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Votre ville est-elle inégalitaire ?
mardi, 30 octobre 2012 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Quelles villes sont les championnes de l’inégalité ? Y a-t-il des îlots d’égalité parfaite en France ? La réponse en carte !

Les inégalités se creusent en France. Et pour cause : le nombre de pauvres augmente, le niveau de vie médian baisse... et dans le même temps le pouvoir d’achat des plus riches grimpe, comme le révélait en septembre la dernière étude de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) sur le niveau de vie des Français.

Qu’en est-il dans votre ville ? Et chez vos voisins ? Et là où vivent vos parents ? La carte interactive que nous publions ci-dessous vous permet d’y répondre :

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Comment utiliser cette carte ?

Cette carte compare près de 600 communes de France selon leur coefficient de Gini. Cet indice se situe entre 0 et 1, en sachant que 0 correspond à l’égalité parfaite (si tout le monde avait le même niveau de revenu) et 1 à l’inégalité la plus forte (si un seul ménage disposait de l’ensemble des revenus). La moyenne française s’élève à 0,299. En cliquant sur les villes, vous trouverez également le nombre d’unité de consommation que comptent ces villes, la médiane de revenus dans la commune ( [1]) et le rapport interdécile [2].

Pour vous aider à situer et comparer votre ville, voici 5 catégories :

Neuilly-sur-Seine est à la fois la ville la plus inégalitaire de France et l’une des plus riches du pays. « On y compte beaucoup de très riches mais aussi quelques pauvres, à cause des chambres de bonne. Par contre, il n’y a pas de classes moyennes », analyse Guillaume Allègre, économiste à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques). Si votre ville entre dans cette catégorie, c’est donc que l’on y compte « beaucoup de riches, mais qu’il y reste des pauvres », résume Louis Maurin, cofondateur de l’Observatoire des inégalités. La plupart des centre-villes des plus grandes communes de France ont ces caractéristiques car s’y concentrent aussi bien des cadres supérieurs et de très hauts revenus que des chômeurs qui viennent chercher du travail dans ces zones d’emplois dynamique. [3]

Le rapport interdécile est très élevé dans ces communes. Ainsi, les revenus des 10% des Roubaisiens les plus riches sont 400 fois plus élevés que ceux des 10% les plus pauvres ! Peut-on dire que l’inégalité est pire à Roubaix qu’à Neuilly ? Doucement. Car, en euros, l’écart annuel entre les deux catégories est d’environ 12 000 euros à Roubaix, contre plus de 50 000 euros à Neuilly. A Roubaix, Béziers ou Denain, les pauvres sont « plus démunis qu’ailleurs » tandis que se « maintient également une population aisée (même si cette dernière a peu à voir avec celle de Neuilly) », résume l’Observatoire des inégalités.

Ces villes sont très égalitaires à première vue : les écarts de revenus y sont très faibles. Les 10% les plus riches gagnent seulement entre 3 et 4 fois plus que les 10% les plus pauvres. On est pourtant loin de la ville idéale : « Ces villes n’ont aucune mixité, elles sont complètement ségréguées », estime Guillaume Allègre. En effet, on y trouve (presque) aucun haut revenu et le prix de l’immobilier y est très faible.

A l’inverse, ces villes comptent peu de pauvres, d’où l’apparente égalité de ces communes. Pourtant la mixité y est tout aussi faible, et le prix de l’immobilier est très élevé. Ces villes comptent environ 10% de logements sociaux. Ce n’est pas pire que le très mauvais élève Neuilly-sur-Seine (3,2%) mais cela reste loin des 20% exigés par la loi SRU. Paradoxe de cet indicateur, si ces villes construisaient plus de logements sociaux, elles apparaîtraient comme plus inégalitaires.

Reste des communes bien loin de ces extrêmes mais frappées par la ségrégation. Les revenus y sont relativement égalitaires, et moyennement élevés. Ces villes sont souvent situées à la périphérie des métropoles, autour d’une première couronne où l’indice de Gini est plus élevé, et éloignée de plusieurs kilomètres d’un centre-ville plus inégalitaire encore. Ce découpage est très flagrant autour de Paris.

Christophe Guilluy, sociologue et géographe, a travaillé sur ces zones qu’il appelle « la France périphérique ». Il évoque une France contrainte d’habiter non plus « de l’autre côté du périph » mais « de l’autre côté des banlieues » à cause notamment des prix de l’immobilier. L’auteur s’inquiète d’une ségrégation spatiale de plus en plus grande entre « des centre-villes intégrés à la métropolisation » et une France périphérique « à l’écart de la ville dense et des métropoles les plus actives ». Dans son ouvrage Fractures françaises, l’auteur rappelle que ces espaces périurbains sont de plus en plus peuplés : ils ont enregistré un taux de croissance en moyenne trois fois plus élevé que celui des centres urbains depuis le début des années 1990. L’évolution est selon lui inquiétante pour la mixité sociale : « La jeunesse populaire (de la France périphérique, ndlr) issue majoritairement des milieux ouvriers et employés, subit une double relégation, spatiale et culturelle, qui rend difficile l’intégration économique et sociale. Eloignée des grandes écoles et plus généralement des meilleurs établissements scolaires, cette jeunesse ne fait l’objet d’aucune attention particulière » (...) tant et si bien « que l’intégration économique et culturelle de cette jeunesse périurbaine et rurale est parfois plus problématique que celle de la jeunesse banlieusarde. »

D’abord que le niveau d’inégalité ne dépend pas du niveau de richesse. On trouve à la fois des villes très pauvres et des villes très riches au palmarès de l’inégalité. Ensuite que les villes inégalitaires ne sont pas forcément des ghettos, et vice-versa.

Comment lutter contre les inégalités nationales, à la lecture de ces exemples locaux ? D’abord en se demandant où la pauvreté est la plus dure à vivre. Probablement dans les grandes villes, estimait le Centre d’observation et de mesure des politiques sociales (Compas) dans une note d’août 2012 : « Les villes riches ne sont pas des îlots de richesse et n’ont pas éradiqué la pauvreté : vivre pauvre parmi les riches peut être ressenti de façon plus violente que parmi une population moins favorisée, et rendu encore plus difficile du fait des prix de l’immobilier », analysait le Compas dans une étude publiée en août 2012. D’autres rappellent que les Français pauvres en milieu rural sont les premières victimes de la précarité énergétique parce que leurs logements sont souvent moins bien isolés et qu’ils sont pour beaucoup contraints de rouler en voiture. Guillaume Allègre, de l’OFCE, propose donc de s’interroger sur la mobilité sociale : « On bouge beaucoup plus dans les grandes villes que dans les zones les plus égalitaires. Faut-il aider les gens là où ils sont ? Faut-il privilégier un modèle de forte mobilité géographique ? Les politiques de l’emploi dans les petites villes permettraient sûrement d’aider les gens à y rester », énonce l’économiste de l’OFCE.

Carte réalisée avec l’aide de Coralie Sabin, Guillaume Faure, Nadim Raad et Rahman Kalfane, étudiants à l’école de Design Nantes Atlantique.


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