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Ces boîtes françaises qui n’ont plus rien à vendre
lundi, 10 mars 2014 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Acheter, casser, jeter. Ce vieux modèle est révolu. Des PME s’imposent désormais en vendant non plus des objets mais des usages, des services.

Du temps de nos parents, on mesurait sa richesse à la taille d’une maison, au nombre d’objets entassés dans les placards, exposés dans des vitrines. Mais quel besoin de posséder quand on peut disposer ? C’est le principe de l’économie de fonctionnalité. Des pionniers existent et font déjà figure de victorieux modèles. Depuis 2001, chez Michelin, les transporteurs routiers n’achètent plus les pneus qui équipent leurs essieux mais paient au kilomètre parcouru. Idem pour Xerox qui propose un système de location de photocopieurs aux entreprises. Or, depuis peu, ce modèle essaime dans les rangs des PME.

Dans les Bouches-du-Rhône, à Aubagne, Arcane Industries a inventé une alternative au perchloroéthylène, ce solvant nocif qui doit, en 2022 au plus tard, disparaître des salles embuées des pressings. Pour avaler son solvant plus écologique, la PME a aussi mis au point de nouvelles machines. Mais plutôt que de les vendre à prix coûtant, elle propose à ses clients d’acheter des cycles de lavage qui incluent l’assistance technique et la fourniture des produits. Plus à l’est, à Grasse, l’entreprise Areco a conçu un système de vaporisation d’eau – appelé nébulisation – pour maintenir fruits et légumes au frais dans les supérettes. Là aussi, l’entreprise propose à ses clients d’acheter un service plutôt que de se s’encombrer d’un équipement.

Un client débarrassé des contraintes

Pour le client, c’est tout bénef : « Acheter une fonction l’exempte d’avoir à assumer les externalités. S’il achète le principe qu’une certaine surface doit être peinte pour une durée donnée, il n’aura à s’occuper de rien. Le fournisseur, au lieu de fourguer un produit standard, va trouver une solution technique, passer pour assurer la maintenance », précise Emmanuel Delannoy, directeur d’Inspire (Initiative pour la promotion d’une industrie réconciliée avec l’écologie et la société) qui accompagne les sociétés dans leur conversion. Ainsi, avec son service de solvants organiques, Arcane Industries décharge l’artisan, déjà bien occupé derrière son comptoir, d’une tâche ennuyeuse : celle d’avoir à recycler ses solvants. Avec son système d’humidification, Michel Gschwind, gérant d’Areco assure qu’il peut, lui, « réduire les pertes des supérettes puisque les produits frais s’abîment moins » et donc épargner au gérant du magasin la gestion des fruits et légumes altérés.

Mais surtout, puisqu’ils louent un usage et assurent la maintenance, ces industriels ont tout intérêt à concevoir des produits costauds. Fini les systèmes « cheap ». « Il faut faire durer le matériel plus longtemps, pour ça on a des techniques de montage plus précis », explique Michel Gschwind. La règle était déjà celle-là chez les pionniers : « On travaille sur la fiabilité des machines parce que moins les techniciens interviennent, moins ça nous coûte », souligne Sofia Domingues, directrice marketing et développement durable chez Xerox.

Des produits plus abordables

Mais puisqu’elles ne peuvent plus compter sur le renouvellement des équipements pour faire grimper leur chiffre d’affaires, comment ces boîtes s’en sortent-elles ? En valorisant mieux leur technologie, mais sur un temps plus long et avec des services en plus : « L’ économie de fonctionnalité permet de valoriser une innovation technologique qui n’aurait peut-être pas fonctionné autrement, à cause de son coût, souligne Emmanuel Delannoy. Ce n’est pas parce qu’une innovation technologique permet de fabriquer des pneus qui durent deux fois plus longtemps, qu’un client sera prêt à payer deux fois plus cher. Si Michelin vend au kilomètre en revanche, il peut en tirer plus de revenus. »

« Avec la nouvelle réglementation (qui bannit le perchloroéthylène des pressings au plus tard en 2022, ndlr), le coût des machines va se révéler indigeste pour les petits artisans. On estime que 1 600 pressings et 6 000 emplois sont condamnés. Proposer un schéma de location peut permettre d’en sauver pas mal », estime Alfred Testa, le patron d’Arcane Industries.

Mais surtout, parier sur le respect de l’environnement et donc de moindres coûts d’usage c’est jouer la carte de la différence sur un marché très concurrentiel : « C’est un accélérateur économique tellement c’est nouveau », estime Alfred Testa. « Tout le monde pense que Reach (le règlement qui modernise la législation européenne en matière de substances chimiques, ndlr) est un inconvénient. Pour Arcane, c’est une chance. Ca a permis d’imposer notre concept ». Xerox, le grand frère, va même plus loin en encourageant ses clients à imprimer le moins possible : « Ça peut paraître antinomique avec le développement de notre chiffre d’affaires. Mais notre objectif est d’avoir une stratégie commerciale offensive, de couvrir un maximum de comptes », confie Sofia Domingues. Comprenez moins de volume écoulé par client mais plus de clients.

Ma petite entreprise ne connaît pas la crise

Des obstacles persistent néanmoins. L’incompréhension de certains clients encore attachés à la possession des outils qu’ils utilisent, mais surtout des défis en interne. Parce que fabriquer un produit ne requiert pas les mêmes compétences que celles de le maintenir en forme, d’apprendre au client à mieux l’utiliser.

Une fois la période d’adaptation passée, les résultats sont plutôt encourageants : « Il y a une crise depuis 2008, mais nous sommes tranquilles, plutôt en progression », souligne par exemple Alfred Testa. « Il faut être réaliste, l’économie de fonctionnalité reste très marginale, précise Emmanuel Delannoy. Il faut dire qu’on est arrivé à un seuil pour l’innovation technologique, on est allé tellement loin que l’innovation n’est même plus perçue par le client. Sur un outil technologique comme ceux qu’on emploie tous les jours, on utilise 20% de ses capacités. Ce n’est plus là qu’est la valeur ajoutée mais dans l’usage. »


Ces nouveaux matériaux qui vont se réparer seuls

Au-delà de l’économie de fonctionnalité, certains industriels construisent des objets plus durables. Malongo a inventé une nouvelle cafetière garantie 5 ans, Motorola a présenté son projet de téléphone modulaire dit « Ara » dont les pièces peuvent être changées à l’envi. Ailleurs en labo, de nouveaux matériaux – caoutchouc, béton… – se développent et pourront se réparer tout seul. Mais comment les fournisseurs de ces produits plus durables voire incassables rêvent-ils un jour de s’en sortir économiquement ? En remplaçant des clients hyperconsommateurs mais volatiles en clients fidèles. « Il peut y avoir un effet tribu, un sentiment d’appartenance pour le client à sa marque, un peu comme celui qu’avait réussi à créer Apple au début », souligne Emmanuel Delannoy en parlant de la machine Malongo.