https://www.terraeco.net/spip.php?article47409
Lyophilisation : les Français se mettent au régime sec
vendredi, 14 décembre 2012 / Alexandra Bogaert

Parmi les différentes méthodes de conservation des aliments, la lyophilisation paraît la meilleure. Mais elle reste chère et énergivore. Qu’importe. En ces temps de grands chambardements, les repas lyophilisés ont le vent en poupe.

Pendant que les Mayas avaient la tête dans leur calendrier cosmique décrétant la fin du (d’un ?) monde pour le 21/12/12 - brrrr ! - leurs voisins du Pérou, les Incas, étaient bien plus terre à terre. Ils entreposaient leurs patates sur les hauteurs du Machu Picchu afin d’éviter la faim dans leur monde.

A ces altitudes où l’oxygène vient à manquer et où le froid transperce, les pommes de terre congelaient et se déshydrataient. Devenues légères, donc faciles à transporter, elles se conservaient plus longtemps. Les Incas ont ainsi découvert la lyophilisation. C’est par ce procédé aussi que le café devient soluble, que les fraises des céréales ou les champignons de soupes en sachet retrouvent leur forme, leur texture et leur goût d’origine au contact de l’eau.

De la glace qui s’évapore et des qualités quasi intactes

La lyophilisation est une technique de séchage sous vide des aliments par le froid et par une basse pression, obtenue grâce à une onéreuse machine, le lyophilisateur. Il permet de transformer, en peu de temps, l’eau contenue dans la nourriture de l’état liquide à l’état solide (glace) puis directement à l’état gazeux (vapeur) jusqu’à son évaporation complète, sans passer par la phase liquide. C’est ce qu’on appelle la « sublimation ».

Cette technique de conservation longue durée des aliments « préserve la structure, la texture, l’arôme et la capacité de réhydratation [des denrées] mieux que la plupart des procédés existants », vante le département Caractérisation et élaboration des produits issus de l’agriculture de l’Institut scientifique de recherche agronomique (Inra).

Une fois lyophilisés, les légumes et fruits ont perdu de 90% à 95% de leur poids, de 60% à 80% pour les viandes ou poissons. Mais leurs qualités nutritives sont intactes, ou presque. « Même si l’étape de congélation est un peu destructrice pour les quelque 100 milliards de bactéries contenues dans les aliments – ferments lactiques et probiotiques, qui sont des souches vertueuses pour la santé – la mort cellulaire reste bien plus limitée qu’avec d’autres techniques de conservation comme la déshydratation par la chaleur ou l’appertisation (la stérilisation à la chaleur, ndlr)  », explique Romain Jeantet, chercheur pour l’Inra, à l’Agrocampus Ouest de Rennes. Idem pour les vitamines, qui ont la fâcheuse habitude de s’oxyder au contact de l’oxygène. « Comme les produits sont séchés sous vide, il n’y a pas d’oxydation », poursuit le chercheur.

Des aliments qu’on peut conserver un quart de siècle

L’absence d’oxygène et d’humidité (il en reste moins de 2% dans les aliments) empêche les bactéries et moisissures de proliférer et les enzymes de déclencher des réactions chimiques susceptibles de détériorer le produit. Dans un emballage hermétique, à l’abri de l’humidité, de la lumière et de l’oxygène, un plat lyophilisé peut se conserver à température ambiante pendant plusieurs années, jusqu’à 25 ans ! Et ce, sans conservateurs.

Tout aliment peut, a priori, se lyophiliser. La société française Lyofal a bien déshydraté de cette manière, récemment, du caviar et de la truffe ! Pour autant, certains ingrédients ne se laissent pas ratatiner facilement. C’est le cas des produits très sucrés - comme le miel ou le raisin -, très salés ou très gras (l’huile végétale ne contient pas d’eau). Ceci explique pourquoi les plats lyophilisés proposés par les fabricants sont peu riches en matières grasses ajoutées et peu salés. Ils sont par conséquent souvent meilleurs pour la santé que les repas tout prêts, frais ou en conserve, que l’on vend au supermarché !

C’est notamment le cas des produits Voyager, de la marque française Falières Nutrition. « Les repas qu’on propose contiennent peu de graisses et ont un bon équilibre diététique, mais il faudrait une campagne marketing puissante pour que le lyophilisé soit perçu comme un “aliment santé !” Ce qu’on n’a pas les moyens de se payer », explique Réjane Falières, cofondatrice avec son mari de la marque, qui propose notamment des gammes « bio » et « minceur ».

