèces et donc de réduction de la biodiversité. Le ragondin, par exemple, entre en concurrence avec le castor d’Europe », poursuit Marc Pondaven.



Dangereuse, la multiplication du ragondin. Tant qu’avec six autres, il est classé dans la catégorie des espèces exogènes nuisibles sur l’ensemble du territoire métropolitain (voir arrêté du 24 mars 2014). En clair, il peut être détruit, « selon certaines méthodes, notamment le piégeage, pas écrasé par un tracteur », précise Ariane Ambrosini, du service juridique de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). « Personne ne remet en question ce statut d’animal nuisible. La destruction peut se faire », souligne-t-elle encore. Alors pourquoi les agriculteurs les ont choisis comme victimes expiatoires ? Parce que l’espèce prolifère malgré la destruction ? Non, selon la FDGDON 44. « Elle est plutôt bien gérée. Le seuil de tolérance par rapport aux risques agricoles et environnementaux est respecté », assure Marc Pondaven. Parce qu’éliminer ces animaux coûte cher aux paysans ? Là encore, le spécialiste réfute cette hypothèse : « L’action de lutte est portée par nos organisations avec les collectivités territoriales. Il n’y a pas de contribution particulière du monde agricole. »

Un dérapage ?

Alors quoi ? Sollicitée par téléphone, la FDSEA 44, l’un des deux organisateurs de la manifestation de mercredi, n’a pas répondu dans les temps. Dans d’autres colonnes, ils se sont néanmoins défendus : « Il y a visiblement un décalage profond entre les citadins et le monde rural, a, par exemple, déploré Alain Bernier, président de la FDSEA 44, sur le site de 20 Minutes. (…) Les ragondins sont des animaux nuisibles ! (…) C’est un fléau pour notre profession et nos campagnes. » Un avis réfuté par le siège de l’organisation : « Je considère que c’est une connerie et je ne cautionne pas ce genre de dérapage », a confié à l’AFP Xavier Beulin, le président de la FNSEA. La seconde organisation à l’origine de la manifestation de Nantes nous a, pour sa part, précisé par e-mail : « Jeunes agriculteurs ne défend aucunement ces actes de violence gratuits, qui ne sont pas représentatifs des modes d’actions mis en œuvre par notre réseau le 5 novembre. Ils ne doivent pas occulter les revendications très précises portées par les 36 000 agriculteurs descendus dans les rues mercredi. »

Un dérapage de quelques individus, peut-être. Un mauvais choix, à coup sûr. « Dans le monde agricole, l’état d’esprit en ce moment est d’être hostile à la notion de bien-être animal », estime Nelly Boutinot, secrétaire générale d’Humanité et biodiversité, en faisant référence à un amendement au projet de loi sur la simplification du droit et des procédures adopté à la fin du mois d’octobre (ART 515-14) à l’Assemblée nationale, qui vise à accorder aux animaux la qualité « d’être vivants doués de sensibilité ». Pourtant, « ce changement de statut concerne les animaux d’élevage et non les animaux sauvages. Le ragondin a clairement été pris ici comme bouc émissaire », assure-t-elle. « Les agriculteurs ont fait un amalgame entre cette espèce-là et leurs revendications réelles. Ils se plaignaient de certaines contraintes posées sur leurs pratiques, mais je ne pense pas que le ragondin soit le symbole de la sur-réglementation environnementale. S’il est un symbole de quelque chose, c’est des effets de la mondialisation », assure Marc Pondaven.



Comment le ragondin a débarqué en France ?

A la fin du XIXe siècle, c’est la mode des fourrures. Et le ragondin d’Amérique du Sud, de son petit nom « Mytocastor copyus », est un candidat idéal : « Il est facile à élever, herbivore, peu exigeant et se reproduit facilement », souligne Marc Pondaven, directeur de la Fédération départementale des groupements de défense contre les organismes nuisibles de la Loire-Atlantique. Avec son compère d’Amérique du Nord, le rat musqué, le voilà donc introduit en France. Les élevages se multiplient. Mais la mode de la fourrure décline. Pis, à cause de « quelques épisodes climatiques extrêmes, comme des tempêtes qui frappent les élevages », selon le spécialiste, le ragondin est introduit dans le milieu naturel où il prolifère, notamment parce que ses prédateurs traditionnels – caïmans, alligators ou pumas – manquent à l’appel. Il est désormais présent dans plus de 70 départements.


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