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« Ici, il y a des gens qui tapent des crises, qui se droguent, vomissent »
jeudi, 30 octobre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

A Vincennes, Youssef, Tunisien, attend au centre de rétention administrative.

Youssef, 21 ans, est Tunisien. Il est arrivé en France à 16 ans. Au lycée de Le Mée-sur-Seine (Seine-et-Marne), il a suivi une remise à niveau puis une formation d’installations sanitaires. Il a été arrêté au début du mois d’octobre par des policiers à Paris, puis transféré au centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes parce qu’il n’avait pas de papiers.

« Ici, c’est comme une prison. On partage les chambres à deux. Ce qu’ils nous donnent à manger, c’est périmé le jour même. Je ne mange que du pain et du fromage. J’ai perdu 7 kilos, à cause du stress et du choc psychologique. Tu ne sais pas ce qui va t’arriver. Il y a des gens qui tapent des crises, qui se droguent aux médocs, vomissent, veulent se suicider. Certains tombent malades et parfois il n’y a personne à l’accueil pour les aider. C’est quoi, ici ? Un zoo ou un centre de rétention ? Même en prison, on t’aide. Ici, on prend les gens pour des petites merdes. C’est du grand délire. Mais les gens n’ont rien fait ! Dehors, il y a des gens qui braquent, qui vendent du crack. C’est eux qu’on devrait enfermer, pas des gens qui travaillent, qui sont mariés, qui ont une copine. Mes parents ? Ils m’appellent chaque jour. Heureusement parce qu’en France tout seul depuis seize ans, j’ai trop manqué d’amour. Ils me demandent : ‘‘ Qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui ?’’ Ma mère n’est même pas au courant que je suis ici.

Lors du rendez-vous avec le juge, ils ont ressorti le fait que j’étais tombé une fois pour un stick (un joint, ndlr). J’avais pris à peine une heure de garde à vue. Tous les jeunes fument un peu ! Et eux, ils ont sorti ça pour justifier que ne pouvais pas continuer mes études. J’ai déjà fait cinq jours, et hier ils m’en ont remis vingt. Après, j’aurai un autre jugement. Ils pourront encore me remettre vingt jours (la limite de rétention administrative en France est limitée à quarante-cinq jours, ndlr) ou me renvoyer dans mon pays. Ici, sur les murs, ils affichent les listes des gens qui vont rentrer. La première fois, on peut refuser de monter dans le vol. Mais la deuxième fois, ils ne te disent pas. Ils te mettent du Scotch, ils te font une seringue (1) et tu te réveilles au pays. Accepter le premier vol ? C’est sûr que c’est moins violent. Mais je refuserai. On me donne la chance de refuser une fois, je la prendrai.

Si je rentre, ce n’est pas la pauvreté qui me fait peur. A Tunis, mon père est chef de banque, ma mère est cadre dans l’Education nationale. Mais c’est la mentalité des gens. C’est un autre monde. Moi j’ai grandi et je suis allé à l’école en France. Je ne veux pas retourner en arrière. S’ils me renvoient, ils gâchent ma vie. Et je crois bien qu’au pays, je deviendrai un peu psychopathe. N’empêche que je ne pense pas que je reviendrai ici. Pas sûr que j’aime encore la France après ça. » —

(1) L’Association Service social familial migrants (Assfam) n’a pas pu confirmer cette information. Cette association qui assure une mission d’aide à l’accès aux droits des retenu(e)s est présente dans les CRA de Vincennes et du Palais de justice de Paris.