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L’étiquette qui colle à la peau
vendredi, 18 juillet 2003 / Walter Bouvais /

Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net

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Le code barre de chez Leclerc, c’est ringard. L’avenir est à "l’étiquette intelligente". Sa méthode : marquer les consommateurs à la culottte.

Imagine une puce électronique si minuscule qu’on pourrait l’insérer dans l’emballage d’un paquet de biscuits, la capsule d’une bouteille de soda ou la couture d’une chemise. Sur cette puce sont inscrites le lieu et la date de fabrication du produit, sa date d’expiration… Au fil de la vie du produit, les informations gravées sur la puce peuvent être liées à une base de données dans laquelle figurerait le prix et la date de vente, voire le numéro de carte bancaire de l’acheteur. Bref, voilà le code barre de tes « Pépito » remplacé par un petit journal intime, qui s’épaissit au fil de la vie du paquet. En fait, pas si intime que cela, puisque la puce est dotée d’une minuscule antenne, qui permet, au moyen d’un appareil de lecture, d’en visualiser les informations à distance (un mètre cinquante environ). Les spécialistes appellent cela la « Radio Frequency Identification » (RFID), en français, l’identification par les ondes.

Les entrerprises en rêvaient

Pour les entreprises, en général, c’est la possibilité de connaître en permanence et instantanément l’état des stocks, de retrouver un produit défectueux… Voire de suivre à la trace un produit volé, grâce au GPS, comme le suggèrent le cabinet Accenture et le RFID Journal. Une centaine d’entreprises l’ont bien compris, qui ont adhéré à l’Auto ID Center. Ce consortium réunit, autour de laboratoires comme le célèbre MIT de Boston, une centaine d’entreprises, dont les multinationales Coca Cola, UPS ou Carrefour. En imposant un standard unique, les membres de l’Auto ID Center espèrent diviser par dix le coût unitaire de l’étiquette intelligente, à 5 cents de dollar (4,5 centimes d’euro).

Pour les fabricants d’étiquettes intelligentes, le RFID représente un marché juteux. Le cabinet Allied Business Intelligence l’évalue à 1,3 milliards de dollars en 2003 et à plus du double - 3,1 milliards de dollars - en 2008. L’argument commercial de l’Auto ID Center ne manque en tout cas pas d’enthousiasme : "[Nous] voulons changer le monde (…) en offrant aux entreprises un système dont elles ne pouvaient jusqu’alors que rêver".

Un moratoire sur les étiquettes ?

Tout cela ne changera presque rien… Ou presque. Interrogée par le journal Transfert, Katherine Albrecht, la directrice de Caspian, une organisation américaine de défense des consommateurs, voit dans cette technologie une menace pour la vie privée des consommateurs. Selon elle, les entreprises pourront en effet collecter et échanger des montagnes d’informations sur leur compte, et à leur insu. Son organisation réclame un moratoire mondial sur les étiquettes intelligentes, développées selon elle dans l’opacité la plus totale. Les membres de l’Auto ID Center ont tout à fait conscience de ces réticences, comme le montre une série de documents confidentiels cités par Transfert. Ainsi, une enquête réalisée en 2001 avec Procter & Gamble, indique que 78% des consommateurs craignent que les étiquettes intelligentes ne menacent leur vie privée. En guise de parade, les conseillers en communication de l’Auto ID Center suggèrent de rebaptiser les « étiquettes intelligentes » en « étiquettes vertes », appellation « plus rassurante et positive ». Voire de les présenter comme de « simples codes-barres améliorés ». En conclusion, les promoteurs du RFID espèrent que les consommateurs « apathiques » se « résigneront d’eux-mêmes à l’inévitabilité de la chose ».