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Mode éthique : « Voilà pourquoi nous refusons de solder nos vêtements »
mercredi, 8 janvier 2014 / Ludivine Abruzzo /

Responsable Web et communication à Peau éthique.

Ludivine Abruzzo, de la société de lingerie bio Peau éthique, estime que les entreprises équitables ne peuvent pas proposer de soldes.

Faire des soldes ou ne pas faire… ? Bonne question, n’est-ce pas ? Pour une boutique en ligne de mode conventionnelle, la question ne se pose pas, on solde, un point c’est tout. Le cycle de la fast-fashion (vêtements bon marché et de faible qualité et ses nouveautés quotidiennes qui encouragent les achats compulsifs, ndlr) veut cela. Il faut écouler la collection hiver pour faire place à la collection été. Cette théorie fonctionne dans les boutiques lambdas qui n’ont que deux collections par an. Chez les rois de la fast-fashion, il y a beaucoup plus de deux collections par an, et donc forcément, là, aussi, on solde.

Avant (entendre quand j’étais étudiante donc consommatrice de fast-fashion), je ne me posais pas toutes ces questions, j’adorais consommer et je dois dire que j’attendais les soldes avec une certaine impatience, celle de faire des affaires. Ça, c’était avant. Je n’avais pas conscience du prix que coûtait réellement un vêtement. Les ateliers de la sueur étaient inconnus pour moi. Oui, c’était fabriqué au Bangladesh ou ailleurs … Mais c’était joli, à la mode, toutes les filles s’habillaient dans la même enseigne. Parler de commerce équitable dans la mode ? Il y avait alors un pas de géant à franchir.

Le consommateur serait-il pris pour un idiot ?

Maintenant, les choses changent, les mentalités évoluent, le coton biologique a fait son entrée dans les rayons. Mais une question me taraude ? Comment font les enseignes qui pratiquent des très grosses soldes (60%) ? Cela veut-il dire que le consommateur qui achète au prix normal est pris pour un idiot avant ?

Maintenant, je suis de l’autre côté de la machine, et il ne faut pas se mentir, ceux qui proposent des soldes monstres sont ceux qui se gavent le plus. Nous, on ne solde pas. Déjà parce que l’on est à part dans le rythme des collections, on n’a pas une collection printemps/été et automne/hiver. Par contre, on pratique des promotions sur des collections que l’on a depuis un bout de temps, où toutes les tailles ne sont plus disponibles.

D’autre part, on pratique des prix justes toute l’année, j’entends “justes” en comptant qui a fabriqué votre lingerie bio, pour nous qui la créons et la vendons, et pour vous, qui l’achetez.

C’est quoi, un prix juste ?

Mais alors, comment fixer un prix juste ? En voilà une question qu’elle est bonne ! On s’est souvent posé cette question en effet. Trop cher par rapport à la mode actuelle, pas assez par rapport au produit acheté qui, lui, a une valeur…

Depuis le drame du Rana Plaza, on se dit que oui, c’est mal d’acheter dans des pays du Sud… Mais bon, là, c’est les soldes, alors on oublie tout. Les consommateurs ont l’habitude de payer un T-shirt 10 euros. Donc forcément, l’acheter 30 euros, ça fait mal. Sauf que derrière ces 30 euros, il y a le coton bio qui coûte plus cher, les teintures qui ne sont pas toxiques (voir le reportage d’Envoyé Spécial sur le sujet), et ensuite les gens qui fabriquent les vêtements. Ces gens-là (comme pour les autres grosses boîtes, certes) ont une histoire, un projet et on essaie avec nos petits moyens de les accompagner… Pour certains, ça sera une école, pour d’autres une aide à la formation, pour d’autres encore, des soins dentaires… Ce n’est sûrement pas grand chose dans cette mondialisation, mais voilà c’est notre petite rivière.

Et surtout, on paie un prix juste. On ne dit pas à nos fournisseurs, nos ateliers que c’est trop cher mais on leur demande ce qu’ils vont pouvoir mettre en place grâce à ce prix payé, etc. Chaque commande est payée à l’avance, pour que personne ne s’endette. On se rencontre régulièrement, on est partenaire et non dominant/dominé… Mais on fait du commerce aussi, évidemment. Personne n’est assisté.

Pour toutes ces raisons le tee-shirt coûtera 30 euros et non 10 euros. Après, chacun est libre de faire des soldes ou non. Étonnamment, nos clients comprennent très bien notre choix. Bien sûr, les temps sont durs et moi aussi j’aime les petits prix, mais nous préférons laisser nos collections à un prix juste toute l’année afin de respecter nos partenaires et les consommateurs.

- Ce texte de Ludivine Abruzzo a initialement été publié sur le blog du site Peau éthique le 8 janvier 2013.