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Bretagne, écotaxe : l’année des mauvaises révoltes agricoles
jeudi, 28 novembre 2013 / Benoit Thévard /

Ingénieur conseil indépendant Conférencier sur le thème de l’énergie et de la transition Membre de l’Institut Momentum

Pour Benoit Thévard, spécialiste de l’après-pétrole, les agriculteurs en révolte se trompent de combat. Il le démontre, calculette à la main.

Le monde agricole va mal, ce n’est plus un secret. Les journaux énumèrent les actions très médiatiques et parfois violentes de certains agriculteurs sur tout le territoire français, mais ces actions et ces revendications sont-elles les bonnes ?

21 novembre, Paris (FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)) et Jeunes Agriculteurs) : contre un « cumul de taxes et de réglementations » et surtout contre la redistribution des aides européennes entre céréaliers et éleveurs (au profit de ces derniers) à la faveur de la nouvelle PAC.

15 novembre, Arles (FNSEA, Jeunes Agriculteurs) : pour demander « un véritable choc de compétitivité » pour l’agriculture.

19 octobre, Finistère (FNSEA, syndicats, pêcheurs, commerçants) : contre l’écotaxe

Visiblement, la contestation virulente vient souvent des mêmes organisations (FNSEA et Jeunes Agriculteurs). Si l’on comprend bien les revendications, il s’agit de tout faire pour amplifier le fonctionnement actuel : améliorer la compétitivité internationale, favoriser les grandes cultures chimiques plutôt que les petites exploitations diversifiées ou l’agriculture biologique, ne pas taxer l’utilisation du pétrole pour permettre une utilisation accrue de celui-ci.

Ce modèle va dans le mur

En seulement 20 ans, le nombre d’exploitations a été divisé par deux, passant de 1 million à 500 000. Leur nombre diminue, à la faveur des plus grosses qui s’agrandissent. En effet, la production brute des moyennes et grandes exploitations a presque doublé sur la même période. Aujourd’hui, plus de 60% de la surface agricole française est utilisée pour l’alimentation animale. Le cheptel se compose ainsi :

- 20 millions de bovins

- 15 millions de porcs

- 6,5 millions d’ovins

- 291 millions de petits animaux

- 1 million de chèvres et équidés

En 30 ans, la culture de légumineuses (haricot, luzerne, lentille...) a perdu 1,2 million d’hectares alors que la surface consacrée au maïs fourrager a été multipliée par quatre. La production de fruits, légumes, pommes de terre, vignes et cultures industrielles (betteraves à sucre, tabac …) ne représente que 5% de la surface agricole, quand les grandes cultures et cultures fourragères en représentent 91%.

Les régions de France sont devenues hyper-spécialisées et ont perdu ainsi leur souveraineté alimentaire (réponse locale aux besoins de la population). Par exemple, la région Ile-de-France produit 1,5 fois ce qu’elle consomme en blé, alors qu’elle ne produit que 15% de ses besoins en légumes frais. Cette spécialisation se traduit par un incontournable ballet de camions qui sillonnent les routes de France, chaque jour, pour expédier les productions et importer ce qui est consommé.

Indices de souveraineté alimentaire pour la région Ile-de-France. L’indice de souveraineté alimentaire est le rapport, pour chaque aliment, entre la quantité produite et la quantité consommée localement. Graphique Benoît Thévard, Données Emmanuel Bailly

Pour résumer l’évolution de notre modèle agricole : il s’agit de former des parcelles géantes de plusieurs centaines d’hectares en supprimant les haies, d’acheter d’énormes tracteurs et moissonneuses batteuses à crédit et d’épandre des engrais et biocides issus de la pétrochimie permettant de standardiser les cultures. Grâce à cela, la production agricole française est la première d’Europe avec 70 milliards d’euros, tout en étant le 22ème pays sur les 27 membres de l’Union européenne en termes d’emplois agricoles. Il n’y a pas de miracle : notre modèle agricole a remplacé les paysans par des esclaves énergétiques.

