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Comment Paris veut faire pousser une forêt sur une décharge
lundi, 25 novembre 2013 / Alexandra Bogaert

Après avoir pollué pendant un siècle une plaine du Val-d’Oise en y épandant ses eaux usées, la capitale envisage désormais d’y planter une forêt... sur une montagne de déchets.

Sur une carte, l’Ile-de-France apparaît piquetée de multiples taches vertes. Ce sont les forêts qui émaillent son territoire. Un autre petit point pourrait dans les années à venir compléter le kaléidoscope. Car la ville de Paris envisage de transformer les hectares agricoles qu’elle possède sur la plaine de Pierrelaye-Bessancourt en forêt. Et, ce faisant, de donner une nouvelle vie à un territoire souvent considéré comme « maudit ». Mais le projet suscite l’opposition farouche de la chambre d’agriculture francilienne.

De la gadoue nauséabonde pour enrichir les sols

La plaine de Pierrelaye-Bessancourt s’étend sur 2 000 hectares, dans le département du Val-d’Oise, à 25 km au nord-ouest de la capitale, entre la vallée de Montmorency et l’agglomération de Cergy-Pontoise. La ville de Paris a acquis dans le courant du XIXe siècle 385 hectares de cette vaste étendue, dont 200 hectares d’un seul tenant. Le but premier de cette acquisition était d’y enterrer les morts de la capitale, les cimetières parisiens étant saturés. Mais le projet tourne court et un autre usage s’impose : en raison de la piètre qualité des eaux de la Seine, une loi de 1894 oblige la ville de Paris à traiter ses eaux d’égouts, jusqu’ici écoulés dans le fleuve.

A défaut d’autres techniques, on pratique alors l’épandage des eaux usées (mais aussi des gadoues, feuilles et déchets alimentaires) de la capitale sur les terrains réputés infertiles de la plaine, car composés de sols sablonneux. Pendant un siècle, on répand donc cette mixture nauséabonde sur plus de 1 000 hectares – soit bien plus que les seuls terrains appartenant à la ville de Paris – qu’elle était censée enrichir. Et, de fait, on a réussi à y faire pousser des tonnes de légumes et de plantes aromatiques, qui ont inondé les marchés de la capitale.

Des sols bourrés de métaux lourds

Mais voilà, les mètres cubes d’eaux usées ont gorgé les sols de métaux lourds, à tel point que la préfecture du Val-d’Oise a été contrainte, en 1999, de prendre un arrêté pour interdire la commercialisation et la consommation de légumes crus en provenance de la plaine. De 2000 à 2005, la monoculture de maïs réservé à l’alimentation animale est privilégiée, jusqu’à ce qu’un parasite vienne décimer les récoltes. A partir de 2005, la quinzaine d’agriculteurs toujours en exercice sur la plaine reçoit des subventions pour continuer à travailler cette terre désormais insuffisamment irriguée afin d’y cultiver du blé – transformé en éthanol – et du tournesol – transformé en diester. Les subventions s’arrêteront en 2017. « Au delà, il n’y aura plus de possibilité de mener une activité agricole viable », explique Patrice Febvret, du service juridique et foncier de la chambre d’agriculture d’Ile-de-France. L’avenir de la plaine, et des travailleurs qui en vivent, se pose.

Dans son discours fondateur du Grand Paris, en 2009, Nicolas Sarkozy avait annoncé que cette plaine « maudite » laisserait la place, à partir de 2017, à une nouvelle forêt de 1 000 hectares. Le conseil des ministres avait validé, en avril 2011, ce projet historique, puisque la dernière forêt créée en France est celle du Tronçais (Allier), voulue par Colbert en 1670. Mais jusqu’à vendredi dernier, rien de concret ne se passait. Les sept communes limitrophes de la plaine de Pierrelaye-Bessancourt (Bessancourt, Frépillon, Herblay, Méry-sur-Oise, Pierrelaye, Saint-Ouen-l’Aumône et Taverny) sont regroupées depuis 1999 en syndicat puis Entente intercommunale, chargée de fixer les perspectives de remise en valeur de cette étendue agricole et naturelle. Sans grand effet.

