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La chasse aux sacs plastique va-t-elle vraiment s’ouvrir ?
vendredi, 27 juin 2014 / Alexandra Bogaert

Ségolène Royal veut interdire les sacs plastique à usage unique en 2016. Ne seront tolérés que ceux en bio-plastique compostables à domicile. Cette intention, diversement appréciée, va-t-elle être suivie d’effet ?

Le sac de courses en toile de jute va devenir le nouvel accessoire à la mode. Merci Ségolène Royal. Car la ministre de l’Ecologie ouvre la chasse aux sacs plastique. Mercredi soir, elle a fait voter par la commission du développement durable à l’Assemblée nationale un amendement à son projet de loi sur la biodiversité qui prévoit l’interdiction pure et simple, à compter du 1er janvier 2016, des sacs plastique à usage unique – payants comme gratuits – aux caisses des magasins comme dans les rayons frais. Seuls des sacs en papier ou réutilisables pourraient alors être proposés. Même bannissement du plastique dans les marchés et les commerces de proximité où l’on vend des produits frais (fruits et légumes, poissons, viandes etc.), à moins qu’il ne s’agisse de « sacs compostables en compostage domestique et constitués pour tout ou partie de matières biosourcées ». Cette mesure, globalement saluée, risque-t-elle de faire pschitt ?

Passer de 12 milliards de sacs à zéro

Il s’écoule, chaque année en France, 12 milliards de sacs plastique sur les étals des marchés, qui échappent au recyclage. « 95% sont importés d’Asie », explique Christophe Doukhi-de Boissoudy, manager général de Novamont, leader mondial des bioplastiques, issus de matières premières renouvelables d’origine agricole. A cela, il faut ajouter les 700 millions de sacs de caisse encore fournis (chiffre 2011, en nette baisse par rapport à 2002, quand on en distribuait 10 milliards...), dont 70% sont également fabriqués hors UE.

Passer de ces chiffres astronomiques à zéro sac à usage unique sera une petite révolution pour les consommateurs. Zero Waste France (anciennement le Centre national d’information indépendante sur les déchets) applaudit cette mesure qui devrait être discutée à l’Assemblée puis au Sénat à l’automne prochain, en même temps que le projet de loi biodiversité : « C’est un texte ambitieux et assez inattendu », se félicite Flore Berlingen, directrice de Zero Waste. Il va en effet encore plus loin que la proposition de directive de la Commission européenne, qui prévoit une baisse de 80% du nombre de sacs plastique à usage unique d’ici à 2019 au sein de l’UE. Si les parlementaires validaient cet amendement, la France serait alors le pays le plus en pointe en Europe en matière de lutte contre les sacs plastique.

Un texte plus ambitieux que le précédent... jamais appliqué

Ce texte est bien plus prometteur que celui daté de 2010 dont il vient prendre la relève, et qui prévoyait le versement, au titre de la taxe sur les activités polluantes (TGAP), de 6 centimes d’euros par sac de caisse en plastique et à usage unique à compter du 1er janvier 2014. Cette taxe devait s’imposer à toute personne qui livre ces sacs en France ou les utilise.

Le décret d’application de ce texte n’a jamais été publié, en raison de vives dissensions entre les ministères du Redressement productif d’Arnaud Montebourg, qui souhaitait apporter de nombreuses exemptions à cette taxe (notamment pour les sacs en plastique oxo-dégradable), et le ministère de l’Ecologie de l’époque, tenu par Philippe Martin. « Cet amendement est là pour débloquer la situation et relancer les négociations », explique Flore Berlingen.

Le compostable oui, le biodégradable non

Car il va falloir parlementer. En effet, même si Christophe Doukhi-de Boissoudy, représentant européen des bio-plastiques, le perçoit comme étant « une excellente nouvelle pour la France », il souhaiterait l’infléchir. D’un côté, l’interdiction des sacs à usage unique non compostables, importés d’Asie, devrait dégager des parts de marché pour la filière des bio-plastiques, qui emploie 4000 personnes dans l’Hexagone. De l’autre, le texte voté en commission n’accepte que les sacs compostables en compostage domestique et non, plus largement, les sacs biodégradables.

La raison ? « Les normes [de biodégradabilité] existantes ne garantissent pas une dégradation en compost domestique ni dans le milieu naturel mais uniquement dans des installations industrielles », précise le texte. De plus, « la mention ’’biodégradable’’ aurait pu conduire [le consommateur] à une recrudescence des actes d’abandon (alors même que ces sacs ne se biodégradent pas dans la nature dans un délai raisonnable et ont un fort impact sur la biodiversité) ».

Un « détail » qui promet une grande bataille

C’est contre ce « petit détail » que le représentant européen des bio-plastiques biodégradables en compostage industriel va désormais batailler. Selon lui, « entre le biodégradable et le compostable, la seule différence est une question de temps : six mois pour le premier, trois mois pour le second. Et puis il n’y a pas de norme définissant le compostage domestique, à l’inverse de l’industriel, car le temps que le bio-plastique met pour se dégrader dépend de l’humidité, de la température, des microorganismes, etc. Il sera donc différent selon qu’on habite au Nord ou au Sud, qu’on l’aère régulièrement ou non, etc. Dans ces conditions, il sera impossible de normer ce compostage domestique et donc de publier, là encore, les décrets d’application de ce texte ! La filière risque encore d’attendre sans que rien ne se passe. » Lui milite afin que « le texte évolue vers la norme européenne EN13432 », adoptée en 2001 et qui définit les caractéristiques qu’un matériau doit posséder pour être considéré comme compostable et biodégradable, dans le cadre d’une filière dédiée.

« Clairement, Novamont cherche à créer une filière de compostage industriel des bio-plastiques en France, qui n’en est pas dotée. Et tant mieux qu’elle n’en ait pas, car qui dit développer une filière dit collecter les déchets compostables, créer des usines, mettre plus de camions sur les routes. On n’en a pas besoin !, tranche Antidia Citores, coordinatrice Lobby et Environnement de l’ONG de protection des océans Surfrider. Quant à la norme EN 13432, son application n’est pas contrôlée. Les entreprises s’auto régulent, ce qui fait qu’elle est peu mise en pratique. » Pour Surfrider, la vraie révolution serait de se passer tout à fait du plastique, compostable ou non. Parce qu’« il faut se sortir du fléau qu’est la société du jetable ». Ne se servir que de sacs réutilisables faits en matériaux vertueux et recyclables serait une bonne illustration des bienfaits de l’économie circulaire dans laquelle la France est en train de basculer.

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