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Les futurs villages Disney, un projet « nature » ?
jeudi, 18 juillet 2013 / Amélie Mougey

Le plus grand complexe de tourisme écologique européen verra le jour en 2016 près de Marne-la-Vallée. Mais le « respect de l’environnement », pourtant maître-mot, résiste mal à l’ampleur du projet.

Un millier de cottages et un « Aqualagon ». Non, nous ne sommes pas à Roybon, sur le site du projet contesté d’un Center Parcs isérois, mais à Villeneuve-Le-Comte, en Seine-et-Marne. C’est ici, au milieu des terres agricoles, que le Premier ministre, Manuel Valls, posera, ce jeudi 11 décembre, la première pierre des futurs Villages Nature Disney. Ce complexe touristique, qui doit ouvrir ses portes à la fin de l’année 2016, est lui aussi porté par le groupe Pierre et Vacances - Center Parcs. Dans un premier temps, le site occupera 180 hectares, le projet initial de 500 hectares ayant été saucissonné. Pour les élus Europe Ecologie - Les Verts, l’infrastructure se range, au même titre que le Center Parcs de Roybon, parmi les « grands projets inutiles » qui, à travers la France, suscitent une virulente contestation. Malgré son adoubement cet après-midi par le chef du gouvernement, la future « première destination d’écotourisme européenne » interroge.

Pour l’instant, l’endroit ressemble à n’importe quel coin de nature en Seine-et-Marne : des champs de céréales entourés d’herbes folles et de coquelicots. De l’autre côté d’un chemin de terre, une forêt et son lot de moustiques avec en fond sonore le ronron d’une départementale. Dans trois ans, le lieu, situé à une trentaine de kilomètres de Paris, ne pourra plus passer inaperçu. Les parcelles agricoles et les bois en friche, à cheval sur les communes de Villeneuve-le-Comte, Bailly-Romainvilliers et Serris, auront laissé la place aux Villages Nature, le plus grand centre de « tourisme écologique » européen, le premier sur le sol français.

Le débat public de la première phase du projet a eu lieu en 2011, sa réalisation nécessite un investissement de 750 millions d’euros.

Dans ce temple du loisir de plein air, mêlant accrobranche et parc aquatique, Disney et Pierre et Vacances, les deux actionnaires du projet, s’attendent à accueillir 900 000 visiteurs par an. La formule repose sur la quête « d’harmonie entre l’homme et la nature ». Sauf qu’entre slogans et impact sur l’environnement, le projet souffre quelques contradictions.

Une ferme pédagogique chasse des exploitations agricoles

Après avoir flâné dans « les jardins extraordinaires », le futur éco-vacancier et ses enfants feront sans doute halte à la ferme interactive, pour « un éveil des cinq sens autour des produits du terroir et des animaux d’élevage » promet déjà le site Internet. Grâce à ce « lieu authentique », les promoteurs des Villages nature pourront se targuer de promouvoir « un tourisme culturel et patrimonial ». Ironie de l’histoire, la construction de cette ferme interactive se fera au détriment d’agriculteurs franciliens. Sur les 259 hectares du futur complexe, 80 couvrent aujourd’hui des terres cultivées.

Le projet étant déclaré d’utilité publique, les agriculteurs sont expropriés.

A partir du 1er août, quatre céréaliers devront donc quitter progressivement leurs terres pour laisser place aux bulldozers. Le projet ayant été déclaré d’utilité publique par l’Etat, ils n’ont pas le choix. Face au gisement de 4 800 emplois promis par Disney et Pierre et Vacances et devant l’unanime approbation des élus, leurs exploitations ne font pas le poids. Pourtant dans leurs champs, blé et maïs ne seront pas mûrs à temps. « Les premiers travaux étant de type archéologiques, on va s’arranger pour que les récoltes ne soient pas perdues, rassure Vincent Pourquery de Boisserin, directeur d’EPA France, l’établissement public chargé de l’aménagement du secteur.

