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Tuer les requins pour éviter les attaques, un « massacre inefficace »
lundi, 27 janvier 2014 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Plusieurs pays, dont la France, ont décidé de tuer des requins près de leurs côtes pour éviter les attaques. Ils font fausse route selon Sébastien Mabile, avocat spécialiste du droit de la protection de la nature.

Sébastien Mabile est avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit de la protection de la nature.

« Terra eco » : Après une attaque, la France a tué des requins à la Réunion en juillet dernier. En Australie-Occidentale, un plan d’élimination des requins a été lancé ce dimanche. Pourquoi les Etats ont-ils de plus en plus recours à ces pratiques ?

Sébastien Mabile : A ma connaissance, cette pratique est assez nouvelle. Les gouvernements lancent ces campagnes pour répondre à la recrudescence des attaques que l’on constate depuis quelques années (le muséum d’histoire naturelle de Floride compte 53 attaques dans le monde en 2008, 67 en 2009, 82 en 2010, 78 en 2011 et 80 en 2012, ndlr). Mais c’est une réaction uniquement politique et médiatique qui montre pour moi l’incapacité des gouvernements à gérer ce problème réel. Cette hausse du nombre d’attaques est en effet due à l’importante augmentation du tourisme balnéaire et en particulier de la pratique du surf. Dans le même temps, les populations de requins blancs, bouledogue et tigre (les trois espèces susceptibles d’attaquer les hommes, ndlr) sont elles en constant déclin.

Tuer les requins proches des côtes comme le font la France et l’Australie n’est donc pas utile selon vous ?

C’est même totalement inefficace. D’abord parce qu’on va s’attaquer près des côtes à des espèces qui sont pélagiques (qui vivent en pleine mer, ndlr). Ensuite parce que le nombre d’animaux prélevés est négligeable. A la Réunion, on a prélevé quelques spécimens. La campagne en cours en Australie devrait aboutir au même résultat, on tuera au maximum quelques dizaines de requins. C’est tout à fait ridicule par rapport au nombre de requins concernés, ce n’est pas comme ça que l’on réglera le problème. A l’échelle de l’espèce, cette prise n’aura pas d’impact, surtout si on compare ces campagnes à la pêche pour les ailerons (elle tue plus de 100 millions de requins chaque année selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr). Mais elle donne un très mauvais signal.

On dit que les requins se rapprochent des côtes à cause de la raréfaction des stocks de poisson en pleine mer. Si c’est le cas, il faudrait donc effectivement prendre des mesures pour les zones côtières...

Certains chercheurs estiment en effet que la surpêche pourrait contraindre une partie des requins à chercher de la nourriture plus près des côtes. Mais le requin est une espèce encore très peu connue et il est difficile de le confirmer. Par ailleurs, on constate que les victimes d’attaque sont en grande majorité des surfeurs, les attaques de baigneurs sont très exceptionnelles. C’est donc bien l’augmentation de la pratique du surf qui explique la recrudescence des attaques, plus que cet éventuel déplacement des requins. Et il faut bien noter que ces attaques sont certes dramatiques mais qu’elles restent très limitées par rapport à d’autres attaques de prédateurs ou ne serait-ce que par rapport aux nombre de décès liés aux piqûres d’abeilles par exemple.

Pourquoi cible-t-on en particulier le requin ? Y a-t-il un fantasme autour de ces animaux ?

Oui c’est évident. Le requin a l’image d’un animal méchant et mangeur d’homme. Cette image perdure, et il est clair que le film Les Dents de la mer a fait le plus grand mal à cet animal. Cette mauvaise image, qui est fausse, est l’un des facteurs qui explique que le requin fasse l’objet d’une protection insuffisante alors que près d’un quart des espèces de requins sont menacées de disparition. Réhabiliter l’image du requin est un travail de longue haleine et les campagnes d’élimination sont en cela un très mauvais signal.

Que peut-on faire ? Est-ce à l’être humain à réapprendre à cohabiter avec les requins ?

Ces attaques de requins posent des questions éthiques. Quand il est dans la nature, c’est à l’homme de s’adapter aux risques. Quand un alpiniste décède dans une avalanche, c’est malheureux mais on ne pense pas à déclencher des avalanches dans toutes les montagnes pour éviter les drames. Avec les requins, ce devrait être pareil. On sait que les attaques de requins sont ciblées sur certaines plages et on sait que les requins chassent principalement la nuit, à l’aube ou au crépuscule. Aux surfeurs de s’y adapter. Si certains veulent assumer ces risques, libre à eux de le faire, je ne suis pas du tout pour les priver de cette liberté. Mais cela ne doit pas justifier des massacres inutiles. A mon avis, le gouvernement australien ferait mieux de s’attaquer à la question du changement climatique et aux importants feux de forêt qui ont fait bien plus de morts dans le pays ces dernières années que les attaques de requin.