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En 2015, l’huile de palme ne sera toujours pas durable
mercredi, 4 septembre 2013 / Amélie Mougey

La rédemption de l’huile de palme commence mal. Ce lundi, des industriels ont annoncé la création d’une alliance française pour une huile de palme durable. Premier objectif ? Faire appliquer une norme bancale.

L’huile de palme, vous connaissez. Culture intensive, dommages sociaux et déforestation... désormais chaque fringale fait surgir l’image d’une forêt indonésienne dévastée. Rassurez-vous, ça ne devrait pas durer. Nestlé, Ferrero et consorts vous concoctent des barres chocolatées garanties sans culpabilité. Ce lundi, six entreprises et trois associations de professionnels, tous consommateurs de l’ingrédient honni, ont annoncé la création d’une Alliance française pour l’huile de palme durable. Leur ambition ? Favoriser une production « plus respectueuse de l’environnement et des populations locales ». Ainsi, en 2015, la totalité de l’huile de palme consommée en France devra être certifiée RSPO (Roundtable on sustainable palm oil). Considérée comme un outil de greenwashing par la plupart des ONG, cette norme est au mieux insuffisante, au pire trompeuse.

Un label « imbattable pour créer la confusion »

Dans l’idée, la certification RSPO d’une plantation repose sur huit principes (en pdf). Parmi eux, « le respect des lois, la viabilité économique à long terme, la transparence, la responsabilité environnementale, le prise en compte des communautés… ». Dans les faits, c’est un peu plus compliqué. « Normalement, la vocation d’un label c’est d’améliorer la lisibilité » rappelle Frédéric Amiel, chargé de la campagne forêt à Greenpeace France « or celui-ci est imbattable pour créer la confusion ». En gros, si vous croisez un produit RSPO ne l’achetez surtout pas les yeux fermés.

Premier piège, la certification RSPO comporte plusieurs niveaux d’exigence. Le plus contraignant impose de pouvoir retracer toutes les étapes de production en garantissant, d’un bout à l’autre de la chaîne, le respect des huit principes sacrés. Si c’est le cas, on parle alors d’« huile ségréguée et identifiée », c’est-à-dire intégralement traçable et irréprochable. Mais ce degré d’exigence reste marginal. La France a beau être une bonne cliente RSPO, avec 40 % d’huile de palme certifiée (contre 15% au niveau mondial), seul un quart de cette huile est « ségréguée ». Chez Nestlé, entreprise 100 % RSPO depuis 2011, 13 % de l’approvisionnement respecte le niveau le plus contraignant. Pour le consommateur, la subtilité est difficile à déceler. Pourtant la différence est de taille.

Les autres huiles RSPO sont composées soit de mélanges d’huiles plus ou moins irréprochables, soit d’une huile classique pour laquelle les industriels ont acquis des « certificats verts ». Ce système, leur permet d’obtenir leur tampon RSPO, contre le simple paiement d’une redevance dont le montant équivaut à environ 2% du coût de production. Rien ne garantit alors que l’huile vendue, pourtant labellisée, ait été fabriquée de manière « durable ». Or c’est ce niveau de base qu’exige l’alliance française, pour 2015. Un objectif par ailleurs déjà été atteint par Ferrero et Nestlé.

Siéger à la RSPO n’est pas un gage de vertu

Deuxième piège : identifier ce qui est labellisé. S’il s’agit de l’entreprise et non du produit, la certification perd son sens. De fait, à partir du moment ou une entreprise siège à la table ronde et paie sa cotisation, elle devient membre RSPO. Ce système pose des problème de représentativité.  « On a vite constaté un déséquilibre total des forces, et on a choisi de s’en aller », explique Sylvain Angerand, chargé des campagnes de l’ONG Les Amis de la Terre qui a quitté la RSPO moins de deux ans après sa création. Aujourd’hui, sur le millier de membres que compte l’organisation seules quelques grandes ONG, telles WWF ou Oxfam sont présentes. Conséquence de ce déséquilibre : la méfiance règne quant à la valeur du label. « Les auditeurs qui vérifient le respect des critères sont payés par les entreprises elles-mêmes », souligne Sylvain Angerand. Or siéger à la table ronde est loin de constituer un gage de vertu. Ainsi la société Cargill, pourtant membre de l’organisation, a été épinglée par l’ONG allemande « Sauvons la Forêt » pour avoir eu recours au travail forcé. En 2012, la même ONG accuse le groupe IOI, lui aussi membre RSPO, d’avoir rasé 7000 hectares de forêt vierge dense en Malaisie.

En Indonésie, les membres RSPO responsables de 21 % de la déforestation

« On ne compte plus les lignes rouges franchies », poursuit Sylvain Angerand en brandissant l’exemple du paraquat. « Ce pesticide neurotoxique, interdit par la France et les Etats-Unis, est toujours toléré par la RSPO ». Mais la lutte contre la déforestation reste la principale lacune de cette certification. En Indonésie les membres de la RSPO détiennent, sur leurs surfaces de production, 14 % des forêts naturelles et sont responsables de 21 % de la déforestation, note Greenpeace dans un rapport intitulé « Certifié la destruction » et publié ce mardi. Car les critères de la RSPO n’imposent que la sauvegarde des « forêts à haute valeur de conservation ». « Le résultat c’est qu’on a quelques îlots de forêts aux milieux de grosses plantations », constate Frédéric Amiel « ce qu’on voudrait c’est inverser cette approche, cibler les espaces peu boisés pour cultiver ».
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Patience, répond l’Alliance française. « La RSPO a ses limites, on veut la faire évoluer », assure Marc Toussaint, porte-parole de l’organisation. « 2015 c’est une première étape, notre cap c’est la traçabilité totale », souligne-t-il. Dans ce cas pourquoi afficher un premier objectif timoré reposant sur un label contesté ? « Parce qu’il a le mérite d’exister et sa souplesse nous permet de toucher beaucoup de professionnels », répond Marc Toussaint. Pour Nestlé, déjà converti RSPO, adhérer à l’Alliance française ne coûte rien. Qu’importe ! « L’idée c’est de créer une dynamique », précise Jean-Manuel Bluet, directeur développement durable du groupe pour la France : « Plus on est nombreux à prendre en compte les conditions de production, plus les fournisseurs seront contraints d’accepter le coût des changements de pratiques », développe-t-il. Concrètement, la stratégie est floue. Après 2015, l’Alliance française reste muette sur les étapes à venir.

« Cette alliance c’est surtout une manœuvre habile », corrige Sergio Coronado, député Vert de la deuxième circonscription des Français de l’étranger. « A la veille de la reprise des débats parlementaires, les industriels prennent les devants pour éviter qu’on ressorte la taxe Nutella », commente cet ardent opposant aux palmeraies industrielles. Une analyse que Marc Toussaint conteste. Avant de reconnaître que la fronde de l’an passé a renforcé les motivations des industriels. « Dans un contexte d’opposition frontale à l’huile de palme, une des ambitions de l’Alliance c’est de donner des informations plus justes et plus lisibles ». Une maxime que l’organisation pourrait encore appliquer à ses propres objectifs et labels.


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