Les agriculteurs eux ne s’expriment pas. En négociation avec EPA France pour fixer le prix du mètre carré perdu, ils craignent le faux pas. Car l’enjeu est de taille, certains risquant de perdre près de la moitié de leur terrain. Par chance, à quelques kilomètres de là, au pied du château de Jossigny, un agriculteur est proche de la retraite. Les céréaliers expropriés pourront donc potentiellement se réfugier sur ses terres. Mais à quelle échéance ? « Peut-être en 2015 », avance le directeur d’EPA France. « Pour l’instant on ne sait pas exactement », confesse Nadim Tawil, chargé de la communication des Villages Nature.

« Auprès des associations, le projet fait l’unanimité contre lui »

Un agriculteur qui prend sa retraite d’un côté, des parcelles artificialisées de l’autre. En Ile-de-France, où 1 900 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année, le phénomène est presque routinier. Ce printemps, lorsque les surfaces cultivées de la région sont passées sous la barre des 50%, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et Ile-de-France Environnement (IDFE), union régionale regroupant 300 associations locales, ont crié à la « gabegie territoriale ». Parmi les grands projets épinglés : une zone économique à Bretigny-sur-Orge (Essonne), le pôle urbain Europa City dans le Val-d’Oise et les Villages Nature Disney. « Auprès de nos membres, le projet fait l’unanimité contre lui » indique Michel Riottot, président d’Ile-de-France Environnement. L’accent mis sur le développement durable n’y change rien. « Qu’il s’agisse d’un centre commercial, d’une autoroute ou d’un complexe touristique, il est toujours question de terres artificialisées », poursuit Jane Buisson, qui dirige l’association Environnement 77.

La première phase du projet est prévue à l’horizon 2016.

Au contraire pour Dominique Cocquet, ex-vice-président d’Euro Disney à la tête du projet Villages Nature, le changement a du bon. « On est en train de transformer des champs de maïs en un espace de biodiversité », se réjouissait-il dès 2010. Sauf que derrière les 80 hectares de champs se cachent 150 hectares de forêt. En 2016, la première phase de la construction des Villages Nature s’étendra sur près de quatre fois la superficie de l’actuel parc Disney, situé à quelques kilomètres de là.

Disney n’a pas puisé dans sa réserve de terres

Et ce n’est qu’un début. Par prudence économique ou souci d’acceptabilité, le projet, qui dans ses premiers plans s’étendait sur 500 hectares, a été saucissonné sur les vingt prochaines années. « 500 hectares, c’est considérable », s’exclame Michel Riottot, « si les phases suivantes aboutissaient ce serait l’un des plus gros projets de la région. » Nadim Tawil dédramatise « si jamais cela arrive, nous ne serons plus en poste pour le voir », élude le chargé de communication avant d’ajouter « et puis quand on accuse Disney d’artificialiser des terres, on oublie de dire que le groupe détient aussi près de 2 000 hectares non construits. » Cette réserve, qui accueille depuis plus de vingt ans des agriculteurs en baux précaires, est destinée à d’éventuels nouveaux projets. Pourtant les Villages Nature n’y ont pas élu domicile. « A proximité d’une gare TGV et d’un échangeur autoroutier, la zone choisie était plus propice », explique Vincent Pourquery de Boisserin. Lors du choix du site, l’environnement serait donc passé au second plan ?

Le projet tel que présenté en 2003 et qui pourrait voir le jour dans vingt ans.

Au contraire « grâce au potentiel géothermique du site, le choix s’est imposé de lui-même », réplique Nadim Tawil. Sauf que cette richesse énergétique est présente presque partout en Ile-de-France. Mais pour Alexandre Borsari, responsable des infrastructures des Villages Nature, la question n’est pas là, « avant de nous accuser d’artificialiser des terres, il faudrait d’abord regarder le coefficient d’occupation des sols qui n’est que de 0,1 ». Cela signifie que les 1 730 unités d’hébergement, de type « cottages ou petits collectifs », et autres aménagements n’occuperont que 10% de la surface totale du parc, soit quelque 259 000 mètres carrés.