Pour donner des ordres de grandeur, voici le besoin actuel estimé en pétrole pour alimenter chaque Français avec l’agriculture, le système de distribution et le régime alimentaire actuels :

- Besoin de l’être humain : 2500 kcal alimentaires /jour

- Il faut apporter 10 calories en amont pour produire 1 calorie alimentaire

- 25 000 kcal/jour/personne sont donc nécessaires pour produire notre alimentation

Sachant que 80% de cette énergie nécessaire est issue du pétrole, chaque Français « mange » 2 litres de pétrole par jour, alors qu’il n’y a pas de pétrole en France ! D’ailleurs, pour ceux qui pensent qu’en France on peut se débrouiller sans pétrole, le graphique suivant montre que depuis les années 1970, le niveau de dépendance au pétrole du secteur agricole n’a presque pas évolué (zone orange).

Energie consommée par le secteur agricole. Bilan énergétique de la France, Ministère du Développement durable

Le phosphate : indispensable mais voué à s’épuiser

Le problème des besoins en fertilisants minéraux est beaucoup moins connu que le pic pétrolier et ses conséquences. L’azote et le phosphore sont les deux éléments limitant majeurs c’est à dire que sans eux l’agriculture n’est pas possible. Le premier provient essentiellement d’une utilisation importante du gaz naturel (ou du charbon pour la Chine). Il existe pourtant des solutions alternatives... comme l’azote symbiotique. En effet certaines plantes, notamment les légumineuses (les plantes que l’on produit de moins en moins en France comme nous l’avons vu plus haut), ont la capacité de fixer naturellement l’azote dans le sol par leurs racines. Celui-ci est directement utilisable par les cultures à venir. Le phosphore est quant à lui principalement issu de mines de dépôts sédimentaires fossiles, c’est pourquoi il subira, comme le pétrole, un pic de production.

Patrick Dérya été le premier à appliquer la linéarisation de Hubert (plus connue pour le pic pétrolier) et a déterminé qu’il existait également un pic de l’extraction du phosphate, ce qui implique un déclin inévitable de la production mondiale. Pourtant, cet élément est indispensable à la fertilisation des sols, y compris en agriculture biologique.

Les sols dégradés

En plus des émissions de gaz à effet de serre importantes, la fertilité naturelle des sols apparait dégradée, voire en état critique à cause de la sur-fertilisation chimique, de l’érosion, de la réduction du taux de matière organique et de l’utilisation intensive de biocides. La pollution des terres et de l’eau, notamment aux nitrates ne cesse d’augmenter, à l’image du graphique ci-dessous qui montre l’évolution du taux de nitrates dans la nappe de Beauce entre 1985 et 2007.

Source : eau-evolution.fr

 Je ne cherche pas à culpabiliser les agriculteurs qui font un travail difficile, qui sont le plus souvent noyés sous les dettes et qui sont certainement dans les champs pendant que j’écris cet article, assis devant mon ordinateur. Je comprends que nous devons composer avec l’héritage des Trente glorieuses, cette période très brève qui nous a donné l’illusion que l’homme pouvait faire sans la nature, qu’il pouvait la dominer sans jamais tenir compte de ses limites. Et je peux comprendre le défi que représente une reconversion professionnelle, la remise en cause des schémas forgés pendant des décennies.

Lutter, mais pour de bonnes raisons !

Malheureusement, et je m’adresse ici à ces organisations puissantes telles que la FNSEA et ceux qui les font vivre, en vous acharnant à soutenir ce modèle, vous ne faites qu’aggraver votre situation. Vous contractez toujours plus d’emprunts, vous devenez toujours plus dépendants des énergies fossiles, et vous serez toujours plus seuls, au milieu de centaines d’hectares de désert minéral et pollué lorsque les tracteurs resteront sous le hangar, faute de pétrole ou de subventions.

D’autres chemins existent, comme l’agro-écologie, la permaculture, ou l’agriculture bio-intensive. D’autres agriculteurs font preuve d’une grande ingéniosité et luttent chaque jour pour vivre d’une agriculture durable. Il appartient aux citoyens de soutenir ce changement. Nous en parlerons dans un prochain article.

- Cet article a initialement été publié sur Avenir sans pétrole, le blog animé par Benoit Thévard, le 25 novembre dernier.


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