Une initiative de Paris pour réparer les dommages causés

A quatre ans de l’échéance, la ville de Paris a finalement pris les devants. Pierre Mansat, adjoint à la mairie de Paris chargé de Paris Métropole, a présenté en préfecture, aux collectivités territoriales concernées, un projet le 15 novembre dernier. La mairie envisage, sur les 200 hectares qu’elle possède d’un seul tenant sur la plaine – et sur lesquels se trouve l’ex-ferme modèle de la Haute Borne – « de décaper le sol sur 40 cm de profondeur, de remettre en place la terre dépolluée puis de recouvrir le tout des déchets inertes issus des travaux du métro automatique du Grand Paris, qui ceinturera la capitale. Ensuite, on plantera des arbres pour réaliser une forêt, et le terrain sera restitué gratuitement aux collectivités territoriales, en guise de dédommagement symbolique et de réparation » pour la pollution cumulée pendant tant d’années, explique l’élu communiste.

D’après lui, cette proposition a été bien accueillie par l’intercommunalité, dont l’accord est nécessaire pour « enclencher la dynamique et enfin entrer dans le vif du sujet sur l’avenir agricole de la plaine ».

Une forêt pour de vrai, ou un prétexte pour une décharge ?

C’est faire fi de la réaction du président du conseil général du Val-d’Oise, Arnaud Bazin qui, dans une interview ce vendredi à la chaîne de télévision locale VOnews, indique craindre un « retour aux mauvaises habitudes antérieures » d’une capitale qui « exporte ses déchets sans se poser de question ». Il estime que le projet de Paris est « hors de proportion » en l’état, mais qu’il peut être intéressant dans une forme « plus modeste ».

Plus virulente, la chambre d’agriculture d’Ile-de-France a publié un communiqué la veille de la réunion en préfecture, dans lequel elle accuse la capitale de « sacrifier le projet de forêt pour une décharge ». « On apprend en effet qu’alors que le premier arbre n’est toujours pas planté, la ville de Paris s’apprêterait à créer une décharge de déchets inertes sur les 200 hectares de sa propriété de la ferme de la Haute Borne : 12 millions de tonnes de matériaux y seraient stockées pendant au moins les dix années à venir ! Autant dire que la forêt n’est pas pour demain… », note le communiqué.

Toujours d’après la chambre d’agriculture, l’entreprise ECT, premier groupe français de gestion et de stockage des matériaux inertes, aurait même déjà été approchée. Pierre Mansat l’admet : « Il est possible que les services de la mairie aient discuté avec l’ensemble des acteurs mais il n’y a certainement pas eu de négociation, puisqu’il y aura de toute façon un appel d’offres. »

La délicate question du reclassement des agriculteurs

« Ulcérée » par le manque de concertation, la Chambre « ne peut pas admettre qu’une solution partielle soit prise pour une partie de la plaine en occultant tout le reste ». Le problème, au final, n’est pas tant la création d’une décharge de déchets inertes (« Peut-être est-ce pertinent ? », admet Patrice Febvret) que la différence de traitement qui risque de découler de ce projet entre les agriculteurs qui seraient indemnisés par la ville de Paris et les autres. Pour Patrice Febvret, « Paris veut se débarrasser de son fardeau et, pour le reste, elle s’en lave les mains. Le problème du devenir de la plaine doit être traité de manière globale, les solutions de départ des agriculteurs (indemnisations, relogements) doivent être communes. »

La proposition de la mairie de Paris doit désormais être chiffrée, étoffée (quelles modalités de dépollution) avant d’être tranchée. Un syndicat mixte regroupant les différents acteurs de la plaine devrait être créé en décembre pour définir un horizon pour la plaine maudite.