Un aménagement irréversible

Les associations locales voient dans cet argument une astuce pour noyer le poisson. « C’est facile de vanter la faible occupation des sols quand le total est aussi vaste », soupire Phillipe Roy, président de l’association Le Renard basée à Roissy-en-Brie. « Admettons qu’on ne parle que de 25,9 hectares, cela représente tout de même la taille d’une ZAC » souligne-t-il. A titre de comparaison, le centre d’entraînement du PSG, dont l’implantation sur les terres agricoles de Poissy est également contestée, doit occuper 70 hectares. Et ce ne sont pas 25,9 hectares mais bien l’ensemble du projet que l’autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable a jugé irréversible en 2012. En clair, si l’activité de Villages Vacances cessait, il est admis que l’environnement ne reviendra jamais à son état originel.

Ainsi, sur le site officiel du projet, c’est une « nature apprivoisée et réenchantée » que les Villages Nature promettent aux futurs visiteurs. Dans le bois de Jariel, certains troncs sont affublés d’une plaque numérotée. « Ce sont les arbres remarquables, ils seront préservés », se félicite Marie Balmain, responsable développement durable du groupe Pierre et Vacances. Le reste, orchidées non protégées et zones humides comprises, sera en partie défriché puis aménagé.

Derrière l’arbre marqué, une barrière en bois empêche les déplacements de batraciens.

Auprès des associations, le concept de « nature réenchantée » et tarifée passe mal. « Si l’on a besoin de nature, il suffit de prendre son sac à dos et de partir en randonnée », lâche Michel Riottot. Pourtant dans les Villages Nature on mangera local, on vivra dans des matériaux de construction « à moindre impact environnemental » et, si l’on n’est pas venu en bus, on laissera sa voiture à l’entrée. Mais le chauffage géothermique, les façades végétalisées et les lagons remplis à l’eau de pluie ne séduisent pas Michel Riottot. « Tout ça c’est de la poudre aux yeux, du greenwashing  », rétorque-t-il « toute construction de cette ampleur implique des destructions. »

Autorisation de destruction pour 70 espèces protégées

Pour voir le jour, Villages Nature a en effet nécessité quelques dérogations. La construction de ce lieu « dédié à la célébration du vivant  » n’aurait pas été possible si la préfecture n’avait délivré une autorisation de détruire 70 espèces protégées. Mais sur le sort des tritons et crapauds, Marie Balmain se veut rassurante : « Cette dérogation, c’est surtout une question de procédure. » Les maîtres d’ouvrage l’ont promis, d’ici au début des travaux, la quasi-totalité des animaux protégés aura été mise à l’abri. Car le projet est bien un « aménagement post Grenelle II », comme le claironne son directeur. Désormais contraints d’appliquer strictement la loi de 1976 qui impose « d’éviter, de réduire et si possible compenser » l’impact d’un aménagement sur l’environnement, les maîtres d’ouvrage se sont engagés à recréer des zones humides et des corridors de biodiversité. Mais l’opération la plus délicate a lieu en ce moment. Depuis le mois de mars, à grand renfort d’épuisettes, des équipes de Villages Nature attrapent les amphibiens un par un. Ils les relâchent ensuite, quelques centaines de mètres plus loi, dans des mares épargnées.

Philippe Roy, président de l’association Le Renard, vérifie l’efficacité des opérations de déplacement des amphibiens.

« Résultat : il y a surpopulation ! », s’exclame Philippe Roy entamant ainsi la longue liste des tâtonnements qui, selon lui, caractérisent le procédé. Pour éviter de reloger des grenouilles en exil dans des mares déjà grouillantes, le président de l’association aurait préféré que « de nouvelles mares, prévues au titre des compensations, soient créées en amont ». Et ce n’est pas tout, « les barrières anti-retour des batraciens on été installées en mai poursuit-il, pendant deux mois les animaux déplacés ont donc eu le temps de rentrer chez eux ». Au final, l’opération qui aurait du être achevée avant l’été, reprendra en septembre. « Mais compte tenu des cycles de reproduction, ça n’a pas de sens, s’agace Philippe Roy, ce serait comme cueillir des orchidées en décembre. » Ces petits détails, néanmoins susceptibles de retarder les travaux, en disent long aux yeux du militant. En juin 2011 dans sa deuxième contribution au débat public, son association s’inquiétait d’entendre les promoteurs insister sur le caractère « ordinaire » du terrain. Deux ans plus tard, les craintes du président se sont enracinées : « Dans ce projet, l’environnement existant est dévalorisé et passe au second plan. »


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