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Pourquoi ma mairie n’achète-t-elle pas des voitures d’occasion ?
lundi, 20 octobre 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Quand elles lancent un appel d’offres, de nombreuses communes demandent des produits neufs. Idem pour les ministères, les hôpitaux, les écoles. Un amendement de la loi sur la transition énergétique vise à changer les habitudes.

La ville de Deuil-la-Barre, dans le Val-d’Oise, a déposé sa requête sur un site dédié. Pour bien servir ses administrés, elle a besoin de 47 véhicules neufs (voitures, fourgons, bennes…). Le 27 octobre, elle bouclera l’appel d’offres et désignera les heureux titulaires des contrats. Des communes qui achètent des voitures neuves ? « Une véritable gabegie financière !, pour François-Michel Lambert, député Europe Ecologie - Les Verts des Bouches-du-Rhône. Des voitures de seconde main suffiraient pour les déplacements. Et de l’autre côté, on a des voitures qui ont à peine roulé et qui risquent de se retrouver à la casse. » Mais pourquoi diable Deuil-la-Barre, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Neuilly Plaisance (Seine-Saint-Denis) et des quantités d’autres ne cherchent-elles pas à s’équiper avec du matériel d’occasion ?

Un levier d’action vers des achats plus durables

A priori, rien ne les en empêche, souligne Guillaume Cantillon, président du Groupe d’étude des marchés relatif au développement durable (GEM-DD) qui aide les acheteurs publics à intégrer des clauses d’achats durables dans leurs appels d’offres : « L’article 1er du code des marchés publics parle de “marchés publics de fournitures”. Cela peut donc inclure du matériel d’occasion. » Pourtant, l’achat de produits d’occasion ou recyclés « n’est pas très développé », concède le spécialiste qui explique son constat par des réticences. « Certains produits de seconde main, par exemple ce qui touche à la petite enfance comme le matériel de puériculture ou les jouets de crèche, peuvent susciter des réticences liées à l’hygiène ou à la sécurité. Mais on se situe plus dans le domaine des représentations. En soi, il n’y a pas d’obstacle juridique ou technique si le produit est bon à l’usage et répond aux besoins de la collectivité. » Mieux, les services de valorisation des objets d’occasion existent : pour les particuliers par exemple, c’est le job des Ressourceries qui testent la sécurité des objets, les nettoient, leur redonnent, le cas échéant, un coup de neuf. Dans le XIVe arrondissement à Paris, l’association Rejoué accomplit le même travail sur les jouets d’enfants.

Pas de véritables obstacles mais un défaut de pratique. Aussi, c’est pour changer les habitudes des acheteurs publics qu’un nouvel amendement a été déposé par François-Michel Lambert au cœur du projet de loi sur la transition énergétique. Il prévoit de lancer aux départements un défi très spécial : « Fixe(r) des objectifs d’intégration de produits issus du réemploi, de la réutilisation et du recyclage dans la commande publique » dans le cadre de leurs plans de prévention et de gestion des déchets non dangereux.

Réemploi, réutilisation, recyclage, quelle différence ? Le premier consiste à prolonger simplement la vie d’un objet : une voiture qui a déjà servi à monsieur X est désormais conduite par madame Y. Le second à réutiliser un objet pour un autre usage : des pneus de voiture iront protéger la coque d’un chalutier. Le troisième vise à transformer un déchet et à le réintroduire dans la chaîne de production d’un autre objet : des pneus usagés serviront à fabriquer des semelles de chaussures (Voir la définition par le Sénat ici, ndlr)], ici). Dans tous les cas, ministères, villes, universités, hôpitaux, etc. devront y réfléchir à deux fois avant d’acheter du flambant neuf… « C’est un formidable levier d’action vers des achats plus durables », assure François-Michel Lambert.

Demain, tous vendeurs ?

Et les acheteurs publics auront d’autant plus intérêt à se laisser tenter qu’une récente directive européenne, en cours de transposition dans le droit français, intègre le coût du cycle de vie d’un objet dans les critères de choix des appels d’offres publics. « Jusqu’à présent, on choisissait en fonction du prix le plus bas ou de l’offre économiquement la plus avantageuse à l’usage. Le Code des marchés publics parlait ainsi de ’coût global d’utilisation’. La nouvelle directive introduit le cycle de vie des produits – l’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication du produit, son acheminement, sa fin de vie – dans les critères du choix de l’offre. On peut remonter tout en amont de la chaîne, ce ne sont plus seulement les qualités intrinsèques du produit qui comptent », explique Guillaume Cantillon. Or, un produit de seconde main ou recyclé aura souvent une Analyse du cycle de vie (ACV) plus favorable que son équivalent neuf ou non recyclé. Il devrait donc l’emporter plus facilement dans le cœur des acheteurs. A condition que ceux-ci aient décidé d’accorder au critère de durabilité une place importante. « Si le coût du cycle de vie compte pour 10% de la note du produit, un produit d’occasion ou recyclé aura plus de chances d’être choisi », souligne Guillaume Cantillon, qui rappelle que les acheteurs publics restent « souverains » dans la détermination de leurs critères de choix.

Mieux, les communes et les organismes publics pourraient tirer leur épingle financière du jeu. Puisque d’acheteurs, ils pourraient aussi devenir vendeurs d’un marché revigoré. Certains le font déjà. Le site Agorastore créé en 2005 en partenariat avec la ville de Lyon met, par exemple, aux enchères le matériel mis en vente par les collectivités, les organismes publics et les entreprises. On y trouve un piano déchu du grand théâtre de Tours, une échelle de piscine de Montauban (Tarn-et-Garonne), des pavés anciens venus de Langeais (Indre-et-Loire)… Des objets qui pourraient désormais intéresser des collectivités en mal d’objets à faire revivre, transformer, recycler.