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Vers l’économie du don
mardi, 10 avril 2012 / Laurent Saussereau /

Laurent Saussereau est pédégé de Yuman, un cabinet de conseil en stratégie et management alternatif.

Laurent Saussereau décrit l’émergence d’une nouvelle économie, coopérative, gratuite, et basée sur la confiance.

Le monde nouveau qui s’amorce est le signe d’un changement de paradigme économique, une forme nouvelle des modalités des échanges entre les personnes, les institutions… Dans un monde matériel, ces échanges étaient fondés sur la rareté des ressources, tarissables et/ou périssables. Des biens qu’il fallait conserver et stocker en réserve en prévision de catastrophes naturelles ou humaines potentielles détruisant temporairement les sources ou les moyens d’approvisionnement.

L’histoire économique a fonctionné sur ces mécaniques de production, stockage et protection des richesses, la propriété des ressources matérielles, de l’outil de production et des stocks conféraient le pouvoir. Cette économie est l’économie de la préhension, de la rétention. Une économie qui ferme, protège, sépare et exclu. Et qui fonctionne sur un levier : la peur de manquer. Une économie à « polarité masculine ».

L’économie du don, du cadeau

Dans l’économie immatérielle, la donne change, les paradigmes sont bouleversés et des signes montrent qu’émerge une nouvelle économie : l’économie du don ou économie coopérative. Cette économie devient une réalité et les exemples sont nombreux : Wikipédia a détrôné Britannica (trente fois moins volumineuse) grâce à la contribution gratuite de milliers de chercheurs, d’amateurs du monde entier sur tous les sujets imaginables et dans toutes les disciplines.

Grâce internet, fleurissent des entreprises fonctionnant sur la mise en relation gratuite d’acteurs (peer to peer) comme les solutions de partage en tout genre à l’instar de CouchSurfing une association à but non lucratif qui compte plus de 1 million de voyageurs accueillis gratuitement chez des hôtes locaux dans plus de 69 000 villes du monde.

Au-delà d’internet, des millions d’humains chaque jour donnent d’eux-mêmes gratuitement : la France compte 12 millions de bénévoles, les USA 97 millions. Les entreprises prennent doucement conscience de la richesse que représente la force créative et imaginative de leurs collaborateurs, seul facteur d’innovation, d’adaptation et d’agilité. Cette force ne peut être effective que dans un mouvement de partage, de réciprocité, de coopération : je donne d’abord et je reçois ensuite. Mais je ne reçois pas forcément de celui à qui j’ai donné. Je reçois latéralement c’est-à-dire par les lois d’interaction et d‘interdépendance, un retour naturel se fait, car la richesse circule, elle n’est pas bloquée. Donner devient un acte gratuit, sans attente, un acte de confiance en la réciprocité possible.

Cette économie du don, coopérative, latérale comme certains l’appellent est fondée sur la confiance, l’ouverture. C’est une économie à « polarité féminine ».

Abondant ou Abandon ?

Si l’on considère les idées, la créativité, l’imagination comme une richesse immatérielle, les ressources sont alors effectivement illimitées si elles sont partagées.

Nous sommes peut-être à un moment charnière de l’histoire de l’économie où se côtoient deux tendances, avec d’un côté une économie traditionnelle pariant sur la rareté et la peur du manque, et de l’autre une économie latérale faisant le pari de l’abondance et de la confiance.

Ce double mouvement se traduit par des émergences aux aspirations différentes :

- 1) L’abandon (logique de l’ego) qui exclut et abandonne l’altérité pour nourrir ses intérêts personnels. Ce mouvement se traduit essentiellement par un discours qui sépare et se fonde sur la peur de l’autre.

- 2) L’abondant (logique de l’alter) qui inclut l’autre dans la réciprocité et l’équilibre des échanges. Ce mouvement se traduit par un discours défendant la diversité comme source de création de valeur nouvelle grâce.

Ces mouvements sont à l’œuvre et vivaces dans le monde entier et la porosité des frontières permise par Internet semble accélérer de façon inéluctable l’avènement du second modèle et d’une autre façon de vivre les échanges dans le futur.

Donner le meilleur : pensée pour une utopie…

En anglais « Gift » signifie à la fois le cadeau et le don (talent). Nos talents seraient alors peut-être un cadeau de la vie. Ces talents que chacun de nous possèdons constituent notre don potentiel au monde, ce que nous pouvons donner de meilleur et de plus beau. Ne pourrait-on alors rêver un instant d’un monde où chacun contribuerait en donnant le meilleur de lui même ? À l’instar des Pow-wow des natifs américains, ces fêtes où les Indiens se retrouvaient régulièrement pour souder les liens de la communauté et où chacun apportait en cadeau ce qui lui tenait le plus à cœur, ce qu’il avait de plus beau et plus précieux ?

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