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Avec « l’empowerment », les Français pourront-ils sauver eux-mêmes leurs quartiers ?
mercredi, 24 juillet 2013 / Audrey Chabal

Un rapport, remis au gouvernement, préconise d’associer les habitants à l’amélioration de leur ville. « Terra eco » est allé à La Coudraie, une cité de Poissy, pionnière en matière d’implication des citoyens dans un projet urbain.

Associer les habitants à l’amélioration de leurs quartiers grâce à l’ « empowerment ». Remis il y a tout juste deux semaines au ministre de la Ville, un rapport préconise le recours à ce concept américain, qui a séduit notamment Barack Obama. Son but ? La reprise du pouvoir par les citoyens, sans pour autant écarter l’Etat. En somme, la construction main dans la main. L’idée a déjà été appliquée en France. La Coudraie, quartier enclavé de Poissy (Yvelines), est pionnier en la matière : en 2004, les habitants ont sauvé leur quartier. Depuis, ils travaillent à sa rénovation. Terra eco s’y est rendu pour comprendre cette expérience.

Village gaulois

Cette excroissance de Poissy (Yvelines) est juchée à la remontée d’un vallon, à la sortie de l’A14, qui a mis la Défense à 15 minutes. A l’entrée de ce quartier, à l’ombre de quelques arbres, des jeunes de 25-30 ans se retrouvent après leur journée de boulot. Point de rendez-vous : une table en bois et ses bancs collés, comme sur les aires de repos.

Ici, il n’y a rien à faire. En fait, il n’y a rien du tout à la Coudraie. Pourtant, les quelque 120 familles qui habitent là n’envisagent pas de partir. Même si, en 2004, elles ont cru qu’elles y seraient contraintes.

Le quartier de la Coudraie est aujourd’hui en pleine rénovation.

« On est un peu un village gaulois », explique Mohamed Ragoubi, porte-parole du collectif des habitants. Un collectif citoyen monté un soir de mars 2004 alors que Jacques Masdeu-Arus, l’ancien maire (UMP), venait de leur suggérer de « ramener un traducteur ». Car les habitants de La Coudraie ne comprenaient pas : l’édile leur annonçait la suppression de leur quartier pour y installer un hôpital.

« On ne bougera pas »

Depuis, le mot d’ordre n’a pas changé : « On ne bougera pas. » En 2004, il s’agissait de sauver le quartier. En cet été caniculaire, il s’agit d’être vigilant. Frédérik Bernard, dont la coalition Parti socialiste-Modem a remporté la mairie en 2008, a repris le dossier. De réunions en débats – aidés par des architectes-conseils –, « les locataires ont été partie prenante du projet, ils ont beaucoup travaillé, même si parfois il y a des conflits ». « Nous avons été une force de proposition, c’est du jamais vu », insiste Mohamed Ragoubi. C’est la « co-élaboration » que suggère le rapport.

Pour l’écrire, la sociologue Marie-Hélène Bacqué et son comparse Mohamed Mechmache, fondateur de AC le Feu, collectif citoyen créé après la révolte des banlieues en 2005, ont réalisé un tour de France des quartiers et des associations. Qu’ont-ils vu ? « Un affaiblissement des solidarités locales, des associations à bout de souffle qui tombent parfois dans le clientélisme », précise le militant. Alors ils défendent « l’empowerment » « pour lutter contre l’abstention, pour que l’Etat ne fasse plus jamais sans nous ».

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Rapport Bacqué / mechmache

Ci-dessus le rapport remis au début du mois de juillet au ministre délégué à la ville, François Lamy

Un constat partagé par Frédérik Bernard, le maire de Poissy, même si son expérience de la participation citoyenne ne semble pas avoir été de tout repos : « La négociation n’est pas dans les habitudes. Là-haut (La Coudraie, ndlr), on a pourtant mis les habitants autour de la table malgré leur défiance envers le politique. » Et aujourd’hui encore, les citoyens font partie du projet avec une permanence assurée deux fois par semaine dans le quartier par le service de rénovation urbaine, mais aussi avec des réunions entre habitants.

Ainsi, tous les mardis, c’est petits tracas et grands débats : les résidents se regroupent. Ainsi, ils ont demandé à ce que les rez-de-chaussée soient condamnés. Pour éviter les squats. Accordé. Ils dénoncent aussi régulièrement les effritements dangereux des bâtiments inoccupés aux façades lépreuses.

« Les jeunes d’ici n’y croient plus »

Mais la participation, même auprès des citoyens directement concernés, n’est pas toujours au rendez-vous : « Les jeunes ici n’y croient plus », souffle un tout juste diplômé contraint de faire des ménages. Alors ils se désintéressent. « Même les réunions du collectif, ça ne sert à rien. Les vieux se retrouvent là bas pour boire le thé, rien ne bouge. » Pas simple, la participation citoyenne.

Immeubles habités et inhabités.

