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Y a-t-il un péril jeûne ?
vendredi, 23 mars 2012 / Alexandra Bogaert

Se priver de nourriture quelques jours est une pratique "détox" qui a le vent en poupe. Mais la médecine française reste très réticente quant à ses bénéfices. Pourtant, des études commencent à montrer les vertus thérapeutiques du jeûne.

Le printemps, c’est la saison du grand ménage. Cela vaut pour les vitres et les placards, mais aussi pour le corps. Voilà pourquoi, avec l’arrivée des beaux jours, nombreux sont ceux qui font des cures « détox », se rassasient de nourriture « saine » (graines germées, légumes verts, fruits frais, miam !) pour « laver » leur organisme des excès hivernaux de tartiflette... et le préparer à l’in(di)gestion d’oeufs de Pâques.

Certains optent pour une solution plus radicale : le jeûne. Entendu comme une période d’« abstinence alimentaire » totale pendant laquelle on continue toutefois à s’hydrater (c’est indispensable, car si notre corps peut survivre quarante jours en moyenne sans apport de nourriture, il ne supporterait pas plus de trois jours sans eau), le jeûne est une tradition inscrite dans de nombreuses religions. Les chrétiens le pratiquent pendant le carême, les musulmans lors du ramadan, les juifs à l’occasion de Yom Kippour et les bouddhistes au mois de juillet (voir le détail de ces pratiques ici).

Des stages de plus en plus prisés

Mais, hors de toute considération religieuse, le jeûne est aussi pratiqué, en France, par des personnes en bonne santé qui se privent de nourriture pendant un repas, un ou plusieurs jours, afin d’éliminer les toxines de leur corps.

Preuve de l’intérêt croissant pour cette pratique, le nombre de celles et ceux qui ont suivi des stages « jeûne et randonnée » a été multiplié par dix en dix ans : ils étaient 300 en 1999 et 3000 en 2009, selon Gisbert Bölling, fer de lance du jeûne en France et fondateur de l’ex-Fédération de jeûne et randonnée, désormais renommée le Portail français et francophone de jeûne et randonnée. Chaque année, quelque 300 stages de jeûne et randonnée sont proposés à travers le pays.

« Le jeûne est le premier moyen de santé au monde, il ne représente aucun danger et l’opinion est de plus en plus ouverte sur le sujet », se félicite Bernard Clavière, président de l’association Nature et Partage et qui milite lui aussi en faveur du jeûne via une Croisade pour la santé. Parmi les personnalités qui ont eu une pratique régulière du jeûne, on compte notamment Yannick Noah. Le chanteur / tennisman l’évoque dans son livre Secrets, etc. (J’ai lu, 1998), et parle même d’« effet turbo ».

Opération décrassage

Ilan Massé, naturopathe et organisateur, avec son épouse infirmière, de stages dans le Puy de Dôme explique en effet que « le jeûne nettoie le corps, le décrasse, déloge les graisses installées, rances ». Car, sans apport nutritif extérieur, c’est en lui-même que le corps va trouver son combustible.

En voici le mécanisme : sans aliments, le corps épuise sa réserve de glucose – qui sert à nourrir le cerveau – en vingt-quatre heures. Une fois cette source d’énergie tarie, les protéines des muscles commencent à être partiellement brûlées pour être transformées en glucose. Tout en gardant une partie de ses protéines en stock, le corps puise ensuite très vite dans ses réserves de lipides (donc les graisses) pour créer un substitut de glucose et alimenter les neurones.

C’est au bout de deux à trois jours que le corps apprend à se nourrir de lui-même, à « s’autorestaurer », selon le terme Gisbert Bölling. C’est, pour le jeûneur, un moment pénible mais passager (de 24 à 36 heures), qui peut provoquer faiblesses, nausées, migraines. S’il passe cette épreuve sans craquer, son corps trouve un nouvel équilibre. Et lui se sent comme « régénéré », désintoxiqué.

Ne rien avaler... pour croquer la vie à pleines dents !

D’après les témoignages de ceux qui ont pratiqué cette expérience, les sens s’aiguisent au bout de ces quelques jours. Ils retrouvent un dynamisme étonnant et sont même euphoriques.

Et ça peut durer assez longtemps. Une personne en bonne santé, qui pèse 1,70m pour 70 kg peut tenir ainsi jusqu’à 40 jours... Mais quand 80% de ses lipides auront été consommés et que le niveau de ses protéines - jusque là épargnées - fondra comme glace au soleil, il deviendra alors urgent pour elle de se ré-alimenter.

A quoi bon, ceci dit, s’infliger cela ? « La perte de poids est une motivation secondaire , explique Ilan Massé. Ce qui importe, c’est qu’un corps décrassé retrouve l’énergie pour lutter contre des maladies qui pourraient survenir ». Le jeûne serait donc préventif, et nous mettrait à l’abri de certaines pathologies, ou nous permettrait en tout cas d’être mieux armé contre elles.

