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Actions de groupe : les consommateurs vont gagner du pouvoir
jeudi, 2 mai 2013 / Alexandra Bogaert

Parce que l’union fait la force, les actions de groupe débarquent en France, avec un projet de loi. Elles permettront aux consommateurs floués de réclamer collectivement des indemnités aux entreprises.

Mis à jour le 1 octobre 2014  : C’est aujourd’hui que rentre en vigueur la loi qui autorise les actions de groupe en justice. Foncia est d’ores et déjà visé puisque l’association de consommateurs UFC-Que Choisir lance une action à l’encontre du groupe immobilier, lit-on sur Lemonde.fr. Elle réclame l’indemnisation de 318 000 locataires, ayant payé indûment des frais d’expédition de quittance, pour un total de 44 millions d’euros sur cinq ans.
Mis à jour le 13 février 2014 : Après le Sénat hier, l’Assemblée nationale a adopté définitivement ce jeudi le projet de loi sur la consommation de Benoît Hamon. Il ouvre la voie aux actions de groupe en France. Dorénavant, des consommateurs pourront, dans une procédure commune menée par l’une des associations agréées de défense des consommateurs, réclamer réparation auprès d’une entreprise privée ou publique. Sont exclus du champ de la loi les litiges relatifs aux domaines de la santé ou de l’environnement. Les contentieux les plus simples, impliquant des consommateurs facilement identifiables comme des abonnés, bénéficieront d’une procédure accélérée. Tous les consommateurs lésés obtiendront ainsi réparation, sans avoir à accomplir la moindre démarche !

Trente ans que les associations de consommateurs attendaient ça. Les actions de groupe, permettant aux consommateurs de mener collectivement une action en justice contre un professionnel, débarquent en France. Bientôt. Le premier article du projet de loi sur la consommation vise à renforcer les droits du consommateur, en donnant à ce dernier « des armes efficaces pour obtenir réparation d’un préjudice quand il est victime de pratiques abusives, frauduleuses ou anticoncurrentielles. Il s’agit en fait de rééquilibrer les rapports entre les entreprises et les consommateurs », précisait à L’Expansion Benoît Hamon, en mai dernier.

- Lasagnes au cheval, bug d’Orange, surconsommation de votre auto… : quels seront les préjudices concernés ?

Si l’étiquette de votre paquet de lasagnes indique « bœuf » alors que le plat contient en réalité du cheval, vous êtes trompé. Si le réseau de votre opérateur téléphonique tombe en panne et que vous vous retrouvez dans l’impossibilité d’utiliser votre téléphone pendant quelques heures (souvenez-vous du bug du réseau d’Orange, pendant dix heures, le 6 juillet 2012) alors que vous continuez à payer votre abonnement au prix fort, vous pouvez légitimement réclamer un remboursement. Si votre banque vous facture des services sans vous prévenir, vous êtes en droit d’exiger des explications. Si vous apprenez que les producteurs de lessive ou d’aliments pour animaux se sont entendus pour maintenir des prix élevés, vous pouvez crier au scandale. Si vous avez acheté une voiture parce que le constructeur vous assurait qu’elle ne consommait que 4 litres au 100 km mais que vous constatez qu’elle en brûle le double, vous êtes légitimement courroucé, etc.

Jusqu’à aujourd’hui, vous ne pouviez pas faire grand chose, à part prendre le risque de vous lancer seul dans une procédure longue et coûteuse. Mais si le projet de loi est adopté en l’état, il vous suffira de contacter l’une des seize associations de défense des consommateurs agréées par le ministère de l’Economie (la liste ici).

Attention, le texte limite les actions de groupe aux contentieux de consommation opposant des entreprises, publiques comme privées, à leurs clients (personnes privées uniquement). Les litiges relatifs aux domaines de la santé (Médiator, amiante, prothèses PIP, etc.) ou de l’environnement (marées noires), ne pourront faire l’objet d’actions de groupe. De même, les préjudices moraux ou corporels, exigeant une expertise individuelle, ne sont pas couverts par le texte de loi. Le texte couvre les préjudices économiques subis par un ou des consommateurs (il n’y a pas de nombre minimum de plaignants requis) lors de l’achat d’un bien, de services ou parce que les entreprises se sont entendues sur les prix.