Il faut dire qu’à La Coudraie, entre le début de la mobilisation citoyenne et aujourd’hui, presque dix ans sont passés. La cité est toujours en chantier : des bâtiments détruits et deux autres en cours de réhabilitation et qui devraient être livrés en septembre. Les locataires sont désormais regroupés dans les deux barres centrales de neuf étages, elles aussi promises à la démolition.

« Les habitants de là-haut nous obligent à penser le quotidien »

« Certaines logiques ne s’accordent pas, il faut se la coltiner la concertation ! », témoigne Maïa Brugère, chef de projet rénovation urbaine pour la ville de Poissy. Arrivée en 2009, elle a dû faire face à l’opposition des habitants de La Coudraie « très attachés aux deux barres ». Faux, rétorque Mohamed Ragoubi.« Nous nous sommes opposés par principe, pour dire stop aux démolitions. »

Le rapport Bacqué / Mechmache parle de fait « d’empowerment à la française » : transformer les instances de la ville en structures de co-élaboration et de co-décision. Mais comment penser global quand au quotidien il n’y a pas d’ascenseur ? Frédérik Bernard l’admet, « les habitants de là-haut nous y obligent. » Désormais, dans les cages d’escaliers, les boîtes aux lettres sont neuves, les ascenseurs fonctionnent et la peinture est presque fraîche.

« Mais 800 logements sont prévus, c’est une autre population qui va s’y installer et on ne peut pas l’ignorer », conclut le maire qui ne perd pas de vue le projet dans sa globalité. Débats et sondage faisant, les deux immeubles, trop chers car trop hauts, tomberont une fois le relogement effectué.

A la demande des habitants, les rez-de-chaussée sont inoccupés.

« La commission relogement : le sujet du moment »

Mais là encore, les dissensions sont multiples. « Chez les jeunes, beaucoup ne quitteront pas leur appart », explique Rachid, un jeune en jogging clair. Un autre, 25 ans, partage un T4 avec sa mère et sa sœur. Il souhaite intégrer un T3 avec sa compagne, à La Coudraie. Impossible. Un couple = T2. « La commission relogement, c’est le sujet du moment, explique Maïa Brugère, ils sont focalisés là-dessus. » Rédigée avec le concours des citoyens, elle a été approuvée à 51%.

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Charte relogement

A lire ici, la charte de relogement co-écrite entre le bailleur, la ville et les habitants de La Coudraie.

Alors pourquoi des désaccords à présent ? Selon Maïa Brugère, « la charte précise bien : à composition familiale constante entre 2009 et 2012, la taille du logement est maintenue ». Incompréhension ? « Lors de la signature de la charte, ils n’avaient pas pensé à tous les cas de figures, et demandent à présent des dérogations. »

Pourtant, les conditions de relogement sont très favorables. « Deux personnes dans un F4 vont être relogées dans un F4 neuf ou réhabilité sans augmentation de loyer. L’injustice c’est que l’on maintient la surface même s’il y a sous-occupation », poursuit la chargée de projet.

« Ici ça pue la défaite »

La lenteur du processus commence à faire son effet. « Ça pue la défaite ici, déplore un jeune diplômé. Mais je fais partie de la génération qui a grandi sans rien à La Coudraie, alors on peut continuer longtemps comme ça. »

Devant une barre, quelques gamins viennent taper le ballon dans la nouvelle aire de jeux. Une bise à Mohamed Ragoubi au passage. Cette aire, ce sont les habitants qui l’ont demandé et voulu à cet endroit.

Chez les plus grands, la rigolade sur le banc en bois a laissé place à un silence. Petits sourires, les jeunes regardent, en contre-bas, une voiture de police garée sur le trottoir. Le rapport Bacqué / Mechmache souhaite la création d’espaces de dialogue entre forces de l’ordre et citoyens. Une mesure que soutient Mohamed Ragoubi : « Pour que jeunes et police ne se regardent plus des deux côtés d’un fossé. »

Des coins délaissés mais bientôt transformés.


Les étapes de la rénovation urbaine à La Coudraie, Poissy :

La Coudraie est une cité des années 1960 composée de 608 logements. Chômage et mauvaise image ont poussé les habitants à voir si l’herbe était plus verte ailleurs. D’autres ont déserté en 2004 avec l’annonce de la démolition du quartier. 300 familles étaient alors sur le site. En 2008, elles n’étaient plus que 120. Le projet de rénovation est réalisé en concertation entre la ville et les locataires du quartier, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, Anru, et France Habitation. 800 logements, neufs ou réhabilités, dont 37% de logements sociaux, sont prévus.

Les principaux points du rapport Bacqué / Mechmache :

-* Créer une autorité indépendante chargée de gérer un fonds de dotation destiné à la démocratie participative. Il serait financé sur prélèvement de 1% du financement public des partis politiques et 10% des réserves parlementaires.

(1) Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartier populaires, de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache


AUTRES IMAGES

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• Charte relogement , (PDF - 691.3 ko)