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Rouen : « Dire que c’est un gaz inoffensif est un peu osé »
jeudi, 24 janvier 2013 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Inoffensif malgré l’odeur. C’est grosso modo le discours du gouvernement depuis l’indicent à l’usine Lubrizol de Rouen qui a entraîné le rejet de mercaptan. Mais le mercaptan, il n’y en a pas qu’une sorte, souligne Frank Karg, ancien expert auprès de l’Anses.

Frank Karg est pédégé du groupe HPC Envirotec et ancien expert auprès de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, devenue Anses.

Terra eco : Le gouvernement n’a de cesse de vouloir nous rassurer sur le nuage émanant de l’usine rouennaise. Qu’en pensez-vous ?

Frank Karg : Les informations télévisées parlent d’absence de danger, d’absence de risque, ce qui est un raccourci scientifique. Avant de pouvoir dire cela, il va falloir bien analyser les composés du nuage en question. Je suis allé mardi à Rouen et je me suis rendu compte que la réaction thermique qui a déraillé à Lubrizol a produit apparemment un cocktail de mercaptans (aussi appelés thiols, ndlr). Or, il y a des centaines de mercaptans. Certains sont quasiment sans danger. D’autres le sont moins. Il y a très probablement aussi d’autres produits organo-sulfurés. Dire que le gaz qui s’échappe est inoffensif est un peu osé. Il faudrait d’abord savoir de quoi on parle et donc faire les analyses complètes d’identification de l’ensemble des produits potentiellement présents. Il faudrait aussi mesurer les concentrations là où se situent vraisemblablement les plus importantes teneurs en polluants et où se trouvent les personnes les plus fragiles et les plus exposées (bébés, personnes sensibles, comme les asthmatiques, allergiques, etc.). Les informations télévisées diffusées n’ont pas confirmé cette approche méthodologique de gestion des risques.

Vous dites que certains de ces produits peuvent être dangereux…

On indique que le mercaptan est, entre autres, un composé produit quand on mange et digère des asperges. Ça peut paraître amusant. Mais je vous rappelle que les constituants de la digestion microbiologique sont essentiellement des gaz, constitués surtout de méthane, de produits organo-azotés, de thiols… Un mélange inflammable que je ne recommanderais à personne de respirer pendant une demi-heure ou même moins. L’estomac produit aussi de l’acide chlorhydrique (HCl), mais ce n’est pas pour ça qu’on pourrait recommander de respirer des vapeurs de HCl ! A partir d’une certaine dose, ce serait même mortel.

Le gouvernement parle de concentrations de mercaptan 20 000 fois inférieures à la dose toxique. Qu’en pensez-vous ?

Je m’interroge sur une telle information, car on parle d’un nuage qui va de Rouen à Paris. Il faudrait donc indiquer de quelle concentration, à quel endroit et à quel moment précis l’on parle et quel est le temps qui sépare ce moment de l’incident qui s’est produit. Si on ne connaît pas exactement les substances concernées, on ne peut rien dire.

Si les informations données par les autorités sont vraies, les concentrations dans l’air arrivé jusqu’à Paris sont réellement trop petites pour créer un effet aigu et l’événement a été trop court pour entraîner un effet chronique, ou alors il faudrait plusieurs semaines d’exposition, trois à six mois, par exemple. Sentir l’odeur ne veut rien dire, le seuil olfactif des mercaptans est très bas. En revanche, si des produits toxiques sans odeur ont été aussi relâchés, comme par exemple des composés hétérocycliques soufrés, il vaudrait mieux le savoir le plus rapidement possible.

Certains habitants ont parlé d’irritations des yeux, de la peau. Est-ce mauvais signe ?

Ces premiers effets toxiques sont connus, par exemple pour le méthylmercaptan (la forme la plus dangereuse du mercaptan, aussi appelée méthanéthiol, ndlr). Ce n’est pas rien, ça veut dire qu’il y a un effet désagréable et potentiellement légèrement toxique. Il faut malgré tout remettre les choses en contexte. Et rappeler qu’on prend aussi de plus en plus de risques toxicologiques chroniques avec les émanations des polluants volatils provenant des matériaux et des meubles présents dans nos logements (peintures, textiles, bois traités, etc.) et importés d’un ou plusieurs très grands pays d’Asie du sud-est. Mais aussi évidemment par l’exposition aux gaz d’échappement, comme le benzène ou autres hydrocarbures aromatiques monocycliques, mais aussi les hydrocarbures aromatiques polycycliques et hétérocycliques, etc. 


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