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La fracturation hydraulique à nouveau autorisée en septembre ?
vendredi, 28 juin 2013 / Amélie Mougey

Un rapporteur du Conseil d’Etat a jugé la plainte d’un pétrolier digne d’être examinée par le Conseil constitutionnel. Ce sinueux chemin juridique pourrait déboucher sur le retour de cette technique controversée.

Comme le préconisait son rapporteur, le Conseil d’Etat a renvoyé, ce vendredi 12 juillet, la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du pétrolier Schuepbach devant les Sages. Hasard du calendrier, c’est la veille qu’une étude démontrant le risque de tremblement de terre induit par la fracturation hydraulique a été publiée dans la revue « Science »

L’interdiction de la fracturation hydraulique ne tient plus qu’à un fil. Ou plutôt à un simple avis du Conseil constitutionnel. Depuis la loi Jacob du 13 juillet 2011, l’utilisation de cette technique d’extraction du gaz de schiste, la seule jugée crédible à ce jour mais dangereuse pour l’environnement, est écartée. Injection massive d’eau, utilisation de produits chimiques, risques de pollution des nappes phréatiques et de fuites de méthane, les nombreuses inconnues et l’expérience américaine ont incité les parlementaires à la prudence. Au grand désarroi des pétroliers. Depuis deux ans, leurs permis de forer ont été gelés, voire abrogés.

Mais la contre-attaque s’organise. En février, alors que Total venait de déposer un recours contre l’abrogation de son permis de Montélimar (Drôme), le pétrolier Schuepbach Energy a décidé de s’en prendre directement à la loi. En déposant une QPC, question prioritaire de constitutionnalité, le groupe a engagé une procédure longue et compliquée. Ce mercredi, au Conseil d’Etat, il a remporté une seconde victoire. Terra eco la décrypte.

Parce que, selon le groupe Schuepbach, elle ne respecterait pas la Constitution. Ce pétrolier américain a obtenu, en 2010, deux permis de forer en France, l’un en Ardèche, l’autre dans l’Aveyron. Il conteste aujourd’hui leur abrogation. Ses juristes voient dans la loi Jacob une application excessive du principe de précaution. En février, ils ont donc déposé une question prioritaire de constitutionnalité devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Pour le ministère de l’Ecologie, qui défend la loi de 2011, la procédure aurait dû s’arrêter là. Mais les juges de Cergy-Pontoise n’ont pas suivi son avis et ont estimé, en mars 2013, que la question méritait d’être transférée vers la plus haute instance administrative française : le Conseil d’État.

Il va très probablement juger la question posée par Schuepbach, « nouvelle et sérieuse » et demander son transfert vers le Conseil constitutionnel. C’est en effet ce qu’a préconisé la rapporteuse Suzanne von Coester ce mercredi 26 juin. Or dans la majorité des cas, le Conseil d’État suit les recommandations de ses rapporteurs. Il y a donc de fortes chances pour que la QPC soit examinée par le Conseil constitutionnel. Pour les pétroliers, qui seront fixés dans les quinze prochains jours, il s’agirait d’une nouvelle victoire.

S’il considère que la loi porte atteinte aux droits et libertés inscrites dans la Constitution, il le fera. Selon le groupe Schuepbach, les articles 1 et 3 de la loi Jacob violent deux principes fondamentaux. D’abord le principe d’égalité devant la loi : la fracturation hydraulique est interdite pour l’extraction du gaz de schiste mais pas pour la géothermie. Cette différence de traitement pourrait être jugée discriminatoire. Ensuite, le groupe texan rappelle le caractère « inviolable et sacré » de la propriété privée. A ses yeux, l’abrogation des permis de forer, prévue par l’article 3, ne respecterait pas ce droit fondamental inscrit dans Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Le même texte nourrit les ripostes. L’eurodéputée Europe Ecologie - Les Verts Michèle Rivasi rappelle aux responsables de Schuepbach que la définition de la liberté, « pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », est, elle aussi, inscrite dans cette déclaration.

Plusieurs parlementaires s’y attendaient. Lors de l’examen de la loi en 2011, l’ex-député UMP de l’Oise François-Michel Gonnot avait mis en garde ses collègues contre un tel recours, jugeant la loi « juridiquement douteuse ». Lors du vote, le député PS de l’Ardèche Pascal Terrasse, pourtant fervent opposant à l’exploitation du gaz de schiste, s’était abstenu. « Cette loi a des failles, répète-t-il aujourd’hui, La notion de fracturation hydraulique n’a rien de juridique et est évidemment trop floue, il fallait la préciser. » Selon lui, la simple mention de l’utilisation de produits chimiques aurait pu éviter l’amalgame avec la géothermie et les doutes sur la constitutionnalité. Les collectifs d’opposants au gaz de schiste sont pessimistes. La plupart d’entre eux considèrent qu’interdire la méthode plutôt que l’extraction elle-même était une fausse bonne idée. « On aura au moins gagné deux ans, le temps de s’organiser », relativise déjà Paul Reynard, représentant du Collectif 07 contre le gaz de schiste, l’un des groupe les plus actifs.

La France sera confrontée à un vide juridique. « Certains permis accordés avant la loi auront expiré mais d’autres seront toujours valides », souligne Pascal Terrasse. Une porte ouverte pour les pétroliers. « La réponse sera immédiate », s’inquiète Paul Reynard. Son collectif craint une reprise des forages dans les semaines qui suivent l’annulation de la loi, soit dès septembre si les délais sont respectés. « Pour le site d’Alès (Gard, ndlr), la demande de travaux qui vient d’être refusée par Delphine Batho, n’aura plus de raison d’être rejetée, soupire le militant, les compagnies pourront se mettre à l’ouvrage immédiatement. » La loi Jacob pourrait-elle être remplacée par un texte plus précis ? D’abord, il faudrait que celui-ci soit proposé par le gouvernement.

Après l’annonce d’un probable transfert du dossier au Conseil constitutionnel, Delphine Batho, la ministre de l’Ecologie, s’est montrée catégorique. « La fracturation hydraulique a été interdite pour des raisons justifiées. La position du gouvernement ne changera pas », a-t-elle déclaré ce mercredi sur Twitter. Oui, mais si le Conseil constitutionnel ne partage pas sa fermeté ? « Il n’y aura aucun problème pour adapter le texte », rassure la ministre. Sauf qu’au sein du gouvernement, son volontarisme ne fait pas l’unanimité. En novembre dernier Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif s’est déclaré « favorable à l’expérimentation technologique »autour du gaz de schiste. Le ministre (PS) délégué aux relations avec le Parlement, Alain Vidalies, lui avait alors emboîté le pas : « Aucun d’entre nous ne pense que le gaz de schiste est quelque chose qu’il faut écarter pour l’éternité. »

Pour l’élu ardéchois Pascal Terrasse rien n’est moins sûr. « En deux ans le climat a changé, mes collègues sont beaucoup moins hostiles au gaz de schiste qu’au moment de la loi Jacob », constate le député. La publication, le 6 juin dernier, d’un rapport de l’Opesct, Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, plaidoyer pour une « fracturation hydraulique maîtrisée », tend à lui donner raison.