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Quand louer solidaire rapporte
vendredi, 9 novembre 2012 / Alexandra Bogaert

Mettre un logement à la location au bénéfice des travailleurs pauvres, tout en étant assuré du paiement des loyers, c’est un bon calcul. Et c’est l’objet des dispositifs de location solidaire, qui cherchent à se développer.

Louer son bien aux personnes précaires, ça peut être la bonne affaire. Les marchands de sommeil, qui facturent les nuitées dans des taudis au prix des plus beaux palaces, l’ont bien compris. Et en profitent sans vergogne. Mais on peut aussi rentrer dans ses frais en faisant une bonne action, légale qui plus est. Voilà qui pourrait convaincre les propriétaires qui hésitent à signer des baux de crainte que leurs locataires n’honorent leurs quittances. Pour eux, deux dispositifs existent. L’un à Paris depuis juin 2007, l’autre dans six régions de France depuis novembre 2008.

Dans la capitale, le mécanisme Louez solidaire a été mis en place par la mairie qui le finance. En Ile-de-France, dans le Nord-Pas-de-Calais, les Pays de la Loire, le Languedoc-Roussillon, en Rhône-Alpes et PACA, le dispositif prend le nom de Solibail et est pris en charge par l’Etat.

Des garanties pour le propriétaire, un toit pour les précaires

Dans un cas comme dans l’autre, le principe est le même : faciliter l’accès au logement des ménages en difficulté hébergés en hôtels ou en structures sociales, en mobilisant le parc privé. Pour ce faire, une association expérimentée dans l’habitat, conventionnée par la préfecture de région ou la mairie de Paris – ce qui garantit sa solvabilité -, loue au propriétaire privé son logement pour une durée de trois ans renouvelable.

Les tarifs pratiqués sont légèrement en dessous de ceux du marché, mais le propriétaire est assuré d’être payé chaque début de mois pendant toute la durée du bail du montant du loyer et des charges. De plus, l’association garantit l’entretien et la remise en état du logement si nécessaire, et le propriétaire bénéficie d’une déduction fiscale de 30% à 70% des revenus locatifs. Au final, le bailleur a tout à y gagner. Et, cerise sur le toit, il accomplit ce faisant une action solidaire.

En effet, les occupants du logement sont des ménages modestes (essentiellement des familles, souvent monoparentales) en emploi ou proches de l’insertion professionnelle, qui étaient jusqu’ici hébergés à l’hôtel ou en centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Ces travailleurs pauvres sous-louent à l’association l’appartement pour une durée de 3 mois à 18 mois maximum, au bout desquels ils sont normalement relogés en HLM. Ils contribuent financièrement au loyer à hauteur de 25% de leurs ressources. Redevance à laquelle s’ajoutent les APL. L’association paie la différence avec le loyer, qui lui est ensuite remboursée par l’Etat (ou la mairie de Paris, selon l’endroit où l’on se trouve). Ce reste à charge financé par les autorités est d’environ 350 euros par mois.

Deux fois moins cher que l’hébergement en hôtel

L’ensemble du dispositif coûte à la mairie de Paris comme à l’Etat un peu moins de 10 000 euros par an et par logement. Dans cette somme, sont compris le différentiel entre le loyer et la redevance, la garantie des risques locatifs (impayés, dégradations éventuelles, etc.), la rémunération de l’association qui assure la gestion locative, ainsi que celle des travailleurs sociaux qui accompagnent les occupants pendant qu’ils sont dans le dispositif.

« C’est moitié moins que le coût de l’hébergement en hôtel, avec l’accompagnement et le confort de vie en plus », explique Nicolas Lourdin, chargé de mission « Louez solidaire » à la ville de Paris. Son service gère, avec les associations partenaires, quelque 740 logements, du studio au T5, dans la capitale. Depuis le lancement de ce mécanisme en 2007, 1 360 foyers en ont bénéficié et 625 ont déjà été relogés de façon définitive dans le parc social. Le dispositif Solibail regroupe, lui, quelque 2 100 propriétaires.

Des dispositifs victimes de leur succès

« Ces outils, les seuls à pouvoir proposer immédiatement une alternative à l’hôtel, sont un succès », estime Eric Pliez, le directeur général d’Aurore, l’une des premières associations à y avoir adhéré. Mais, à l’origine conçu pour vider les hôtels, ces systèmes se sont révélés incapables de satisfaire toutes les demandes d’hébergement. « Avec la crise économique, le nombre de personnes hébergées en hôtel s’est stabilisé grâce au dispositif, mais il n’a pas diminué », regrette le cadre de la mairie de Paris qui vise la mobilisation de 1 050 logements, soit 300 de plus qu’aujourd’hui, d’ici juillet 2014.

Cet objectif est « tout à fait réalisable, estime Marlène Gérard, d’Habitat et développement Ile-de-France, structure chargée de trouver des propriétaires volontaires. Car de nombreux propriétaires parisiens estiment que ce n’est pas le moment de vendre leur bien, ils préfèrent donc mettre leur logement à la location solidaire en bénéficiant de déductions fiscales. »

Pour achever de convaincre les propriétaires réticents, Nicolas Lourdin dispose d’arguments bien rodés : « Ça peut être une bonne opération économique pour les personnes à hauts revenus, imposées à 45%. Grâce à la défiscalisation, elles peuvent maximiser leurs profits. Pour les autres propriétaires moins fortunés, l’entrée dans le dispositif, même un peu moins rémunératrice que la mise en location normale, est motivée par une démarche altruiste comme par la garantie d’être payé sans interruption pendant toute la durée du bail. C’est une vraie sécurité. » Convaincus ?