Une technique gourmande en temps et en énergie

La lyophilisation, technique 100% vertueuse ? Pas totalement. Elle est très longue et coûte cher. « Le coût énergétique est de l’ordre de cinq à dix fois plus important que pour un séchage classique », par la chaleur, explique encore Romain Jeantet. « Il faut 48 heures pour lyophiliser 1 centimètre d’aliment, c’est pourquoi les aliments sont toujours découpés en petits morceaux », complète Réjane Falière qui a fait installer des panneaux photovoltaïques sur son entreprise des Landes pour compenser, un peu, la consommation en énergie de son activité.

Pour toutes ces raisons, les plats lyophilisés étaient jusqu’à présent un marché de niche, réservés aux randonneurs, skippers, scientifiques en expédition, astronautes ou encore à l’armée. Mais depuis peu, le marché français séduit de nouveaux clients. A l’image des survivalistes  américains qui font des stocks de nourriture en prévision d’une catastrophe économique ou (sur)naturelle qui les placerait en condition de survie, de plus en plus de Français achètent des repas lyophilisés.

Jusqu’à ce qu’Arianne Pehrson – compagne de navigateur – ne fonde à Lorient (Morbihan) sa société Saveurs et Logistique et ne lance son site Lyophilise.fr, on ne trouvait des plats lyophilisés que dans les rayons « Sports extrêmes » de Décathlon ou du Vieux campeur. « Il n’y avait que quatre marques distribuées en France à l’époque, avec toujours les mêmes recettes : spaghettis bolognaise, hachis parmentier, pâtes carbonara. » Désormais, son site recense une quinzaine de marques – dont deux sont françaises -, et l’on a le choix entre loup de mer aux crevettes, ragoût de gibier, truffade auvergnate, fondue quatre fromages, poulet au curry, etc. Au dessert, on peut se laisser tenter entre autres par une mousse au chocolat, ou une salade de fruits, qui reprendront leur aspect, taille et texture initiales une fois réhydratées.

Les ménages français développent leur appétit pour le lyophilisé

Arianne Pehrson, qui vend des plats lyophilisés dans plus de 30 pays d’Europe, a vu son chiffre d’affaires croître après la catastrophe de Fukushima. En novembre 2012, elle a vendu dix fois plus de portions individuelles qu’à la même période l’an dernier. La marque américaine Mountain House qu’elle distribue, a vu, en France, ses résultats progresser de 200% en un an. Lyophilise.fr a vendu, en un an, 85 000 portions, dont 40% sont vouées à être stockées dans les placards des maisons. « Les gens se disent “au cas où” », explique Arianne Pehrson, citant l’exemple de ce client qui, ayant subi une inondation, a dû dépendre des secours et ne souhaite plus que cela se reproduise ou celui de cet homme qui, de peur de se retrouver au chômage, a décidé de stocker des repas lyophilisés « ne sachant pas si, dans un mois, il aura des sous pour manger ».

Ce qui les pousse, « ce n’est pas l’angoisse de la fin du monde mais l’envie d’être autonome, de ne dépendre de personne. C’est comme avoir une pharmacie à la maison », explique l’entrepreneuse. Qui poursuit : « Certes, ça coûte plus cher que les boîtes de conserve (entre 4,10 euros et 11 euros les plats en fonction des marques et des mode de préparation, ndlr) mais c’est de meilleure qualité, plus léger et plus pratique à stocker. » Pour Réjane Falières, qui refuse d’« exploiter ces épiphénomènes », « le lyophilisé est vraiment réservé à des situations extrêmes ou nomades. Manger lyophilisé dans la vie de tous les jours serait injustifié, et absurde ».


En voilà des méthodes !

Pour conserver les aliments sans les farcir de produits chimiques, les solutions ne manquent pas. Le principe est toujours le même, empêcher la prolifération des micro-organismes et retarder l’oxydation des graisses, qui donne au produit un goût rance. Pour cela, trois grandes solutions. La conservation par le froid, qui ralentit les micro-organismes, les méthodes traditionnelles comme le séchage naturel ou le salage, et le traitement par la chaleur. Mais il en existe d’autres : votre salade sous plastique est ainsi conservée par l’injection d’un mélange gazeux chiche en oxygène, qui ralentit l’activité microbienne, tout en conservant l’humidité. —