Foutaises, disent les médecins français

Des allégations vilipendées par le corps médical français. Le professeur Jean-Claude Melchior, responsable d’une unité qui s’occupe de patients en état de dénutrition extrême à l’hôpital Raymond-Poincaré, à Garches, rappelle qu’aucune étude scientifique ne vient valider les effets bénéfiques du jeûne préventif.

« De plus, ajouter de l’exercice physique à l’absence d’alimentation (comme c’est le cas, même à un rythme tranquille, des stages de jeûne et randonnée, ndlr) peut être dangereux car les muscles ont besoin de glucose pour fonctionner. Donc les réserves de glucose dans le sang s’effondrent vite, on risque une hypoglycémie et, dans les cas extrêmes, une mort cérébrale si on n’est pas perfusé d’urgence ! Et si en plus on ajoute à cette diète totale des mécanismes de purge pour vider le tube digestif, par l’absorption de laxatifs, on va avoir des déficits en potassium, des syndromes abdominaux douloureux voire une occlusion. Bref, c’est de la folie ! », s’alarme-t-il.

Le jeûne aide à mieux supporter le traitement du cancer

Ceci dit, ce professeur reconnaît l’intérêt des résultats scientifiques obtenus par Valter Longo, professeur de biogérontologie de l’université de Californie, et publiés début février dans la revue Science.

Ce chercheur a montré que, chez les rats, un jeûne de quelques jours protège les malades du cancer des effets secondaires de la chimiothérapie : fatigue, faiblesse, nausées, migraines et vomissements diminuent. Ces données vont à l’encontre des recommandations des oncologues qui préconisent une hausse de la prise de calories avant chaque séance de chimio. « C’est un grain de sable dans le discours du ’nourrissez vous quand vous êtes malade’ », estime Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du comité national consultatif d’éthique sur France Inter (Il s’exprimait dans le cadre de l’émission La tête au carré, sur France Inter - minutes 32 à 47).

Si, pour le professeur Melchior, « l’idée de mettre à jeun les cellules à multiplication rapide – qui est le propre des cellules cancéreuses – et donc de les affaiblir est très intéressant, alors même que les cellules saines résistent mieux à la privation de carburant », celui-ci rappelle immédiatement que l’« on en est encore au stade expérimental » et soutient que « ceux qui disent que faire jeûner les malades sur la durée va les aider à aller mieux sont des menteurs et des charlatans. »

En Allemagne, des cliniques du jeûne pour se soigner

Les mêmes pratiques sont pourtant largement développées en Allemagne où 15 à 20% de la population déclarent jeûner une semaine par an, notamment dans le cadre des cliniques Buchinger, où passent près de 10 000 patients par an, dans le cadre de cures partiellement prises en charge par le système de sécurité sociale allemand.

Dans ces structures, on prétend qu’une cure d’une douzaine de jours, pendant laquelle le patient peut boire de l’eau avec un fond de jus de fruits, des tisanes et des bouillons de légumes filtrés, permet de soigner le diabète, l’hypertension ou encore l’arthrite.

En Allemagne, le jeûne se fait progressivement une place parmi les pratiques médicales officielles. En témoigne l’ouverture, il y a dix ans, d’un espace réservé aux patients en cure de jeûne dans le Charite Krankenhaus (« l’hôpital de la charité », le plus grand hôpital public d’Europe), à Berlin, où les gens sont suivis pour rhumatismes, syndromes métaboliques et problèmes cardiaques.

En Russie, des études jamais traduites

En Russie aussi, la pratique du jeûne à visée curative est promue. Les résultats d’études menées sur des patients dans les années 60 ont même été validés par l’académie russe de médecine, mais jamais traduits. « C’est pour cela que les médecins français ne prescrivent pas de cure de jeûne : ils ont une méconnaissance totale du sujet ! », explique Gisbert Bölling. Pour palier ces méconnaissances, il publie sur son site les extraits d’un livre aujourd’hui épuisé du docteur Yves Vivini, véritable bible des défenseurs du jeûne.

Mais il reconnaît aussi que « dans le pays de la gastronomie, il est impensable qu’il soit un jour prescrit par le système médical ». On en est encore très loin en effet. Pour le moment, les promoteurs du jeûne sont plutôt perçus comme une menace, en témoigne le rapport 2010 de la Miviludes (la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), consacré aux dangers que pouvaient représenter certains régimes alternatifs, et notamment le jeûne.

Voir la vidéo du président de la Miviludes, Georges Fenech :


A ne pas manquer

- Arte diffusera le 29 mars à 22h35 un documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade "Le jeûne, une nouvelle thérapie ?" et rend déjà accessibles de nombreuses données sur le jeûne à cette adresse

- Les deux réalisateurs seront invités le 27 mars à La tête au carrée, émission de France Inter (de 15 h à 16 h)