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Que va changer la nouvelle loi sur l’agriculture ?
jeudi, 14 novembre 2013 / Alexandra Bogaert

Le ministre de l’Agriculture a présenté mercredi son projet de loi d’avenir, mettant l’agroécologie au cœur du système. « Terra eco » a demandé à l’auteur d’un scénario prospectiviste sur l’agriculture en 2050 de l’évaluer.

Stéphane Le Foll, le ministre de l’Agriculture, a présenté mercredi en conseil des ministres les grandes lignes de sa loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui sera étudiée par l’Assemblée nationale en début d’année prochaine. Terra eco a demandé à Christian Couturier de passer au crible ce projet de loi promouvant l’agroécologie. Ce membre de l’association Solagro, spécialisée dans la réalisation d’éco-bilans et d’études sur les énergies renouvelables, est co-auteur du scénario Afterres2050 montrant quelle voie suivre pour nourrir plus de bouches tout en diminuant l’impact sur l’environnement.

C’est la mesure phare du projet de loi : les groupements d’intérêts économique et écologique (GIEE), qui réuniront des agriculteurs, des collectivités et des associations désirant s’engager dans l’agroécologie, qui « implique de revenir à l’agronomie et à une maîtrise pointue des mécanismes naturels, en faisant jouer la concurrence entre espèces plutôt qu’en recourant aux insecticides », nous expliquait Stéphane Le Foll en février dernier. Ces collectifs qui viseront à changer les pratiques agricoles ainsi qu’à diffuser le savoir seront aidés financièrement par les pouvoirs publics, et bénéficieront des aides du second pilier de la PAC visant à améliorer la compétitivité des zones rurales et à préserver l’environnement.

Pour Christian Couturier, « cette initiative va reconstruire de la coopération locale par le bas. Jusqu’ici on a privilégié les politiques de filière. Désormais, on va aussi réfléchir en logique de territoire, c’est une bonne chose. Et puis l’agroécologie induit une agriculture plus complexe que la conventionnelle. Il est donc important d’associer des savoir-faire, car tout ne peut pas tenir dans un seul cerveau. D’où l’importance, d’ailleurs, d’amplifier les efforts de formation. » « Ce ne sera plus aussi simple que : "Je laboure, je herse, je sème, je passe un herbicide, un fongicide, un insecticide" », confirmait Stéphane Le Foll, dont la loi d’avenir réforme l’enseignement agricole secondaire et supérieur et renforce la formation des professionnels comme des enseignants.

La France perd, en terres agricoles, l’équivalent d’un département tous les sept ans. En même temps, la taille des exploitations agricoles ne cesse d’augmenter, rendant difficile l’installation de jeunes agriculteurs sans grands moyens. En tout, ce sont 200 exploitations qui disparaissent chaque semaine en France, parce qu’elles partent à l’agrandissement ou sont vouées à devenir des lotissements ou des friches.

Pour lutter contre ce double défi de l’artificialisation des terres et de l’agrandissement des fermes, la loi d’avenir prévoit de réformer les sociétés spécialisées dans la vente de biens fonciers ruraux (les Safer, Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) et de renforcer les commissions départementales de la préservation des espaces naturels agricoles et forestiers, dont les avis sur les documents d’urbanisme pourront être contraignants. Par ailleurs, les schémas de cohérence territoriale (Scot) intègreront des objectifs chiffrés de lutte contre l’étalement urbain. « Cela va-t-il suffire ?, s’interroge Christian Couturier. La vente des terres agricoles pour l’urbanisation est une manne financière conséquente. Il faudrait doter les décideurs locaux de vrais pouvoirs de contrainte, pour éviter qu’ils ne cèdent aux pressions. »

Le projet de loi prévoit que l’impact des produits phytosanitaires soit évalué durant toute leur durée d’utilisation (donc jusqu’à la bouche du consommateur) et non simplement, comme actuellement, avant la demande d’autorisation de mise sur le marché. De même, la lutte contre l’antibiorésistance sera renforcée. Et parce que le grand public est en quête de transparence, les résultats des contrôles sanitaires et vétérinaires effectués dans les cantines, restaurants et ateliers de transformation lui seront accessibles (les modalités d’accès restent à définir).

« On pointe la question de la santé publique à travers les produits phytosanitaires, les antibiotiques, et c’est une bonne chose. Mais rien n’est dit sur les régimes alimentaires et sur la nécessité d’augmenter, dans notre alimentation, les protéines végétales au détriment des animales. » Le scénario Afterres2050 prévoit en effet une nette diminution des effectifs des troupeaux et une ration alimentaire contenant plus de céréales, de fruits et légumes, et beaucoup moins de viande, de sucre et de lait, pour une meilleure santé des humains mais aussi de l’environnement.

Plus globalement, si ce projet de loi n’entre pas en contradiction avec le scénario Afterres2050, et s’il constitue même une « première marche vers un changement de cap », reste que cette loi d’avenir se concentre sur les agriculteurs. Pourtant, « il faut travailler sur le système alimentaire de la fourche à la fourchette, sans oublier les intermédiaires, les agroindustriels. Or, dans ce texte, rien n’est dit sur le fait qu’ils doivent adapter leurs outils à l’agroécologie et non l’inverse », regrette Christian Couturier. Un exemple : les fabricants de pain industriel réclament un blé contenant 13% de protéines, car cela facilite le process de fabrication. Mais il faut une forte dose d’azote pour faire monter le taux de protéines du blé, ce qui est pénalisant en terme environnemental.

De même, concernant les consommateurs, il manque aussi selon l’auteur du scénario « des mesures concernant le gaspillage alimentaire [qui fait par ailleurs l’objet d’un Pacte national]. Bref, c’est un bon début, mais on ne fait pas encore le tour de la question ».


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