- Quelle sera la marche à suivre ?

C’est à ces seize associations nationales que sera confiée la coordination exclusive des actions de groupe. Après vérification du bien-fondé de votre demande d’indemnisation, l’association saisie pourra porter, en son nom, votre plainte et celles des autres consommateurs mécontents auprès d’un tribunal de grande instance. C’est également elle qui fera appel à un avocat pour défendre votre intérêt et, à travers lui, celui de tous les consommateurs lésés.

Faudra-t-il pour cela adhérer à l’association ? « Il serait logique que les gens qui nous saisissent et pour lesquels nous allons agir cotisent à notre association, explique Reine-Claude Mader, présidente de l’association Consommation Logement Cadre de Vie. Mais notre objet étant désintéressé, nous ne voulons pas que les consommateurs croient que nous en profiterons pour nous financer. » Cotiser sera donc recommandé, mais pas un préalable pour faire valoir ses droits.

Gageons que bon nombre de consommateurs attendront de toute façon que le juge rende sa décision et fixe le montant de l’indemnisation individuelle. Car si elle est favorable aux consommateurs, elle bénéficiera non seulement à ceux qui ont saisi l’association, mais aussi à tous ceux qui pourront apporter a posteriori la preuve qu’ils ont également été lésés par ce même professionnel, dans les mêmes circonstances. A eux de se manifester auprès de l’entreprise condamnée ou de l’association de consommateurs pour obtenir réparation du préjudice subi. Ce système rendra délicate l’évaluation, par les entreprises, du montant à provisionner pour faire face à un éventuel contentieux.

Il se veut avant tout, selon Benoît Hamon, « une arme de dissuasion massive » pour « empêcher les entreprises de tricher ». En cas de tricherie, et de plainte, il va falloir en tout cas s’armer de patience, notamment quand la réclamation portera sur des pratiques anticoncurrentielles. Dans ce cas, ce sera à l’Autorité de la concurrence de se prononcer, ce qu’elle fait généralement au bout de dix ans. Or, peu de consommateurs gardent autant de temps leurs preuves d’achat...

- Quelles sont les réticences ?

Elles viennent de deux côtés : les entreprises et les avocats. Assez logiquement, les premières ont tenté de freiner la présentation de ce texte de loi. Le Medef – citée par Lemonde.fr –, qui estime que ces actions de groupe vont « ouvrir la boîte de Pandore d’un business des class actions », a toutefois participé à la concertation organisée par le Conseil national de la consommation et qui a, après huit mois de travaux, abouti à la rédaction du texte final. Mais l’Afep (Association française des entreprises privées) n’en démord pas. Dans un courrier adressé à François Hollande à la fin du mois d’avril, l’association représentant les entreprises du CAC 40 estimait que « le contexte de crise justifierait pleinement un report d’une mesure pénalisante pour les entreprises ».

De leur côté, les avocats pestent, s’estimant évincés de la procédure, qui ne peut être conduite que par les associations agréées. Ils peuvent toutefois plaider devant les tribunaux au nom de ces associations et des consommateurs qu’elles représentent.

- Quelles différences avec les « class actions » à l’américaine ?

C’est aux Etats-Unis que sont nées les class actions, dans les années 1960. Mais le modèle choisi par la France est différent. Aux Etats-Unis, il est dans l’intérêt des avocats de démarcher les victimes puisque, en cas de victoire, ils se rémunèrent exclusivement sur une partie du montant des dommages et intérêts alloués. Ce qui peut représenter des sommes colossales et est interdit en France. Chez l’oncle Sam, les actions de groupe sont jugées par des jurys populaires, donc par des consommateurs, plus facilement enclins à prendre position pour leurs semblables qu’un juge formé pour trancher en droit un litige.

Si l’on évoque constamment l’exemple américain, rappelons que l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie ont également adopté les actions de groupe.